Les Vieux (atelier d’écriture) 141è

par | 10 Nov 2014 | # Parfois j'écris ..., Atelier d’écriture, Une photo, quelques mots | 56 commentaires

© Romaric Cazaux

© Romaric Cazaux

Depuis que les enfants sont partis, aller à la brasserie est notre rendez-vous du samedi. Nous avons nos habitudes, le patron nous connaît et nous réserve toujours la même table.  Il faut dire que la vieillesse ne nous arrange pas. On a toujours un truc qui ne va pas. Il fait trop chaud près des radiateurs, trop froid près de la porte, trop bruyant à côté d’enfants, dans le passage au milieu de la pièce. Il nous faut notre petit confort. Voilà, dans le coin, là c’est très bien. On évite les chauds-froids et les gamins des autres. Déjà que nous avons eu ceux de nos enfants pendant les vacances, un peu de paix le samedi ne nous fait pas de mal.

Je regarde du coin de l’oeil ma femme. Elle fait semblant de chercher un plat sur la carte, alors qu’elle prend toujours son petit salé aux lentilles. Mais elle aime feindre, perdre son temps. De toutes façons elle n’y voit plus rien. Même avec ses lunettes. Ça fait longtemps qu’elle ne lit plus, ne tricote plus. Seul le bruit assourdissant et envahissant de la télé rugit dans notre maison.

D’ailleurs, heureusement qu’elle est là la télé. Le silence serait trop pesant autrement. Il y a belle lurette que Georgette et moi nous sommes tout dit. Après les querelles, les disputes, la passion a fait place une tendresse certaine. Nous nous sommes habitués aux travers (nombreux) de l’autre. Ça ou la solitude. J’avais choisi Georgette. Nous ne sommes pas vraiment comme cette nouvelle génération qui menace de rompre la poche des eaux dès la première incartade !
Il y en a eu des coups de canif pourtant. Mais nous sommes restés ensemble. Malgré les tempêtes. Et puis, même si on ne s’aime plus, on s’est habitué l’un à l’autre. Quand elle s’est cassé le col du fémur l’an denrier, j’étais tout de même bien inquiet !

Là, maintenant, à notre âge, ce serait complètement risible de partir loin de l’autre. On ne sait même plus vivre l’un sans l’autre. Cinquante ans, ça laisse des traces dans le cerveau. Aussi j’attends qu’elle relève la tête, qu’elle m’annonce qu’elle prend son petit salé, puis je lèverai la main et hélerai le serveur.

Gestes millimétrés pour peaux parcheminées.

© Leiloona, le 9 novembre 2014

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Le texte de Roswelette : 

Un petit déjeuner chic pour nos cinquante ans de mariage, quelle bonne idée! Cet endroit résonne encore de l’émotion de notre rencontre. C’était juste après la guerre, j’étais serveuse dans cette brasserie. Les gens étaient pauvres mais heureux de vivre, et de partager. Un matin, tu es arrivé, t’es assis en terrasse face à un rayon de soleil timide qui semblait te réchauffer. Je suis venue prendre ta commande. Tu étais magnifique. Tu as bu ton café lentement, très lentement. En partant, tu as dit dans un souffle : « Mademoiselle, je reviendrai faire de vous ma femme ». Et tu es revenu, tous les jours, boire ton café. Nous nous sommes mariés un an plus tard et avons eu une vie bien remplie. Nous nous sommes protégés mutuellement, par-delà les qu’en-dira-t-on, les maladies, les souffrances, les difficultés financières. Ce matin, dans cette même brasserie, les gens courent, virevoltent, téléphone à l’oreille, ne s’entendent plus, ne s’écoutent plus. Le serveur, débordé, râle en rêvant d’un ailleurs. Et nous venons tranquillement prendre notre petit déjeuner.

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Le texte de Ludovic : 

Passeur de plats

Madame Josette venait ici tous les mercredis depuis…

C’était un rituel pour elle, elle connaissait tout le monde, et tout le monde la connaissait. Elle arrivait à 12h10, s’installait à sa table, la numéro 7, et dégustait la douzaine d’huitres et le verre de blanc, que je lui servais sans même qu’elle ne passe commande.  Au début, elle venait avec son mari, Jacques… Puis Jacques est parti alors elle a partagé son habitude avec d’autres… Des dames en général, plus rarement seule…  Puis elle n’est plus venu. J’ai fini par m’inquiéter, elle est devenue plus qu’une cliente pour moi. Alors je me suis rendu chez elle un soir après le service, prendre de ses nouvelles.

Elle n’allait pas très bien… Ses amis, ses amours partaient les uns après les autres, et comme elle le disait : « même mes emmerdes n’ont plus la saveur de la vie… »

De visites en visites, elle a fini par reprendre son rituel du mercredi, toujours seule maintenant, huîtres et vin blanc !

Lui, c’est Paul, un autre habitué. Je le connais moins, pourtant. Il passait ici chaque vendredi soir, de retour d’une semaine de travail loin de la ville.  Son rituel à lui, ballon de rouge, debout au comptoir, et silence! Pas un mot de trop, c’est un observateur Paul. Il regarde, écoute, ne dit rien. Il a lui aussi eu un passage sans venir, lorsque le travail ne rythmait plus sa vie, qu’il n’y avait plus de vendredi, mais seulement des dimanches dans ses semaines…

Et puis, il est revenu, sans véritable fréquence… de temps en temps, mais toujours aussi silencieux, et toujours seul… Les quelques mots qu’il m’a consenti m’ont appris sa solitude, son célibat de toujours, une vie consacrée au travail…

Alors, ce mercredi midi, lorsqu’il est arrivé et m’a demandé s’il pouvait déjeuner l’évidence m’est tombée dessus!  J’ai installé Paul à la table voisine de celle de Josette…

Le service est terminé, la brasserie est vide, je devrais fermer, je nettoie pour le troisième fois la machine à café…  il ne reste qu’eux, qui ont tant à se dire, qui se regardent comme des jeunes premiers, qui se font croire qu’ils ont la vie devant eux… Ils s’inventent une deuxième jeunesse, se rêvent un nouvel amour, le dernier. Alors c’est dire s’il faut le savourer, en profiter, le vivre, et le rendre parfait!

Je laisse trainer le temps, pour eux à qui il en reste si peu, mais qui prennent leur temps malgré tout. Chaque seconde qui leur reste sera délicieuse dans les bras de l’autre.

J’ouvre le carnet de réservations et note 2 couverts pour mercredi prochain, table numéro 7.

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Et voici vos liens :

Jacou : Régime, vous avez dit régime ? 

Titine

Vu de mes lunettes : Apparence

Josette

Passion Culture : Pour moi la gueuze

Saxaoul

Lady Marianne

Adrienne : H comme Henriette

Fred Mili : Faire semblant

Anne-Véronique Herter

 Les tribulations d’une lectrice : Un doux parfum

Païkanne : Ma meilleure ennemie

Stéphie

Aurélia

Pierre : Le Dîner

Cléo : Nous deux

 

 

 

une-photo-quelques-mots1

 

56 Commentaires

  1. milleetunefrasques

    Ludovic : ton texte m’a fichu les larmes aux yeux, tiens ! Trop joli, trop chouette ! Surtout parce que les rencontres, ça devrait être aussi simple que cela 🙂

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  2. milleetunefrasques

    Leil : j’aime beaucoup aussi, la tendresse, l’ironie. Et la dernière phrase : très belle !

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    • Leiloona BricaBook

      Oui, la dernière phrase est la relique d’un texte qui aurait pu être écrit en vers.

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  3. blogadrienne

    un brin de désenchantement, Leiloona, mais c’est sûr que de tels couples existent!
    tu dis très bien les petites exigences, le coin tranquille, la bonne température… 😉
    par contre Roswelette et Ludovic ont traité le sujet avec romantisme, c’est très mignon, on aime croire à ces choses-là 🙂

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    • Leiloona BricaBook

      Oui, je crois que j’ai bien observer « les petits vieux » ! 😀 Merci ! 😉

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  4. blogadrienne

    le lien pour « vu de mes lunettes et aussi celui qui mène chez Titine », faudra que je revienne voir plus tard 😉

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    • Leiloona BricaBook

      Je suis parfois, voire même souvent, d’une incompétence crasse en matière de technologie.

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  5. titine75

    Il est plein de tendresse ton texte Leiloona, très juste aussi sur ces vieux couples qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre même si l’amour est parti depuis longtemps.
    Ludovic : comme toujours, j’aime beaucoup ton texte. Quelle jolie histoire ! Quel beau rapprochement entre deux êtres seuls !

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  6. les tribulations d'une lectrice

    Leiloona, j’aime beaucoup ton textes qui montre les petites exigences de ce couple 🙂
    Roswelette et Ludovic, vos textes sont tout mignons et apportent le sourire pour démarrer la semaine 🙂

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    • Leiloona BricaBook

      Je te remercie ! 🙂 pas eu le temps encore de lire les vôtres … je suis déjà en train de réparer mes erreurs.

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      • Pierre Tovaritch Piotr Dupuis

        d’une manière générale, mon ti coeur a trouvé que la plupart des textes étaient tristes… l’habitude, la séparation, la maladie… Je m’attendais à en voir mais pas autant… SAUVONS L’AMOUR ! ! !

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  7. trezjosette2

    C’est beau cette phrase des gestes millimétrés pour peaux parcheminées…
    beaucoup de tendresse aussi chez Ludovic et une certaine nostalgie chez Rowselette
    je passe ce soir pour lire les autres participations
    bonne semaine à tous
    merci Leiloona

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    • Leiloona BricaBook

      Je te remercie. La dernière phrase vous a touchés, semble-t-il. 🙂

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  8. Anne-Véronique

    @ Leiloona. C’est un joli texte, un regard lucide mais tendre sur les rapports dans un couple après 50 ans de vie commune. j’ai aimé aussi le décalage entre ton choix des mots qui donne beaucoup de modernité à la photo et à ce vieux couple. merci !

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    • Leiloona BricaBook

      Merci, Anne-Véronique … j’ai été tentée d’accentuer ce choix de mots, mais je me suis restreinte, finalement.

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  9. Anne-Véronique

    @Roswelette : quelle bonne idée, tendresse et charme pour ce rdv matinal autour d’un petit déjeuner chic, pour fêter leur rencontre !

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  10. Anne-Véronique

    @ Ludovic, moi aussi toute émue par cette rencontre magnifique ! J’ai envie de rester avec vous et d’admirer leur rencontre, de loin, tellement heureuse pour eux…

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  11. Anne-Véronique

    @Titine : votre texte est plein de charme ! 🙂

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  12. Anne-Véronique

    @ stephie… une belle image d’un couple qui dure ! et très très bien écrit ! je suis fan 🙂

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  13. Anne-Véronique

    @Saxaoul : bien écrit, mais si noir ! votre texte m’a glacé de réalisme cynique…

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  14. titine75

    Leiloona, tu as mis mon lien sur celui de Vu avec des lunettes, c’est Anne-Véronique qui s’en est rendue compte ! Merci !

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  15. Caro Bleue Violette

    @Leiloona : « Gestes millimétrés pour peaux parcheminées ». Joli ! Mais dommage, après tout y-a-t-il vraiment un âge pour refaire sa vie ? 😀

    @Roswelette : une bien jolie histoire 🙂

    @Ludovic : « même mes emmerdes n’ont plus la saveur de la vie… ». J’aime beaucoup cette réplique. Deux solitudes qui se trouvent !

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    • Leiloona BricaBook

      Je n’espère pas, mais je doute que les gens soient nombreux à décider de tout quitter pour vivre autre chose. Les petites habitudes, les enfants à ne pas lâcher, l’autre à ne pas trahir. Et quid de la vraie vie dans tout ça ? Des passions, des rires etc ?
      Les gens sont frileux.

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  16. Anne-Véronique

    Je trouve que c’est une très bonne idée. Dans le fond, nous sommes les vieux de demain (allez…. d’après demain) et cela m’a permis d’augmenter mon empathie pour tes vieux.

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  17. paikanne

    La force de l’habitude s’est incrustée chez plusieurs d’entre nous 😉

    J’aime beaucoup ce « passeur de plats » 🙂

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  18. cleoballatore

    J’ai bien aimé ces textes. Celui de Leiloona est rempli de tendresse. J’ai bien aimé cette chronique douce-amère du temps qui passe.

    Ludovic lui est resté plein d’espoir. Dans ce joli texte, une nouvelle histoire d’amour va peut-être commencer.

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  19. saxaoul

    Leiloona : au moins, cet homme est honnête par rapport à lui même et lucide sur son couple !
    La tendresse du texte de Roswelette et l’optimisme de celui de Ludovic font du bien au moral !

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    • Leiloona BricaBook

      Ah oui, lucide, très, même … je n’arrive pas à me détacher de cette lucidité d’ailleurs …

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  20. Ludo

    Merci à tous pour vos commentaires, tres touchants pour certains. Et toutes mes excuses, je ne voulais arracher de larmes à personne. 🙂 au départ j’avais écrit un texte à trois voix, pour arriver à la meme « chute » mais je n’ai pas réussi a entremêler les voix pour faire progresser le récit. Alors je suis revenu à une seule voix, mais sans être satisfait totalement. Alors vos compliments me touchent beaucoup!

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  21. Ludo

    Leiloona: tres joli texte, qui contient plusieurs formules justes et tellement bien senties, que j’aurais aimé trouver! A la fois piquant et tendre, on s’attache à ce couple, c’est très réussi!

    Sinon, rien à voir mais le lien vers cleo et celui vers Aurelia ne sont pas corrects.

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    • Leiloona BricaBook

      Oh encore ? Mais je suis une plaie décidément ! 😮 Je vais regarder ça …
      Pas eu le temps hier soir de commenter ici, j’étais à l’extérieur de chez moi et ai attendu 2 heures des serruriers.

      Je te remercie pour ce commentaire, pour mes formules justes notamment.

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  22. Leiloona BricaBook

    @ Ludovic : très touchant aussi, très bien vu, et d’un bel optimisme. Quelle belle rencontre ! ♥ Voilà qui donne foi en l’homme et le vie. 😉

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  23. myrtille

    dommage que ces hommes si touchants on ne les rencontre jamais dans nos propres vies … 🙁
    Il y a bien plus de c..finis qui font du mal et blessent que le contraire 🙁 ..

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  24. myrtille

    ton texte leiloona est superbe ..un peu triste cependant ..un peu désabusé …et cela me fait penser à deux personnes …enfin c’est ainsi que je les vois ..se supportant et incapables de se quitter ..se protégeant mutuellement ..pour le meilleur et le pire ..tant pis pour …………

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  25. Fred Mili

    @Leiloona : La tendresse eh oui la tendresse qui remet en question les nous ne vieillirons pas ensemble.
    JC

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  26. Fred Mili

    @ Ludovic : Un super texte plein d’espoir qui laisse présager que tout est permis.

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