Voilà deux heures que ses doigts couraient sur le clavier.
Le dos courbé, les yeux fermés, Juan était dans son monde. Les passants autour de lui n’étaient que des apparitions fugitives, rapidement effacées, toujours remplacées.
Inlassablement les doigts reprenaient le même air une fois le point d’orgue final joué. Quelques secondes, ses mains restaient en suspension, on entendait alors résonner la dernière note. Celle du glas.
Puis de nouveau le même air recommençait.
Gnossiennes. N°1. Satie
Juan jouait lentement, martelant les touches du piano comme les marches qui mènent à l’échafaud.
Le froid commençait à lui engourdir les doigts, il lui aurait fallu une pause : étirer ses doigts, redresser son dos … Mais la musique ne devait pas s’éteindre, elle était le fil qui le maintenait en vie. Grâce à elle, Paula était encore là, à ses côtés.
A chaque début d’air, il entendait de nouveau sa respiration derrière lui. A la cinquième mesure, elle poserait ses mains sur ses épaules, le protégeant alors de ses bras.
A la vingtième mesure, ses cheveux viendraient chatouiller la nuque de Juan. Ses épaules se contracteraient. C’était un mouvement qu’il reproduisait, là, dans la rue, un geste imperceptible pour les passants qui ne s’attardaient guère. Les yeux fermés, il sentait de nouveau son parfum l’envahir. Juan ne pouvait se résoudre à les ouvrir : la magie serait rompue, Paula ne serait plus là.
C’était pour elle qu’il jouait. Là, dans la rue, sa musique envahissait les trottoirs, rebondissait sur les voitures, et montait vers le ciel. Sans les murs, la musique lui parviendrait peut-être alors plus facilement.
Il aurait pu jouer des heures durant.
C’est alors que Juan sentit une frêle main se poser sur son avant-bras gauche.
Sa fille.
Pour elle, ses doigts s’arrêtèrent. Il ouvrit les yeux.
Lucia.
Les yeux et les cheveux de sa mère.
Le sourire aussi.
Leur fille, elle, était bien vivante, il fallait continuer à vivre.
Il redressa alors son dos, étira ses mains, et fit un sourire à cet artiste des rues qui lui avait laissé son pianon et permis cette dernière offrande à Paula.
Lucia lui tendit alors sa frêle main. Elle le sortirait des eaux troubles.
©Leiloona, le 29 avril 2012
Le texte de Brigitte :
Les parents d’Isidore étaient pauvres, et dans leur petite maison, ils n’avaient aucun objet de valeur mis à part un piano que la Maman avait reçu en héritage de sa chère tante Louise, cantatrice à l’Opéra. C’était un très bel instrument, assez ancien, avec des chandeliers en bronze, et comme par magie, il ne se désaccordait jamais. Ce piano, seule la Maman d’Isidore savait en jouer. Quand elle y posait les doigts, les mélodies qui s’en échappaient étaient merveilleuses. Pourtant elle n’avait jamais appris la musique. Elle expliquait souvent au petit Isidore, que s’il était très sage et très gentil, un jour c’est à lui que le piano transmettrait ce don, et que c’est sous ses doigts à lui que le piano se réveillerait.
Malheureusement, à la suite de l’épouvantable tragédie qui frappa Isidore, le piano fut immédiatement vendu une bouchée de pain par le notaire pour régler les frais d’enterrement, et une fois la pierre tombale payée, il ne restait à Isidore rien d’autre que les souvenirs merveilleux de toutes les mélodies magiques jamais apprises, qui avaient bercé sa petite enfance.
Isidore, pauvre petit orphelin, fut donc placé par la DDASS dans diverses familles d’accueil. Il était tellement doux, tellement sage, tellement gentil, qu’il fallait le changer de famille souvent, parce que ses parents d’accueil s’y attachaient tant, qu’ils voulaient tous l’adopter. Mais Isidore ne voulait pas être adopté. A vingt ans, il était devenu artiste. Il créait des personnages dans une société de bandes dessinées et il adorait son métier. Un beau jourd’été ensoleillé, dans un parc où il observait les promeneurs en quête d’inspiration, son regard croisa celui d’Adeline et ce fut le coup de foudre absolu. Ils s’aimèrent immédiatement, et décidèrent de se marier 6 mois plus tard. Ils s’aimaient tant que de cette belle idylle naquit la petite Marie. Leur bonheur était parfait. Mais une nouvelle tragédie, vint frapper Isidore : Adeline un an après la naissance de Marie fut atteinte d’une épouvantable maladie, et fut emportée en moins de 2 mois.
La vie malgré tout continua pour Isidore et Marie. Leur emploi du temps était bien réglée. Il y avait l’école, il y avait les dessins, il y avait les promenades au parc.Chaque année pour l’anniversaire de la mort d’Adeline, ils se rendaient au cimetière avec un gros bouquet de roses blanches.
Un jour, sur le chemin du cimetière, Marie avait 6 ans, ils se sont retrouvés bloqués par un camion de déménagement. Une équipe de colosses vidait un monstrueux camion de son contenu, avant de s’engouffrer par la porte cochère d’un vieil hôtel particulier. Et là Isidore ressentit l’émotion la plus vive depuis longtemps. Devant lui, au milieu du trottoir, le piano de sa Maman lui barrait le passage … Il attrapa le tabouret qui était posé à côté, s’assit, ouvrit le couvercle, et posa ses mains sur les touches blanches et noires jusque-là totalement inconnues de lui. Il ferma les yeux, et entendit à nouveau les mélodies de son enfance, celles que sa maman lui jouait. Quand il rouvrit les yeux il s’aperçut que c’était ses doigts qui volaient d’une touche à l’autre, et que c’était ses propres mains qui jouaient. Il n’avait jamais appris la musique. Sa Maman avait donc dit vrai, le piano l’avait reconnu, il était vraiment magique …
Il contacta le propriétaire pour savoir combien il en demandait, et le vieil homme lui dit que ce pauvre instrument était complètement désaccordé, que personne ne parvenait jamais à en sortir un son correct, et qu’il serait ravi de s’en débarrasser pour une bouchée de pain. Il demanda même aux déménageurs de le porter gratuitement chez Isidore et Marie.
Depuis ce jour, Isidore continue de dessiner pour gagner sa vie, il refuse de parcourir les salles de concert avec son piano, cette magie n’appartient qu’à eux. Après lui, le piano sera pour Marie, et à son enfant après elle, mais personne d’autre ne pourra l’entendre ni le toucher.
Et voici les liens qui mènent aux autres textes écrits à partir de la même photo :
Insatiable : Le rêve
Amélie : Traces
Soène : Sylvain
Zelda : I have a dream
Heide : Une valse inachevée
Emidreamsup : Une note de liberté
Lilou : Alicia
Jean-Charles : rue du pianiste
http://0z.fr/TbzMe
avec le sourire
à tantôt
lilou
A tantôt
avec le sourire
A tantôt
Avec le sourire
Mon lien un peu après comme d’habitude, mais j’ai refait ce texte parce que le premier était trop violent. A bientôt et bonne reprise.
http://hisvelles.wordpress.com/2012/05/01/2026/
lien vers mon piano
http://jetonslencre.blogspot.fr/2012/04/une-photo-quelques-mots-37-le-piano.html
je m’en vais lire vos textes
@ bientot
@ Brigitte, cette façon bien à vous d’avoir écrit cette histoire l’a rend encore plus d’un autre monde
mais je tenais à l’écrire
car une musique s’imposait
http://jetonslencre.blogspot.fr/2012/04/une-photo-quelques-mots-37-le-piano.html
je vais vous lire
@ bientôt
grrrr……
http://jetonslencre.blogspot.fr/2012/04/une-photo-quelques-mots-37-le-piano.html
@ plus
Je reviendrai lire le texte de Brigitte