Alice porte la vie derrière son nombril depuis bientôt neuf mois. Elle est heureuse, comme doit l’être une future mère. Heureuse et impatiente. Classique, me direz-vous. Surtout les dernières semaines, lorsque vous découvrez l’existence de votre nerf sciatique et de votre propension à la rétention d’eau.
Bref, Alice est impatiente. D’autant qu’elle est bien loin d’imaginer le drame qui l’attend…
Oups, les premières contractions se font sentir.
Clara, sa compagne, déclenche le chronomètre de sa montre. Cinq minutes d’intervalle, lui rappelle-t-elle. Cinq minutes d’intervalle avant de se précipiter à la maternité, et non quinze…
Alice tient une chocolaterie fine. Une boutique où les bouchées de praline sont disposées sur du papier de soie et serties de brisures de feuille d’or. Une boutique tenue de mère en fille, depuis cinq générations. Mais ce qui passionne avant tout Alice se trouve à l’arrière de la boutique, dans une grande pièce baptisée La chambre des délices. Tout se conçoit ici. A l’image d’une suite nuptiale et de l’effervescence charnelle des ébats, les mélanges s’y enlacent. Fèves concassées, sucre, cannelle, nougatine, caramel…
Aïe, les douleurs se font plus aigües et la fréquence est tombée à dix minutes…
Claire, elle, est représentante en fruits secs. Les plus raffinés qui soient. Les amandes Avola, les noix de Macadamia, les pistaches de Bronte… Elle visite les commerces de bouche de tout le pays, connaît les meilleures pâtissières, les cheffes cuisinières les plus étoilées, la moindre hôtelière ayant pignon sur rue. Mais Claire n’a encore jamais rencontré Alice. C’est au détour d’un article de presse spécialisée, vantant la qualité d’exception de la chocolaterie, que la représentante décide d’aller y proposer ses coquilles. Le coup de foudre est immédiat, envoûtant, submergeant. Le soir-même, elles dînent ensemble. La nuit, elles s’aiment avec passion. Et les jours suivants s’écoulent ainsi. Rapidement, elles emménagent au-dessus de la chocolaterie. Se mettent à parler voyage, mariage, mais surtout, surtout, avant et plus fort que tout, enfantement. Comme un besoin viscéral d’offrir l’amour qu’elles ont en quantité folle. De voir grandir l’enfant que la science leur permettrait d’avoir…
Ouh la la, les contractions, toutes les cinq minutes. Il est temps. L’heureux événement, qui n’en sera pas un, approche…
Clara prend le volant. Alice, le siège passager.
Elles se souviennent alors, entre émotions, rires et contractions, de cette mention ajoutée à leur dossier par l’obstétricienne : “Embryon d’exception pour femmes d’exception.”
Elles entrent en salle d’accouchement.
La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. La douleur. Les cris. La douleur. La douleur. La douleur. La douleur…
Puis, l’enfant.
Et, entre ses jambes, un petit bout.
Quelques millimètres à peine qui pendouillent.
Quelques millimètres, c’est énorme. Et surtout, ce n’est absolument pas dans l’ordre des choses. Pas en ce temps où seules les femmes existent depuis plus d’un siècle.
Le drame a eu lieu.
C’est un garçon.
Ce qui m’a amusée, je l’avoue, c’est de laisser présager le pire. Et puis, aussi, de faire de la femme un être égotique et « misandrique ». (Ca change de l’homme misogyne tant décrié 😉 )
Vive les garçons !
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h26
Un texte bien rythmé, plein de vie, très plaisant à lire. Merci.
Ce n’est pas un drame ! c’est « un avènement » ! Un retour dans l’ordre des choses. Si j’ai bien compris seule la femme a résisté à je ne sais quoi et ce depuis plus d’un siècle ! Pour ma part, je crois que j’accueillerai ces quelques centimètres comme un cadeau ! N’empêche que j’ai beaucoup aimé le rythme de votre texte qui nous amène jusqu’à la salle de travail et à la déception de ces 2 mamans ! Bravo !
L’image m’a amenée à l’idée du sexe unique. Une sorte de dystopie. Une triste dystopie ! Enfin, de notre point de vue de femmes d’aujourd’hui… Merci pour votre lecture et commentaire, Marlabis !
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 17h55
J’ai beaucoup apprécié ce texte. Il a beaucoup de rythme, une belle ouverture, et une chute surprise. Un monde de femmes ? J’aurais aimé être ce garçon…
Merci, Cloud ! Mais attention, je ne sais pas si l’avenir de ce petit gars est enviable… Mon imaginaire avait continué à courir un peu, et plutôt du côté émasculation ou fausse identité sexuelle. Sorry ^^’
Merci beaucoup, Photonanie ! Et je confirme qu’un petit garçon, c’est chouette, j’ai un magnifique exemplaire, 12 ans d’âge, à la maison 😉
Manue
sur 6 novembre 2019 à 15h57
Mummmmm ça me rappelle un film, Le chocolat, pour la description de la boutique. Texte gourmand donc et drôle de part sa chute. Par contre je ne vois pas bien le lien avec la photo, enfin si, mais de loin !!!
Merci pour la comparaison ! Moi qui aime tant le cinéma (et le chocolat 😉 )
Il y a un autre film, aussi, que j’ai beaucoup aimé, et qui a pour toile de fond une chocolaterie : Les Emotifs anonymes (avec Benoït Poelvoorde).
Sinon, c’est vrai que pour la photo, le seul lien est le fait que l’enfant photographié soit une fille…
Cloud
sur 3 novembre 2019 à 23h19
Je cite ici un extrait du « Guide Touristique de l’Anjou pour Vacanciers Inquiets« (Editions Plombs) :
« Dans notre région, on appelle « fillette » un contenant de vin dont la capacité est de 37,5 cl. Si dans un bar, vous entendez dire : « Avec Paul, on vient de descendre une dizaine de fillettes ! », n’appelez pas les gendarmes, mais éventuellement un médecin.
De même si des jeunes vous crient « Anjou ! », n’ayez pas peur, la plupart du temps, c’est orthographié en un seul mot. »
Pour moi ce sera une fillette d’Anjou pour l’apéro alors 😉 Texte clair, net et sans bavure 😀
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h00
Après les gourmandises un petit verre d’Anjou ! Atelier gourmand cette semaine !!! J’aime beaucoup (le texte !), l’atelier aussi !!!
Sandra
sur 4 novembre 2019 à 1h10
L’équilibre n’existe pas
Sur son fil, le funambule quitte la terre, s’évade dans les airs. Le vide ne l’effraie pas. Il aiguise ses sens et le galvanise. Si sur le plancher l’artiste bute à trouver sa place, là haut il se révèle. Il découvre l’essence de son existence. A cent soixante mètres au dessus de la vallée, sur cette corde tendue entre deux promontoires, il n’a pas d’autre choix, pour rester en vie, que de s’ouvrir au monde, de s’y accorder et d’en devenir un élément.
Il saisit alors que rien ne dure, que l’équilibre n’existe pas. S’il le cherche il tombe. Il comprend que seul le mouvement importe pour la vie, celui de chacune des parcelles de son corps et celui de son balancier, tout comme celui de la Terre autour du soleil.
Ses instincts lui rappellent : Surtout ne pas se figer ; Toujours rester mobile. Ses gestes fluides et souples s’harmonisent avec tout ce qui l’entoure créant une chorégraphie cosmique subtile pour une traversée unique.
C’est à l’avènement de cette lente danse poétique qu’advient la liberté. Une liberté si intense que ses vibrations aux couleurs de rêve et d’espoir rayonnent jusqu’aux badauds, restés cloués au sol, les yeux rivés au ciel, le souffle encore suspendu.
Céline
sur 4 novembre 2019 à 6h41
Joli détour de cette photo
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h21
Belle écriture qui s’élève au-dessus des contraintes photographiques ! Bravo
La photo vue à travers un autre prisme, c’est sympa et poétique.
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h03
Très joli texte avec de belles images.
Céline
sur 4 novembre 2019 à 6h38
Bonjour,
Me revoici après ces deux semaines de vacances.
Voici mon texte :
Tout le monde ne jurait que par la fameuse petite robe noire mais il y a bien longtemps qu’elle ne l’avait plus dans sa garde-robe. Ce soit-disant intemporel de la mode n’avait pas sa place parmi l’arc-en-ciel de ses tenues excentriques.
Pourquoi se contenter d’une seule couleur si sombre soit-elle alors qu’il en existe tant ?
À l’uniformité, elle choisissait le camaïeu sans aucune hésitation.
Sauf… sauf pour la pièce maîtresse de son dressing…
Sauf… sauf pour cette petite robe blanche qui constituait à ses yeux son indémodable, son classique de la mode, son symbole de l’innocence.
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h29
La garde-robe et son jeu de couleur, original. Beau texte.
Céline
sur 4 novembre 2019 à 18h25
Merci, un peu/beaucoup inspiré de ma propre garde-robe
Bonjour Céline, chez moi pendant les vacances malgré les petits pas effrénés je tente de prendre plus le temps d’écrire justement. Plus de dispositions mentales peut être, maisil me souvent quand mm plusieurs jours de relâchement! J’aime beaucoup ton texte bien plus optimiste que certains autres… :)La garde robe minimaliste?
Céline
sur 4 novembre 2019 à 18h32
Bonjour, la plupart du temps j’écris mon texte presque d’un seul jet dans le train du lundi matin. Je prends un peu de distance avec les réseaux sociaux et le téléphone pendant les vacances.
Pas forcément minimaliste la garde-robe car la mienne est plutôt bien fournie et tout en couleurs.
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h02
Bien vu ce blanc symbole de l’innocence et d’une même fraîcheur que le texte.
Bien vu l’opposition en noir et blanc comme la photo…
Kroum
sur 4 novembre 2019 à 22h07
Bonne idée de proposer une couleur de robe à contrecourant de la mode habituelle ! Bravo Céline !
Sandra
sur 5 novembre 2019 à 23h10
On sent une femme pétillante avec sa garde robe camaïeu! Une approche de la photo par les couleurs sympathique.
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h07
Idée originale ! C’est vrai ça, et pourquoi pas la fameuse petite robe blanche !!!?
Kroum
sur 4 novembre 2019 à 7h08
« Quand je serai grande,
je serai une fée,
et pour qui me le demande,
très volontiers j’actionnerai
ma baguette magique
du bout de mes menottes bien énergiques.
Quand je serai grande,
je serai une Princesse,
parfumée à la lavande
avec de grandes robes qui virevolteront sans cesse,
à la recherche d’un prince charmant
qui m’aimera passionnément. »
Ça c’était ses souhaits d’avant.
Aujourd’hui,
elle est grande et s’approche à grands pas
de l’automne de sa vie.
Celle-ci fut parsemée de combats
et de rires aussi.
De grands enfants
qu’elle aide à débuter professionnellement.
Des amours et amitiés,
qui sont venus s’y greffer
qu’elle a cultivés
à chaque fois avec intensité.
Une stabilité au travail difficile à trouver
jusqu’à ce qu’elle ouvre ce cabinet de reiki
dans cette ville du sud qu’elle chérit.
Et pendant ses longues pauses déjeuners,
elle n’hésite jamais à venir me retrouver
pour faire l’amour dans notre chambre à volets fermés.
Qu’il pleuve, vente ou en temps caniculaire,
la terre continue à tourner
avec des clowns tristes qui se maquillent d’un sourire pour se donner un air
dans ce cirque de la vie à affronter.
Mais aucune importance,
car il existe quelque part
sur cette terre d’abondance,
une chambre aux volets fermés
où faire danser nos deux corps brûlant d’impatience.
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h41
A la fois léger, torride avec un brin d’actualité, merci pour cette belle lecture.
Adieu les rêves d’enfance et son insouciance, bonjour la vraie vie qu’il faut découvrir, affronter, choyer, apprécier, préserver… La vie quoi !
Bravo et merci !
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h24
Entre l’imaginaire de l’enfance et cette vie d’adulte semblent demeurer l’enthousiasme et la fraîcheur. Ce genre de pause déjeuner me fait plus rêver que la cantine… Un beau texte.
Ah, j’aime beaucoup ! Quand on aime c’est comme ça que devrait être la vie, et ce jusqu’au bout du chemin !
Merci Kroum, ce fut un grand plaisir de te lire.
A bien y réfléchir, je pense qu’elle a toujours fait partie de ma vie. Mais elle était tellement espiègle, légère et frivole, qu’elle devait se fondre au milieu des convives, invités à chacun de mes anniversaires. Elle n’avait pas de visage, pas de taille, pas de consistance. Elle se matérialisait juste par cette joie de vivre, par ses facéties subtiles, par son optimisme face à toute épreuve et son côté totalement imprévisible. Elle avait d’ailleurs cette capacité de disparaitre sans même que personne ne s’en aperçoive.
Je crois que c’est le jour de mes 26 ans que j’ai vraiment réalisé qu’elle était là. C’était donc mon anniversaire et je portais ma petite fille âgée de 10 mois sur mes genoux. Il m’a semblé la voir. Elle était là devant moi, aussi transparente qu’un fantôme. Elle semblait comme s’étioler au fil des âges. Je m’attendais à ce qu’elle file comme une sauvage comme à son habitude. Mais c’est alors que je m’aperçus que son attention était ailleurs. Je n’étais plus son centre d’intérêt, elle venait de le remplacer par mon enfant qui la scrutait comme émerveillée.
L’instant d’après j’eus l’impression de la voir détaller, emportant dans son sillage un bon nombre de mes soucis. Il me semble encore entendre son rire cristallin qui tintinnabule à mes oreilles.
C’est à mon dernier anniversaire que j’ai enfin compris…
Comme toujours, nous étions nombreux. A mes côtés se trouvaient ma fille et son bébé. Quand elle arriva, à nouveau je remarquais son regard comme fasciné par celui du nouveau né, qui à son tour lui souriait en babillant. Ainsi, la roue continuait à tourner.
Intérieurement, je su enfin la nommer. Elle est cette indolence, ce laisser-aller qui nous habite jusqu’à une certaine prise de conscience, jusqu’à l’acquisition de la maturité : l’Insouciance.
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h47
Etonnant. Très beau texte sur le thème de l’insouciance. Bravo.
J’ai eu l’impression pendant toute la lecture qu’un ami imaginaire était décrit. Puis j’ai mieux compris et relu. l’insouciance évoqué avec la sagesse du temps qui passe. très agréable!
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h27
C’est beau un hymne à l’insouciance. C’est si rare et connoté souvent de tant de suspicion. Merci pour ce texte.
Belle interprétation au départ de la photo. Moi aussi j’ai cru à un fantôme, visible seulement des mamans…
Sandra
sur 5 novembre 2019 à 23h22
Un texte profond dont j’ai saisi la portée à la fin de ma première lecture et que j’ai savouré à la deuxième lecture.
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h14
Très, très, très jolie idée !
Kroum
sur 4 novembre 2019 à 7h44
Très joli ton texte et cette belle description de l’insouciance. Bravo Marlabis !
Manue
sur 4 novembre 2019 à 7h50
Atelier 347
Chaque pas avait été difficile, aussi longtemps qu’elle s’en souvienne. Et, au fur et à mesure des années, elle avait développé un don hors du commun, son corps, qui ne pouvait sentir sur quoi ses pieds reposaient, avait été remplacé par son cerveau, qui était capable d’analyser dans les moindres détails la nature de tout type de sol. Un regard suffisait.
Une immense carrière s’offrit à elle quand elle réalisa qu’elle était la seule au monde à posséder cette faculté. Elle commença modestement chez un célèbre vendeur de moquettes, mondial, où son rôle se bornait au simple conseil d’achat pour des clients plus soucieux de la couleur de ce qu’ils allaient acheter que de ce qu’ils allaient ressentir sous leurs pieds. Rapidement son premier patron remarqua que sa vendeuse avait l’œil, elle pouvait décrire avec force détails les qualités et les défauts de chaque rouleau de moquette ou linoléum qui entrait en magasin, sans même le toucher, juste en restant dans son fauteuil. Elle savait d’un regard la rugosité et la douceur d’un sol, s’il allait être glissant ou si au contraire il était possible de trouver des appuis sûrs malgré son épaisseur ou son moelleux. Son ascension au sein de l’entreprise fut fulgurante. Chaque année elle faisait plusieurs fois le tour du monde, les petits fabricants des souks la redoutaient plus que n’importe qui tant elle était capable en un instant de rejeter toute une saison de travail pour un poil ou deux mal tissés selon eux, pour une qualité de soutien pour les pieds pas optimum selon elle. Elle était capable de sélectionner les achats pour tout le groupe en quelques heures passées en Chine, en Inde ou en Amérique du Sud. Un tel succès ne se fait pas sans bruit, et elle devint vite indispensable aux grands couturiers qui voulaient des podiums les plus extravagants mais possédant assez de stabilité pour les échasses des mannequins, indispensable aussi aux architectes qui construisaient hôpitaux et bâtiments publics pour accueillir un public varié, se déplaçant plus ou moins facilement.
Elle devint richissime. Pourtant, pour elle, poser le pied par terre était toujours un problème que son corps ne savait pas résoudre. Sa souffrance restait muette tant il était difficile d’expliquer que contrairement au commun des mortels, elle marchait avec son cerveau et non ses sensations. Personne ne pouvait comprendre tant elle était devenue une experte du moindre sol qui tombait sous ses yeux. Et ce jour-là justement, devant les photos d’une exposition à laquelle elle s’était difficilement rendue (les trottoirs étaient mouillés, donc glissants, les passages piétons et leur peinture moderne encore plus, et les marches dataient de plusieurs siècles, irrégulières, lisses parfois, rugueuses là où il était compliqué de poser le pied), elle se demandait comment il était possible que cette fillette marche ainsi alors que le bitume sur lequel elle déambulait était fissuré, qu’il paraissait spongieux et qu’il lui semblait aussi en pente. Elle s’imaginait dans ce corps qui ne réfléchissait pas, qui vivait juste l’instant sans se soucier du suivant, et ne put retenir ses larmes devant cette facilité à laquelle elle n’avait pas accès. Tous autour d’elle déambulaient sans y penser alors qu’elle devait elle faire attention aux moindres anfractuosités du magnifique parquet ancien de la galerie. Enfin, finalement assise devant cette photo qui lui semblait étrangère, elle se demanda si un jour elle trouverait sa légèreté à elle. Cette insouciance si naturelle à beaucoup qu’elle s’appliquait à reconstruire chez elle. Son cerveau était capable de voler, de danser, d’imaginer la grâce d’un geste, mais c’est au bras de sa fille qui l’accompagnait qu’elle repartit, la tête pleine de doux espoirs pour son corps en difficulté.
Anne-Marie
sur 4 novembre 2019 à 9h52
Très original, le texte colle bien à la photo, un vrai plaisir de lecture.
La tache blanche m’indifférait, je ne voyais que la route qui se déroulait comme un long ruban gris devant mes yeux et me faisait penser à ma vie. Même les cicatrices des accidents de parcours s’y trouvaient. Oh, certains avaient bien essayé de faire de petites réparations, inutiles, de mettre des emplâtres qui ne tenaient pas longtemps, gaspillage.
Le film venait de se terminer sur cette image. J’avais machinalement éteint la télé et j’en étais là de mes pensées bien sombres, au moins autant que le temps que je devinais derrière les rideaux.
Pas envie de bouger ni de sortir, peur d’avoir froid, d’être mouillée, d’attraper la mort quoi. Un comble en période d’Halloween où on voyait ses émissaires à tous les coins de rue, dans toutes les vitrines de magasins…
Le vent faisait trembler les feuilles encore en place. Les oiseaux se cachaient dans les haies pour se protéger de la pluie et la lumière déclinait d’heure en heure. Saloperie d’heure d’hiver!
La température extérieure restait légèrement positive contrairement à mon moral. Oubliées les couleurs éclatantes de l’été ou joliment mordorées de l’automne, bienvenue dans l’hiver en noir et blanc.
Il fallait réagir, et vite, pour ne pas sombrer. Faire une bonne flambée dans la cheminée, faire couler le café et inviter le chat à se pelotonner, bien calés dans le canapé. Quelqu’un pourrait-il me dire pourquoi les humains ne sont pas programmés pour hiberner?
Je suis petite ? Et alors ! C’est pour ça qu’il n’y en a pas dans mon ciboulot ! J’ai fait Sciences Po, moi, Madame, et une école de journalisme par là-dessus, et maintenant je travaille pour une grande chaîne d’infos. D’ailleurs, là, je cours, je me précipite, le président va sortir par cette petite rue, c’est l’un de mes contacts à l’Elysée qui me l’a dit. Je me suis fait chic pour le rencontrer, le président, une petite robe blanche c’est bien mieux qu’une petite robe noire, mais ça, les plus grandes que moi ne le savent pas, et c’est ce qui fait ma force dans la jungle du métier : mon originalité et mon instinct ; c’est pour ça qu’ils m’appellent « La Grande » et c’est bien vrai, ils ne m’arrivent pas à la cheville tous autant qu’ils sont. Qui c’est qui a surpris la Première Dame en train de s’acheter un petit haut à huit euros chez H&M ? C’est moi ! Qui c’est qui a coincé le Premier Ministre en train d’essayer de se teindre la barbe en bleu dans sa salle de bain ? C’est encore moi, et qui c’est qui a interviewé l’ex président assis sur son pèse personne et en pleurs à cause de sa prise de poids ? C’est toujours moi !
Alors vous qui me traitez de petite là, suivez-moi ! Oui, suivez-moi avec vos grandes jambes qui ne courent pas bien vite, et si je n’arrive pas à obtenir une diminution de 70% sur les impôts des français auprès du Président, là vous pourrez me traiter de minus !!
Chère petite souris, (parce que c’est comme ça que je te représenterais si je devais te dessiner… Futée, agile, rapide et efficace en plus ! ), merci pour la vivacité de ton écrit !
La teinte monochrome s’était emparée du paysage environnant. Peu d’embarcations étaient amarrées dans ce petit port. Quelques vaguelettes s’aventuraient sur l’asphalte. La mer n’était jamais agressive dans le chenal. Elle se contentait d’onduler et de balancer les quelques bateaux, canots et voiliers abandonnés par les marins.
Appareil photo en bandoulière, je déambulais sans but. Peu à peu, je ressentais comme un étirement de l’espace-temps. Cette sensation se distillait insidieusement. J’étais comme absente de toute réalité. En ce jour d’été, mes pensées s’étaient teintées de la couleur du temps.
Lasse de mes réflexions, divagations et digressions… Je reportais mon attention sur mes essais photographiques bien modestes à ce stade de mon apprentissage. Ma passion pour quelques captures d’images vaincrait cette mélancolie qui, aller savoir pourquoi m’avait saisie ?
Le noir, le blanc apporte une puissance, une profondeur à l’image. Pourrait-on dire de la couleur qu’elle distrait le regard ? L’objectif fiché à mon œil, j’appuie sur le déclencheur au hasard de mes errements du jour. Je n’arrive pas à me déterminer : « noir et blanc ou couleur ». Mais, quelle importance, me direz-vous ! Ou l’image s’imposera d’elle-même ou pas !
L’art photographique est absolument fascinant par son instantanéité. J’aperçois cette petite fille en robe blanche, baskets aux pieds et, ma journée s’illumine. Elle court vers les mouettes aperçues au bord du rivage. Comment ne pas saisir cet instant. Il y a tout dans cette image : la vie, la liberté, un instant de pure beauté.
De la photo N&B nait toute une atmosphère… Bravo Anne-Marie pour ce bel instantané qui raconte l’essentiel.
Anne Marie
sur 4 novembre 2019 à 18h50
Merci Laurence, je viens de découvrir ton texte. Écriture delicate, des personnages qui prennent vie au fil de notre lecture jusqu’à cette chute dramatique, triste rêve prémonitoire….
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h39
Ton texte est un bel hommage à la photo. D’une émotion ressentie à la contemplation d’un résultat, d’une image. Entre les deux, il y a eu « l’instant décisif » comme disait Cartier-Bresson, celui du déclencheur. Bravo, j’aime beaucoup ta démonstration.
La photo prise à l’instant T d’une réalité déjà dépassée… Je connais et pratique le noir et blanc ou la couleur, c’est selon ce que je ressens 🙂 Un texte qui me parle en tout cas.
Kroum
sur 4 novembre 2019 à 22h13
Super idée d’écrire sur le noir et blanc de cette photo. De plus, tes mots sont raffinés, bravo Anne-Marie !
Sandra
sur 5 novembre 2019 à 22h43
J’apprécie beaucoup les idées abordées dans ce texte. Cette manière de rester ouvert à l’inattendu, à l’instantanéité…. de saisir ces instants magiques de vie…..
bel éloge de l’art photographique.
On sent l’œil affuté de la photographe dans ce jolie texte.
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h26
J’aime vraiment beaucoup… C’est doux. Je me retrouve dans ce que tu écris, rester à contempler et saisir soudain l’instant pour mieux se souvenir ensuite. Merci !
Ce dernier été passé ensemble, selon le temps qu’il faisait on se retrouvait soit chez Paul qui habitait un grand appartement sous les toits, soit sous le tilleul au fond du jardin de Clément et c’était celui qui aurait le privilège d’être assis à côté d’Hélène. Moi, je préférais lui faire face. Dans la pénombre, on allumait des bougies et les ombres sur les murs prenaient vie au fil des histoires que racontait Hélène. Elle-même avait le visage brouillé de mille signes, des rides apparaissaient sur son front lisse, ses yeux devenaient démesurés, sa bouche s’agrandissait, je pouvais voir ses dents, sa langue et toutes les moues tordues qu’elle affichait au changement de sa voix, à chaque mimique.
Les ambiances sinistres avaient sa préférence et si nous évoquions l’idée de changer de registre – par exemple regarder des séries glauques sur Netflix – , elle se levait d’un bond, et sa démarche, ses gestes – surtout quand elle allumait sa cigarette et la portait à sa bouche – , étaient joués avec emphase. Elle avait le sens du drame, aimait s’y complaire, surjouait avec un plaisir évident. Et le nôtre était celui de l’écouter et pour celui qui se trouvait à côté d’elle, la perspective de l’effleurer amplifiait la satisfaction.
Moi, je la dessinais. Avec tous ses petits défauts et ses grandes qualités. J’aurais pu croquer la malice de ses yeux, l’expressivité de ses yeux, sa gestuelle autant de fois que nécessaire, j’avais le sentiment qu’elle m’échappait toujours.
La seule fois où j’étais parvenu à saisir l’expression de son regard, elle racontait le rêve qu’elle avait fait la nuit précédente. Je me souviens du vent qui soufflait fort à travers les interstices des volets et la pluie d’orage qui battait tout aussi fort. L’air sentait le tabac froid et le joint que nous venions de partager. Hélène parlait bas, moins expansive qu’à l’accoutumée, comme encore imprégnée du rêve qui, la veille, l’avait maintenue éveillée de longues heures. Ses bras encerclaient ses jambes relevées. De sa voix perlait l’inquiétude. Elle disait que son rêve n’avait rien d’un rêve, c’était comme si elle avait su avant même de voir. Voir quoi, avait demandé Clément. Et Hélène avait répondu dans un souffle ténu, la route, celle qui mène au funiculaire. Puis, après une pause qui l’avait faite frémir, elle avait ajouté y avoir vu une fillette. Et sa voix avait l’intonation montante dénotant l’affolement. La fillette sur la route, disait-elle, la fillette c’était ma sœur. Ma sœur dans sa petite robe d’été. Elle courait, comme elle le fait souvent, avec ses bras qui deviennent balancier, comme pour l’aider à maintenir son équilibre. Elle courait au milieu de la route et j’avais beau lui dire de s’arrêter elle ne m’entendait pas.
A ce moment-là, Hélène m’avait regardé et j’avais saisi au fusain et d’un trait fiévreux, la lueur inquiète de son regard, le pli soucieux entre ses yeux, la ligne mince de ses lèvres affaissées. Et comme elle mettait du temps à poursuivre, on l’avait pressée de questions, puis on avait plaisanté et tenté de dérider son visage soucieux avec quelques bières et on avait de nouveau fumé. Et lorsqu’elle s’était endormie on s’était un peu battus pour savoir qui dormirait contre elle. Allongés sur les matelas, rassurés par la chaleur des uns et des autres, on avait dormi jusqu’au début de l’après-midi.
C’est la sonnerie de son téléphone qui nous avait réveillé. Le fait même que le père d’Hélène l’appelle nous avait surpris, puis au son de sa voix, en écho au rêve qu’elle avait fait, on avait saisi le drame nous percuter comme un présage négligé.
Belle ambiance et chute tragique… Bon contraste entre les deux ambiances.
Kroum
sur 5 novembre 2019 à 0h20
Je savais qu’il me fallait me poser tranquillement pour lire ton texte à la chute d’une grande gravité. Bravo pour cette prouesse d’écriture laurence delis !
Cloud
sur 5 novembre 2019 à 19h03
Beau texte dramatique. La conteuse qui raconte est fort bien dessinée. La chute tombe comme une surprise malgré le décor. J’ai vraiment bien aimé cette lecture. Merci.
Sandra
sur 5 novembre 2019 à 22h25
J’aime ces descriptions, où les détails sensoriels nous plongent dans une ambiance. La chute crée un effet intéressant… une touche d’angoisse qui tranche avec le reste du texte.
Manue
sur 6 novembre 2019 à 16h28
Plus je lisais, plus je sentais qu’une tension dramatique était en train de s’installer. Ton texte est vraiment réussi.
Terjit
sur 4 novembre 2019 à 10h35
Bonjour à tous, bon début de semaine.
« Mains propres »
Vue du sol c’est une enfant qui court. Vue à 12000 kilomètres par la caméra du drone c’est une silhouette qui menace la réussite de la mission.
Steve est là pour anéantir tout risque pouvant mettre en danger le commando au sol. Sur la gauche de l’écran il voit très bien les deux groupes de 10 se préparant à intervenir derrière le mur d’enceinte, au centre la maison dans laquelle est retranchée la cible et sur le toit les trois sentinelles armées assurant la sécurité.
La réussite de la mission est basée sur l’effet de surprise, alors quand Steve a vu quelqu’un courir vers la maison il a prévenu le chef du commando : « Individu courant vers cible, 150m, attente instruction ». La réponse fut aussi brève que définitive : « Assaut après destruction ». L’index de Steve pressa deux fois la gâchette du joystick, 12 secondes plus tard l’écran satura cinq secondes par l’effet du flash de lumière : cible détruite.
Les sentinelles furent tuées avant d’avoir compris quoi que ce soit, le commando se précipita dans la maison, l’effet de surprise avait réussi. Dans son casque Steve entendait tout de l’assaut : les tirs nourris, les déflagrations, les cris, puis plus rien, juste la voix du commandant appelant ses hommes un à un : aucun ne manquait à l’appel.
L’hélicoptère d’évacuation arriva une minute trente après la fin de l’assaut, embarqua les hommes et disparu de l’écran. Steve attendit encore une minute par sécurité et pressa cinq fois sa gâchette pour détruire totalement l’objectif. Il prit le temps de laisser la fumée se disperser pour s’assurer que plus rien n’était debout. Un trou remplaçait le bâtiment, plus rien ne bougeait : mission accomplie.
Steve regarda sa montre, il était déjà 15h30, il fallait qu’il se dépêche de ramener son drone à la base pour être à l’heure à la sortie de l’école.
Le récit est aussi glacial que celui de la semaine dernière. On y retrouve le cynisme d’un devoir accompli sans état d’âme. C’est tout ce que je cherche à fuir. Et pourtant, j’aime beaucoup ces textes…
Il arrive un moment où dans les souvenirs, l’on arrive à puiser ce qui est doux, ce qui est beau sans pour autant perdre cette terrible douleur, mais permet de continuer à tenir debout.
Merci pour ce texte poignant.
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h50
Le texte est fort et douloureux. Il n’y a pas de fatalité. On lui souhaite de belles futures rencontres.
A chaque fois que j’allais voir ma petite mère,
je souffrais de la voir ainsi.
Ni nue ni habillée. Une espèce d’entre deux.
Comme dans sa tête.
Ni vraiment là, ni tout à fait absente.
Et cette blouse ouverte dans le dos
Béante de bas en haut
Ne cachant rien de la laideur
Oubliant tout de la pudeur
Je ne veux pas que tu la mettes
Juste la réduire en miettes
Et te couvrir de dentelles
Pour que tu sois la plus belle
Lors de tes déambulations
Dans ce couloir
A la recherche de ta mémoire
Maman n’est plus là. J’ai rangé ses dentelles.
Mais je me souviens.
Comme j’aime ces dentelles évoquées qui couvrent si bien ce qui est si difficile à voir…
Elles rendent plus douce l’image de petite mère amoindrie…
Merci.
Céline
sur 4 novembre 2019 à 18h35
Magnifique !!!
Cloud
sur 4 novembre 2019 à 18h52
Particulièrement émouvant et superbement écrit. Bravo et merci.
Émouvant ce texte qui décrit une situation que l’on vit tou(te)s un jour ou l’autre…
Mais (je ne peux pas m’en empêcher) comment est-il né de cette photo???
Plume47
sur 4 novembre 2019 à 23h53
Merci pour vos commentaires !
Pour Photonanie : c’est la robe ( blouse ?) boutonnée dans le dos de cette petite fille vue de dos justement qui a tout déclenché.
Bonne soirée à tous
Sandra
sur 5 novembre 2019 à 21h58
Très beau texte qu’il serait doux de partager avec les équipes des maisons retraite.
« A quel moment exactement, la route bifurque-t-elle, dans nos vies ? Bien sûr, rien n’est vraiment simple et la route n’a jamais été un long fleuve tranquille, je sais. Mais il arrive un moment, tu sais, où ce petit chemin de quand t’étais petit devient autre chose. A vrai dire, je ne sais pas s’il y a « un moment » où ça bifurque réellement. C’est juste qu’on se retrouve à 40 ans, et à la place du petit chemin, c’est le périph’. Tu sais pas comment t’es arrivé là. C’est bouché, c’est pollué, et tu t’aperçois que tu reconnais plus ta vie.
– C’est la crise de la quarantaine mon pote. T’es en pleine crise de la quarantaine. Ca fait longtemps que je te dis qu’il faut que tu changes de boulot.
– C’est ça. C’est exactement ça. La crise de la quarantaine. C’est quand tu reconnais pas la photo de toi quand t’étais petit.
– C’est beau. On s’en reprend une, non ?
– Oui. Elle est vachement bien cette photo. C’est qui ?
– Aucune idée, je l’ai trouvée dans le tiroir d’une commode dans l’appartement de feu ma mère-grand, qu’on est en train de déménager. Personne dans la famille ne sait qui c’est. En même temps, tout le monde a plus de quarante ans dans ma famille, alors si ta théorie est vraie… J’étais sûr qu’elle te plairait.
– Oui, elle me plaît. C’est incroyable de voir autant de mouvement. Tu vois, c’est ça qui me touche, elle marche pas droit cette petite, elle est un peu en travers, elle est si légère. Et elle marche. C’est ça qu’on perd avec le temps. On devient tout droit, tout rigide, on ne marche plus : on se déplace. Je crois que c’est ça la quarantaine, quand t’as perdu le déséquilibre fondamental qui met en mouvement cette gamine.
– S’il-vous-plaît, on va vous reprendre les deux mêmes. C’est encore les heures joyeuses ou pas ? Voyez-vous, mon pote est en pleine crise existentielle par rapport à sa jeunesse perdue, et je crois que ça lui fera du bien d’alcooliser son foie vieillissant au tarif de l’enfance. Ah, c’est fini ?
– Nan mais t’inquiètes, c’est moi qui rince, les deux mêmes s’il-vous-plaît. Et puis je déprime pas tant que ça tu sais. Tant que t’as de l’argent, le malheur, ça reste un peu conceptuel.
– On dirait du François Rufin. Pour un mec qui vote Bayrou, je te jure que tu changes. La crise de la quarantaine ne t’a pas loupé mon pote.
– Bon, et donc cette photo, pourquoi tu me la montres ? Tu vas quand même pas me dire que tu l’as trimbalée juste parce que t’étais sûr qu’elle résonnerait avec ma petite crise d’ado de 40 ans ? Pourquoi elle te marque, toi ?
– Ben je sais pas trop. Je crois que c’est ma grand-mère en fait. Si c’est elle, c’est tout ce qu’elle aura laissé d’un peu personnel. En tous cas, elle a toujours eu ce côté un peu déterminé, un peu Margot s’en va-t-en-guerre, tu sais, mais toujours très innocente, jusqu’à la fin de sa vie. Personne ne reconnaît la photo dans la famille, et j’ai le sentiment que ma grand-mère s’y reconnaîtrait. A l’époque où elle a vécu, tu sais, les gens ne se posaient pas trop la question de la crise des quarante ans. Si t’avais survécu à la guerre, et que t’avais pas perdu tous tes gamins au front, il fallait reconstruire le pays et faire bouillir la marmite.
– C’était le temps où les strategic planners dans mon genre n’existaient pas, quoi. Je vous dois combien ?
– Effectivement, le concept de bullshit job n’existait pas plus que celui de crise de la quarantaine. Enfin voilà. Tu viens toujours pour mes trente-neufs ans au fait ?
– Oui, avec Mathilde, t’inquiètes, on fait garder la petite. Tenez. Profites bien de tes derniers instants de jeunesse mon coco. Tu fêtes trente-neuf, ça veut dire que tu rentres dans la quarantaine. On trinque ou bien ?
– Yep. Je trinque aux quarantenaires et aux bullshit jobs.
– Je trinque aux heures joyeuses de ta grand-mère.
– Et si tant est que ce soit elle. Allez mon pote, faut pas tarder, ils sont en train de ranger les chaises, ça va bientôt fermer. »
(Bon lundi et bonnes lectures ! 😀 )
Alice porte la vie derrière son nombril depuis bientôt neuf mois. Elle est heureuse, comme doit l’être une future mère. Heureuse et impatiente. Classique, me direz-vous. Surtout les dernières semaines, lorsque vous découvrez l’existence de votre nerf sciatique et de votre propension à la rétention d’eau.
Bref, Alice est impatiente. D’autant qu’elle est bien loin d’imaginer le drame qui l’attend…
Oups, les premières contractions se font sentir.
Clara, sa compagne, déclenche le chronomètre de sa montre. Cinq minutes d’intervalle, lui rappelle-t-elle. Cinq minutes d’intervalle avant de se précipiter à la maternité, et non quinze…
Alice tient une chocolaterie fine. Une boutique où les bouchées de praline sont disposées sur du papier de soie et serties de brisures de feuille d’or. Une boutique tenue de mère en fille, depuis cinq générations. Mais ce qui passionne avant tout Alice se trouve à l’arrière de la boutique, dans une grande pièce baptisée La chambre des délices. Tout se conçoit ici. A l’image d’une suite nuptiale et de l’effervescence charnelle des ébats, les mélanges s’y enlacent. Fèves concassées, sucre, cannelle, nougatine, caramel…
Aïe, les douleurs se font plus aigües et la fréquence est tombée à dix minutes…
Claire, elle, est représentante en fruits secs. Les plus raffinés qui soient. Les amandes Avola, les noix de Macadamia, les pistaches de Bronte… Elle visite les commerces de bouche de tout le pays, connaît les meilleures pâtissières, les cheffes cuisinières les plus étoilées, la moindre hôtelière ayant pignon sur rue. Mais Claire n’a encore jamais rencontré Alice. C’est au détour d’un article de presse spécialisée, vantant la qualité d’exception de la chocolaterie, que la représentante décide d’aller y proposer ses coquilles. Le coup de foudre est immédiat, envoûtant, submergeant. Le soir-même, elles dînent ensemble. La nuit, elles s’aiment avec passion. Et les jours suivants s’écoulent ainsi. Rapidement, elles emménagent au-dessus de la chocolaterie. Se mettent à parler voyage, mariage, mais surtout, surtout, avant et plus fort que tout, enfantement. Comme un besoin viscéral d’offrir l’amour qu’elles ont en quantité folle. De voir grandir l’enfant que la science leur permettrait d’avoir…
Ouh la la, les contractions, toutes les cinq minutes. Il est temps. L’heureux événement, qui n’en sera pas un, approche…
Clara prend le volant. Alice, le siège passager.
Elles se souviennent alors, entre émotions, rires et contractions, de cette mention ajoutée à leur dossier par l’obstétricienne : “Embryon d’exception pour femmes d’exception.”
Elles entrent en salle d’accouchement.
La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. La douleur. Les cris. La douleur. La douleur. La douleur. La douleur…
Puis, l’enfant.
Et, entre ses jambes, un petit bout.
Quelques millimètres à peine qui pendouillent.
Quelques millimètres, c’est énorme. Et surtout, ce n’est absolument pas dans l’ordre des choses. Pas en ce temps où seules les femmes existent depuis plus d’un siècle.
Le drame a eu lieu.
C’est un garçon.
Joli texte
Merci, Céline !
Une chute inattendue. Son annonce m’a pressé dans ma lecture. Mais un garçon c’est bien aussi, dit le papa de 2 paires de jumeaux.
Ce qui m’a amusée, je l’avoue, c’est de laisser présager le pire. Et puis, aussi, de faire de la femme un être égotique et « misandrique ». (Ca change de l’homme misogyne tant décrié 😉 )
Vive les garçons !
Un texte bien rythmé, plein de vie, très plaisant à lire. Merci.
Merci à vous !
A l’image des contractions qui s’accélèrent, la lecture s’emballe jusqu’à la chute est réussie.
Un texte de vie, romantique et enthousiaste, j’ai beaucoup aimé.
Merci, marinadedhistoires ! 🙂
J’aime bien le ton de ton récit et la chute saupoudrée d’ironie 🙂
Merci ! « Ironie », c’est tout à fait le terme qui convient 😉
Très plaisant ce texte! J’ai souri à la fin. Très cadencé!
Merci, Jen ! Je craignais que mes petits focus sur les contractions cassent le rythme, mais a priori, non, tant mieux 😉
Ce n’est pas un drame ! c’est « un avènement » ! Un retour dans l’ordre des choses. Si j’ai bien compris seule la femme a résisté à je ne sais quoi et ce depuis plus d’un siècle ! Pour ma part, je crois que j’accueillerai ces quelques centimètres comme un cadeau ! N’empêche que j’ai beaucoup aimé le rythme de votre texte qui nous amène jusqu’à la salle de travail et à la déception de ces 2 mamans ! Bravo !
L’image m’a amenée à l’idée du sexe unique. Une sorte de dystopie. Une triste dystopie ! Enfin, de notre point de vue de femmes d’aujourd’hui… Merci pour votre lecture et commentaire, Marlabis !
J’ai beaucoup apprécié ce texte. Il a beaucoup de rythme, une belle ouverture, et une chute surprise. Un monde de femmes ? J’aurais aimé être ce garçon…
Merci, Cloud ! Mais attention, je ne sais pas si l’avenir de ce petit gars est enviable… Mon imaginaire avait continué à courir un peu, et plutôt du côté émasculation ou fausse identité sexuelle. Sorry ^^’
Ça ne fait rien, je prends quand même…
J’ai adoré ce texte! Mais un petit garçon c’est très bien aussi et je sais de quoi je parle moi qui souhaitais une deuxième fille 😉
Merci beaucoup, Photonanie ! Et je confirme qu’un petit garçon, c’est chouette, j’ai un magnifique exemplaire, 12 ans d’âge, à la maison 😉
Mummmmm ça me rappelle un film, Le chocolat, pour la description de la boutique. Texte gourmand donc et drôle de part sa chute. Par contre je ne vois pas bien le lien avec la photo, enfin si, mais de loin !!!
Merci pour la comparaison ! Moi qui aime tant le cinéma (et le chocolat 😉 )
Il y a un autre film, aussi, que j’ai beaucoup aimé, et qui a pour toile de fond une chocolaterie : Les Emotifs anonymes (avec Benoït Poelvoorde).
Sinon, c’est vrai que pour la photo, le seul lien est le fait que l’enfant photographié soit une fille…
Je cite ici un extrait du « Guide Touristique de l’Anjou pour Vacanciers Inquiets« (Editions Plombs) :
« Dans notre région, on appelle « fillette » un contenant de vin dont la capacité est de 37,5 cl. Si dans un bar, vous entendez dire : « Avec Paul, on vient de descendre une dizaine de fillettes ! », n’appelez pas les gendarmes, mais éventuellement un médecin.
De même si des jeunes vous crient « Anjou ! », n’ayez pas peur, la plupart du temps, c’est orthographié en un seul mot. »
Le monde est violent, mais quand même…
Ah oui en effet !!!
Concis et drôle ! Bravo Cloud !
Facétieux… Joli texte, j’aime. Bravo
Hi hi hi ! J’adore !
Haha ! J’adore ! Un retournement cocasse de la photo, bravo Cloud !
Quel humour ! Bravo !!!
Vos premiers textes sont très enjoués et agréable!
Quel plaisir de lire ces quelques lignes! C’est si drôle. J’en redemande!
Pour moi ce sera une fillette d’Anjou pour l’apéro alors 😉 Texte clair, net et sans bavure 😀
Après les gourmandises un petit verre d’Anjou ! Atelier gourmand cette semaine !!! J’aime beaucoup (le texte !), l’atelier aussi !!!
L’équilibre n’existe pas
Sur son fil, le funambule quitte la terre, s’évade dans les airs. Le vide ne l’effraie pas. Il aiguise ses sens et le galvanise. Si sur le plancher l’artiste bute à trouver sa place, là haut il se révèle. Il découvre l’essence de son existence. A cent soixante mètres au dessus de la vallée, sur cette corde tendue entre deux promontoires, il n’a pas d’autre choix, pour rester en vie, que de s’ouvrir au monde, de s’y accorder et d’en devenir un élément.
Il saisit alors que rien ne dure, que l’équilibre n’existe pas. S’il le cherche il tombe. Il comprend que seul le mouvement importe pour la vie, celui de chacune des parcelles de son corps et celui de son balancier, tout comme celui de la Terre autour du soleil.
Ses instincts lui rappellent : Surtout ne pas se figer ; Toujours rester mobile. Ses gestes fluides et souples s’harmonisent avec tout ce qui l’entoure créant une chorégraphie cosmique subtile pour une traversée unique.
C’est à l’avènement de cette lente danse poétique qu’advient la liberté. Une liberté si intense que ses vibrations aux couleurs de rêve et d’espoir rayonnent jusqu’aux badauds, restés cloués au sol, les yeux rivés au ciel, le souffle encore suspendu.
Joli détour de cette photo
Belle écriture qui s’élève au-dessus des contraintes photographiques ! Bravo
Très bonne idée d’avoir pris le thème du funambule tout à fait en accord avec la photo. Très joli texte poétique.
Bel éloge du funambulisme ! Une écriture qui avance en douceur et délicatesse. Très réussi !
très poétique et doux
L’interprétation de l’image est joliment mise en valeur par le thème de l’équilibre jusqu’à la mouvance de la liberté évoquée. Bravo Sandra.
Bravo pour l’idée. Et pour le sens du texte. Je regarde la photo d’une autre manière.
La photo vue à travers un autre prisme, c’est sympa et poétique.
Très joli texte avec de belles images.
Bonjour,
Me revoici après ces deux semaines de vacances.
Voici mon texte :
Tout le monde ne jurait que par la fameuse petite robe noire mais il y a bien longtemps qu’elle ne l’avait plus dans sa garde-robe. Ce soit-disant intemporel de la mode n’avait pas sa place parmi l’arc-en-ciel de ses tenues excentriques.
Pourquoi se contenter d’une seule couleur si sombre soit-elle alors qu’il en existe tant ?
À l’uniformité, elle choisissait le camaïeu sans aucune hésitation.
Sauf… sauf pour la pièce maîtresse de son dressing…
Sauf… sauf pour cette petite robe blanche qui constituait à ses yeux son indémodable, son classique de la mode, son symbole de l’innocence.
La garde-robe et son jeu de couleur, original. Beau texte.
Merci, un peu/beaucoup inspiré de ma propre garde-robe
Marrant, moi aussi j’ai été inspiré par l’opposition petite robe noire, petite robe blanche. Un joli texte sur la fraicheur et l’innocence, super.
Merci. J’ai aimé joué sur le contraste avec le noir et blanc de la photo
Bonjour Céline, chez moi pendant les vacances malgré les petits pas effrénés je tente de prendre plus le temps d’écrire justement. Plus de dispositions mentales peut être, maisil me souvent quand mm plusieurs jours de relâchement! J’aime beaucoup ton texte bien plus optimiste que certains autres… :)La garde robe minimaliste?
Bonjour, la plupart du temps j’écris mon texte presque d’un seul jet dans le train du lundi matin. Je prends un peu de distance avec les réseaux sociaux et le téléphone pendant les vacances.
Pas forcément minimaliste la garde-robe car la mienne est plutôt bien fournie et tout en couleurs.
Bien vu ce blanc symbole de l’innocence et d’une même fraîcheur que le texte.
Merci beaucoup
Bien vu l’opposition en noir et blanc comme la photo…
Bonne idée de proposer une couleur de robe à contrecourant de la mode habituelle ! Bravo Céline !
On sent une femme pétillante avec sa garde robe camaïeu! Une approche de la photo par les couleurs sympathique.
Idée originale ! C’est vrai ça, et pourquoi pas la fameuse petite robe blanche !!!?
« Quand je serai grande,
je serai une fée,
et pour qui me le demande,
très volontiers j’actionnerai
ma baguette magique
du bout de mes menottes bien énergiques.
Quand je serai grande,
je serai une Princesse,
parfumée à la lavande
avec de grandes robes qui virevolteront sans cesse,
à la recherche d’un prince charmant
qui m’aimera passionnément. »
Ça c’était ses souhaits d’avant.
Aujourd’hui,
elle est grande et s’approche à grands pas
de l’automne de sa vie.
Celle-ci fut parsemée de combats
et de rires aussi.
De grands enfants
qu’elle aide à débuter professionnellement.
Des amours et amitiés,
qui sont venus s’y greffer
qu’elle a cultivés
à chaque fois avec intensité.
Une stabilité au travail difficile à trouver
jusqu’à ce qu’elle ouvre ce cabinet de reiki
dans cette ville du sud qu’elle chérit.
Et pendant ses longues pauses déjeuners,
elle n’hésite jamais à venir me retrouver
pour faire l’amour dans notre chambre à volets fermés.
Qu’il pleuve, vente ou en temps caniculaire,
la terre continue à tourner
avec des clowns tristes qui se maquillent d’un sourire pour se donner un air
dans ce cirque de la vie à affronter.
Mais aucune importance,
car il existe quelque part
sur cette terre d’abondance,
une chambre aux volets fermés
où faire danser nos deux corps brûlant d’impatience.
A la fois léger, torride avec un brin d’actualité, merci pour cette belle lecture.
Magnifique !
autobiographique? J’aime beaucoup le rapport à la maturité la recherche de soi et la continuité de la passion!
Adieu les rêves d’enfance et son insouciance, bonjour la vraie vie qu’il faut découvrir, affronter, choyer, apprécier, préserver… La vie quoi !
Bravo et merci !
Entre l’imaginaire de l’enfance et cette vie d’adulte semblent demeurer l’enthousiasme et la fraîcheur. Ce genre de pause déjeuner me fait plus rêver que la cantine… Un beau texte.
J’ai trouvé ce texte joyeux, virevoltant, vivant!
Ah, j’aime beaucoup ! Quand on aime c’est comme ça que devrait être la vie, et ce jusqu’au bout du chemin !
Merci Kroum, ce fut un grand plaisir de te lire.
Beau !! L’itinéraire d’une vie, assez universel et le « plus » avec l’intimité de la chambre.
Elle l’a trouvé son prince charmant…. et cette « chambre aux volets fermés » je lui trouve un charme fou.
Joli texte, assez poétique je trouve et plutôt bien rythmé, plein de vie et de bonheur. Un texte qui donne le sourire !
Vous trouverez également mon texte en suivant ce lien
https://lesempreintesdutemps.wordpress.com/?p=651
Comme un cadeau…
A bien y réfléchir, je pense qu’elle a toujours fait partie de ma vie. Mais elle était tellement espiègle, légère et frivole, qu’elle devait se fondre au milieu des convives, invités à chacun de mes anniversaires. Elle n’avait pas de visage, pas de taille, pas de consistance. Elle se matérialisait juste par cette joie de vivre, par ses facéties subtiles, par son optimisme face à toute épreuve et son côté totalement imprévisible. Elle avait d’ailleurs cette capacité de disparaitre sans même que personne ne s’en aperçoive.
Je crois que c’est le jour de mes 26 ans que j’ai vraiment réalisé qu’elle était là. C’était donc mon anniversaire et je portais ma petite fille âgée de 10 mois sur mes genoux. Il m’a semblé la voir. Elle était là devant moi, aussi transparente qu’un fantôme. Elle semblait comme s’étioler au fil des âges. Je m’attendais à ce qu’elle file comme une sauvage comme à son habitude. Mais c’est alors que je m’aperçus que son attention était ailleurs. Je n’étais plus son centre d’intérêt, elle venait de le remplacer par mon enfant qui la scrutait comme émerveillée.
L’instant d’après j’eus l’impression de la voir détaller, emportant dans son sillage un bon nombre de mes soucis. Il me semble encore entendre son rire cristallin qui tintinnabule à mes oreilles.
C’est à mon dernier anniversaire que j’ai enfin compris…
Comme toujours, nous étions nombreux. A mes côtés se trouvaient ma fille et son bébé. Quand elle arriva, à nouveau je remarquais son regard comme fasciné par celui du nouveau né, qui à son tour lui souriait en babillant. Ainsi, la roue continuait à tourner.
Intérieurement, je su enfin la nommer. Elle est cette indolence, ce laisser-aller qui nous habite jusqu’à une certaine prise de conscience, jusqu’à l’acquisition de la maturité : l’Insouciance.
Etonnant. Très beau texte sur le thème de l’insouciance. Bravo.
J’ai eu l’impression pendant toute la lecture qu’un ami imaginaire était décrit. Puis j’ai mieux compris et relu. l’insouciance évoqué avec la sagesse du temps qui passe. très agréable!
C’est beau un hymne à l’insouciance. C’est si rare et connoté souvent de tant de suspicion. Merci pour ce texte.
Belle interprétation au départ de la photo. Moi aussi j’ai cru à un fantôme, visible seulement des mamans…
Un texte profond dont j’ai saisi la portée à la fin de ma première lecture et que j’ai savouré à la deuxième lecture.
Très, très, très jolie idée !
Très joli ton texte et cette belle description de l’insouciance. Bravo Marlabis !
Atelier 347
Chaque pas avait été difficile, aussi longtemps qu’elle s’en souvienne. Et, au fur et à mesure des années, elle avait développé un don hors du commun, son corps, qui ne pouvait sentir sur quoi ses pieds reposaient, avait été remplacé par son cerveau, qui était capable d’analyser dans les moindres détails la nature de tout type de sol. Un regard suffisait.
Une immense carrière s’offrit à elle quand elle réalisa qu’elle était la seule au monde à posséder cette faculté. Elle commença modestement chez un célèbre vendeur de moquettes, mondial, où son rôle se bornait au simple conseil d’achat pour des clients plus soucieux de la couleur de ce qu’ils allaient acheter que de ce qu’ils allaient ressentir sous leurs pieds. Rapidement son premier patron remarqua que sa vendeuse avait l’œil, elle pouvait décrire avec force détails les qualités et les défauts de chaque rouleau de moquette ou linoléum qui entrait en magasin, sans même le toucher, juste en restant dans son fauteuil. Elle savait d’un regard la rugosité et la douceur d’un sol, s’il allait être glissant ou si au contraire il était possible de trouver des appuis sûrs malgré son épaisseur ou son moelleux. Son ascension au sein de l’entreprise fut fulgurante. Chaque année elle faisait plusieurs fois le tour du monde, les petits fabricants des souks la redoutaient plus que n’importe qui tant elle était capable en un instant de rejeter toute une saison de travail pour un poil ou deux mal tissés selon eux, pour une qualité de soutien pour les pieds pas optimum selon elle. Elle était capable de sélectionner les achats pour tout le groupe en quelques heures passées en Chine, en Inde ou en Amérique du Sud. Un tel succès ne se fait pas sans bruit, et elle devint vite indispensable aux grands couturiers qui voulaient des podiums les plus extravagants mais possédant assez de stabilité pour les échasses des mannequins, indispensable aussi aux architectes qui construisaient hôpitaux et bâtiments publics pour accueillir un public varié, se déplaçant plus ou moins facilement.
Elle devint richissime. Pourtant, pour elle, poser le pied par terre était toujours un problème que son corps ne savait pas résoudre. Sa souffrance restait muette tant il était difficile d’expliquer que contrairement au commun des mortels, elle marchait avec son cerveau et non ses sensations. Personne ne pouvait comprendre tant elle était devenue une experte du moindre sol qui tombait sous ses yeux. Et ce jour-là justement, devant les photos d’une exposition à laquelle elle s’était difficilement rendue (les trottoirs étaient mouillés, donc glissants, les passages piétons et leur peinture moderne encore plus, et les marches dataient de plusieurs siècles, irrégulières, lisses parfois, rugueuses là où il était compliqué de poser le pied), elle se demandait comment il était possible que cette fillette marche ainsi alors que le bitume sur lequel elle déambulait était fissuré, qu’il paraissait spongieux et qu’il lui semblait aussi en pente. Elle s’imaginait dans ce corps qui ne réfléchissait pas, qui vivait juste l’instant sans se soucier du suivant, et ne put retenir ses larmes devant cette facilité à laquelle elle n’avait pas accès. Tous autour d’elle déambulaient sans y penser alors qu’elle devait elle faire attention aux moindres anfractuosités du magnifique parquet ancien de la galerie. Enfin, finalement assise devant cette photo qui lui semblait étrangère, elle se demanda si un jour elle trouverait sa légèreté à elle. Cette insouciance si naturelle à beaucoup qu’elle s’appliquait à reconstruire chez elle. Son cerveau était capable de voler, de danser, d’imaginer la grâce d’un geste, mais c’est au bras de sa fille qui l’accompagnait qu’elle repartit, la tête pleine de doux espoirs pour son corps en difficulté.
Très original, le texte colle bien à la photo, un vrai plaisir de lecture.
J’aime beaucoup votre texte!
Bravo Manue pour cette idée hors d’un cadre habituel. On le lit avec une belle facilité qui le rend plausible. Bravo à toi.
Mon texte est très ancré dans ma réalité mais saupoudré d’imagination pour le rendre plus digeste !!!!!
Angle d’attaque original et surprenant!
J’ai vraiment beaucoup aimé ce texte pour le contenu et en plus tout est fluide dans l’écriture! Bravo.
Alors là, vraiment très très originale cette idée !!! J’ai beaucoup aimé le parcours de ton personnage.
La tache blanche m’indifférait, je ne voyais que la route qui se déroulait comme un long ruban gris devant mes yeux et me faisait penser à ma vie. Même les cicatrices des accidents de parcours s’y trouvaient. Oh, certains avaient bien essayé de faire de petites réparations, inutiles, de mettre des emplâtres qui ne tenaient pas longtemps, gaspillage.
Le film venait de se terminer sur cette image. J’avais machinalement éteint la télé et j’en étais là de mes pensées bien sombres, au moins autant que le temps que je devinais derrière les rideaux.
Pas envie de bouger ni de sortir, peur d’avoir froid, d’être mouillée, d’attraper la mort quoi. Un comble en période d’Halloween où on voyait ses émissaires à tous les coins de rue, dans toutes les vitrines de magasins…
Le vent faisait trembler les feuilles encore en place. Les oiseaux se cachaient dans les haies pour se protéger de la pluie et la lumière déclinait d’heure en heure. Saloperie d’heure d’hiver!
La température extérieure restait légèrement positive contrairement à mon moral. Oubliées les couleurs éclatantes de l’été ou joliment mordorées de l’automne, bienvenue dans l’hiver en noir et blanc.
Il fallait réagir, et vite, pour ne pas sombrer. Faire une bonne flambée dans la cheminée, faire couler le café et inviter le chat à se pelotonner, bien calés dans le canapé. Quelqu’un pourrait-il me dire pourquoi les humains ne sont pas programmés pour hiberner?
Chez moi c’est https://photonanie.com/2019/11/03/brick-a-book-347/
Oublier l’hiver et son cortège de misère… Joli texte Photonanie.
Je suis plutôt solaire en fait 😉
Et vive la ronronthérapie !
C’est si bon 🙂
C’est super comme idée d’avoir joué sur le noir et blanc de la photo Photomanie !
Heureusement qu’il existe les cheminées auprès desquelles s’installer pour supporter les mois d’hiver ! 🙂
Un texte qui réchauffe l’esprit et refroidit le corps. Oui, hibernons ! Rester éveillés l’hiver est contre nature.
Un texte qui parle à beaucoup d’entre nous!
J’ai beaucoup aimé la fin du texte qui ajoute une dimension humoristique très plaisante.
Je me le demande bien aussi !!! On fait un club et on trouve un coin pour hiberner ?!!!
https://marinadedhistoires.wordpress.com/2019/11/04/la-grande/
La Grande
Je suis petite ? Et alors ! C’est pour ça qu’il n’y en a pas dans mon ciboulot ! J’ai fait Sciences Po, moi, Madame, et une école de journalisme par là-dessus, et maintenant je travaille pour une grande chaîne d’infos. D’ailleurs, là, je cours, je me précipite, le président va sortir par cette petite rue, c’est l’un de mes contacts à l’Elysée qui me l’a dit. Je me suis fait chic pour le rencontrer, le président, une petite robe blanche c’est bien mieux qu’une petite robe noire, mais ça, les plus grandes que moi ne le savent pas, et c’est ce qui fait ma force dans la jungle du métier : mon originalité et mon instinct ; c’est pour ça qu’ils m’appellent « La Grande » et c’est bien vrai, ils ne m’arrivent pas à la cheville tous autant qu’ils sont. Qui c’est qui a surpris la Première Dame en train de s’acheter un petit haut à huit euros chez H&M ? C’est moi ! Qui c’est qui a coincé le Premier Ministre en train d’essayer de se teindre la barbe en bleu dans sa salle de bain ? C’est encore moi, et qui c’est qui a interviewé l’ex président assis sur son pèse personne et en pleurs à cause de sa prise de poids ? C’est toujours moi !
Alors vous qui me traitez de petite là, suivez-moi ! Oui, suivez-moi avec vos grandes jambes qui ne courent pas bien vite, et si je n’arrive pas à obtenir une diminution de 70% sur les impôts des français auprès du Président, là vous pourrez me traiter de minus !!
MH
C’est bien vu de jouer sur la taille plutôt que sur l’âge. Et oui, on peut être grand sans être grand,n’en déplaise aux plus grands 😉
Hé oui, le nombre de centimètres n’est pas forcement en adéquation avec les neurones ! Merci pour ton commentaire, Laurence.
Chère petite souris, (parce que c’est comme ça que je te représenterais si je devais te dessiner… Futée, agile, rapide et efficace en plus ! ), merci pour la vivacité de ton écrit !
Merci pour ce commentaire bien sympathique Marlabis.
Joli texte et particulièrement original. Bravo
Merci Céline.
Originale la petite qui a tout d’une grande 😉
Oui, comme une certaine voiture 😉 Merci Photonanie.
Très mignon !
Merci Kroum !
C’est très sympa. L’énergie qui se dégage du texte en dit long sur l’enthousiasme de la petite qui est grande…
Merci Cloud !
Elle a beau être petite quelle énergie communicative!
Oui, la dynamique des petits ! Merci Sandra.
Bien joué, excellente idée !
Merci Manue !
Couleur monochrome
La teinte monochrome s’était emparée du paysage environnant. Peu d’embarcations étaient amarrées dans ce petit port. Quelques vaguelettes s’aventuraient sur l’asphalte. La mer n’était jamais agressive dans le chenal. Elle se contentait d’onduler et de balancer les quelques bateaux, canots et voiliers abandonnés par les marins.
Appareil photo en bandoulière, je déambulais sans but. Peu à peu, je ressentais comme un étirement de l’espace-temps. Cette sensation se distillait insidieusement. J’étais comme absente de toute réalité. En ce jour d’été, mes pensées s’étaient teintées de la couleur du temps.
Lasse de mes réflexions, divagations et digressions… Je reportais mon attention sur mes essais photographiques bien modestes à ce stade de mon apprentissage. Ma passion pour quelques captures d’images vaincrait cette mélancolie qui, aller savoir pourquoi m’avait saisie ?
Le noir, le blanc apporte une puissance, une profondeur à l’image. Pourrait-on dire de la couleur qu’elle distrait le regard ? L’objectif fiché à mon œil, j’appuie sur le déclencheur au hasard de mes errements du jour. Je n’arrive pas à me déterminer : « noir et blanc ou couleur ». Mais, quelle importance, me direz-vous ! Ou l’image s’imposera d’elle-même ou pas !
L’art photographique est absolument fascinant par son instantanéité. J’aperçois cette petite fille en robe blanche, baskets aux pieds et, ma journée s’illumine. Elle court vers les mouettes aperçues au bord du rivage. Comment ne pas saisir cet instant. Il y a tout dans cette image : la vie, la liberté, un instant de pure beauté.
De la photo N&B nait toute une atmosphère… Bravo Anne-Marie pour ce bel instantané qui raconte l’essentiel.
Merci Laurence, je viens de découvrir ton texte. Écriture delicate, des personnages qui prennent vie au fil de notre lecture jusqu’à cette chute dramatique, triste rêve prémonitoire….
Ton texte est un bel hommage à la photo. D’une émotion ressentie à la contemplation d’un résultat, d’une image. Entre les deux, il y a eu « l’instant décisif » comme disait Cartier-Bresson, celui du déclencheur. Bravo, j’aime beaucoup ta démonstration.
La photo prise à l’instant T d’une réalité déjà dépassée… Je connais et pratique le noir et blanc ou la couleur, c’est selon ce que je ressens 🙂 Un texte qui me parle en tout cas.
Super idée d’écrire sur le noir et blanc de cette photo. De plus, tes mots sont raffinés, bravo Anne-Marie !
J’apprécie beaucoup les idées abordées dans ce texte. Cette manière de rester ouvert à l’inattendu, à l’instantanéité…. de saisir ces instants magiques de vie…..
bel éloge de l’art photographique.
On sent l’œil affuté de la photographe dans ce jolie texte.
J’aime vraiment beaucoup… C’est doux. Je me retrouve dans ce que tu écris, rester à contempler et saisir soudain l’instant pour mieux se souvenir ensuite. Merci !
Ce dernier été passé ensemble, selon le temps qu’il faisait on se retrouvait soit chez Paul qui habitait un grand appartement sous les toits, soit sous le tilleul au fond du jardin de Clément et c’était celui qui aurait le privilège d’être assis à côté d’Hélène. Moi, je préférais lui faire face. Dans la pénombre, on allumait des bougies et les ombres sur les murs prenaient vie au fil des histoires que racontait Hélène. Elle-même avait le visage brouillé de mille signes, des rides apparaissaient sur son front lisse, ses yeux devenaient démesurés, sa bouche s’agrandissait, je pouvais voir ses dents, sa langue et toutes les moues tordues qu’elle affichait au changement de sa voix, à chaque mimique.
Les ambiances sinistres avaient sa préférence et si nous évoquions l’idée de changer de registre – par exemple regarder des séries glauques sur Netflix – , elle se levait d’un bond, et sa démarche, ses gestes – surtout quand elle allumait sa cigarette et la portait à sa bouche – , étaient joués avec emphase. Elle avait le sens du drame, aimait s’y complaire, surjouait avec un plaisir évident. Et le nôtre était celui de l’écouter et pour celui qui se trouvait à côté d’elle, la perspective de l’effleurer amplifiait la satisfaction.
Moi, je la dessinais. Avec tous ses petits défauts et ses grandes qualités. J’aurais pu croquer la malice de ses yeux, l’expressivité de ses yeux, sa gestuelle autant de fois que nécessaire, j’avais le sentiment qu’elle m’échappait toujours.
La seule fois où j’étais parvenu à saisir l’expression de son regard, elle racontait le rêve qu’elle avait fait la nuit précédente. Je me souviens du vent qui soufflait fort à travers les interstices des volets et la pluie d’orage qui battait tout aussi fort. L’air sentait le tabac froid et le joint que nous venions de partager. Hélène parlait bas, moins expansive qu’à l’accoutumée, comme encore imprégnée du rêve qui, la veille, l’avait maintenue éveillée de longues heures. Ses bras encerclaient ses jambes relevées. De sa voix perlait l’inquiétude. Elle disait que son rêve n’avait rien d’un rêve, c’était comme si elle avait su avant même de voir. Voir quoi, avait demandé Clément. Et Hélène avait répondu dans un souffle ténu, la route, celle qui mène au funiculaire. Puis, après une pause qui l’avait faite frémir, elle avait ajouté y avoir vu une fillette. Et sa voix avait l’intonation montante dénotant l’affolement. La fillette sur la route, disait-elle, la fillette c’était ma sœur. Ma sœur dans sa petite robe d’été. Elle courait, comme elle le fait souvent, avec ses bras qui deviennent balancier, comme pour l’aider à maintenir son équilibre. Elle courait au milieu de la route et j’avais beau lui dire de s’arrêter elle ne m’entendait pas.
A ce moment-là, Hélène m’avait regardé et j’avais saisi au fusain et d’un trait fiévreux, la lueur inquiète de son regard, le pli soucieux entre ses yeux, la ligne mince de ses lèvres affaissées. Et comme elle mettait du temps à poursuivre, on l’avait pressée de questions, puis on avait plaisanté et tenté de dérider son visage soucieux avec quelques bières et on avait de nouveau fumé. Et lorsqu’elle s’était endormie on s’était un peu battus pour savoir qui dormirait contre elle. Allongés sur les matelas, rassurés par la chaleur des uns et des autres, on avait dormi jusqu’au début de l’après-midi.
C’est la sonnerie de son téléphone qui nous avait réveillé. Le fait même que le père d’Hélène l’appelle nous avait surpris, puis au son de sa voix, en écho au rêve qu’elle avait fait, on avait saisi le drame nous percuter comme un présage négligé.
Whaou, ton texte est magnifique, j’ai adoré le portrait de ton Hélène; et cette chute !!!
Belle ambiance et chute tragique… Bon contraste entre les deux ambiances.
Je savais qu’il me fallait me poser tranquillement pour lire ton texte à la chute d’une grande gravité. Bravo pour cette prouesse d’écriture laurence delis !
Beau texte dramatique. La conteuse qui raconte est fort bien dessinée. La chute tombe comme une surprise malgré le décor. J’ai vraiment bien aimé cette lecture. Merci.
J’aime ces descriptions, où les détails sensoriels nous plongent dans une ambiance. La chute crée un effet intéressant… une touche d’angoisse qui tranche avec le reste du texte.
Plus je lisais, plus je sentais qu’une tension dramatique était en train de s’installer. Ton texte est vraiment réussi.
Bonjour à tous, bon début de semaine.
« Mains propres »
Vue du sol c’est une enfant qui court. Vue à 12000 kilomètres par la caméra du drone c’est une silhouette qui menace la réussite de la mission.
Steve est là pour anéantir tout risque pouvant mettre en danger le commando au sol. Sur la gauche de l’écran il voit très bien les deux groupes de 10 se préparant à intervenir derrière le mur d’enceinte, au centre la maison dans laquelle est retranchée la cible et sur le toit les trois sentinelles armées assurant la sécurité.
La réussite de la mission est basée sur l’effet de surprise, alors quand Steve a vu quelqu’un courir vers la maison il a prévenu le chef du commando : « Individu courant vers cible, 150m, attente instruction ». La réponse fut aussi brève que définitive : « Assaut après destruction ». L’index de Steve pressa deux fois la gâchette du joystick, 12 secondes plus tard l’écran satura cinq secondes par l’effet du flash de lumière : cible détruite.
Les sentinelles furent tuées avant d’avoir compris quoi que ce soit, le commando se précipita dans la maison, l’effet de surprise avait réussi. Dans son casque Steve entendait tout de l’assaut : les tirs nourris, les déflagrations, les cris, puis plus rien, juste la voix du commandant appelant ses hommes un à un : aucun ne manquait à l’appel.
L’hélicoptère d’évacuation arriva une minute trente après la fin de l’assaut, embarqua les hommes et disparu de l’écran. Steve attendit encore une minute par sécurité et pressa cinq fois sa gâchette pour détruire totalement l’objectif. Il prit le temps de laisser la fumée se disperser pour s’assurer que plus rien n’était debout. Un trou remplaçait le bâtiment, plus rien ne bougeait : mission accomplie.
Steve regarda sa montre, il était déjà 15h30, il fallait qu’il se dépêche de ramener son drone à la base pour être à l’heure à la sortie de l’école.
Sombre et terriblement factuel. Bravo.
Effrayant de vérité…
Le récit est aussi glacial que celui de la semaine dernière. On y retrouve le cynisme d’un devoir accompli sans état d’âme. C’est tout ce que je cherche à fuir. Et pourtant, j’aime beaucoup ces textes…
Père indigne…ou presque 😉
Glacial…
Cela fait froid dans le dos. Effet réussi!
Ouch. Terrible et glaçant… Triste réalité….
Bonjour à tous,
Voici mon texte et le lien sur le blog:
https://unmotpourtouspourunmot.blogspot.com/2019/11/les-souvenirs-atelier-347.html
Elle semble désinvolte,
Légère,
Heureuse
Elle court,
le corps souple aérien et dansant.
Mais lorsque le peu de souvenirs affleurent
le corps s’affaisse
le regard se voile
et le sourire pâlit
Ne reste rien de la douceur familiale
seul le triste,
le glacé,
le sombre subsiste.
Les souvenirs sont terribles
ils effacent la quiétude, le délice,
ne reste que l’indigne,
l’innommable
Le choix qui se dessine alors pour survivre,
n’en est qu’un par douleur.
Belle semaine
Il arrive un moment où dans les souvenirs, l’on arrive à puiser ce qui est doux, ce qui est beau sans pour autant perdre cette terrible douleur, mais permet de continuer à tenir debout.
Merci pour ce texte poignant.
Le texte est fort et douloureux. Il n’y a pas de fatalité. On lui souhaite de belles futures rencontres.
Très prenant comme texte, il commence dans la lumière et finit dans le noir…
Ton texte est superbe Jen, bravo ! Beaucoup d’émotion en ressort.
Pour moi, ces quelques mots m’imprègnent d’une douleur, d’une mélancolie tout en conservant leur part de mystère.
Que de douleurs … je ne peux qu’espérer maintenant qu’elle se reconstruise doucement…
je vous remercie de tous vos commentaires. C’est encourageant!
A chaque fois que j’allais voir ma petite mère,
je souffrais de la voir ainsi.
Ni nue ni habillée. Une espèce d’entre deux.
Comme dans sa tête.
Ni vraiment là, ni tout à fait absente.
Et cette blouse ouverte dans le dos
Béante de bas en haut
Ne cachant rien de la laideur
Oubliant tout de la pudeur
Je ne veux pas que tu la mettes
Juste la réduire en miettes
Et te couvrir de dentelles
Pour que tu sois la plus belle
Lors de tes déambulations
Dans ce couloir
A la recherche de ta mémoire
Maman n’est plus là. J’ai rangé ses dentelles.
Mais je me souviens.
Extrêmement touchant. Tout en simplicités et vérités. Bravo ! Et merci.
Comme j’aime ces dentelles évoquées qui couvrent si bien ce qui est si difficile à voir…
Elles rendent plus douce l’image de petite mère amoindrie…
Merci.
Magnifique !!!
Particulièrement émouvant et superbement écrit. Bravo et merci.
Émouvant ce texte qui décrit une situation que l’on vit tou(te)s un jour ou l’autre…
Mais (je ne peux pas m’en empêcher) comment est-il né de cette photo???
Merci pour vos commentaires !
Pour Photonanie : c’est la robe ( blouse ?) boutonnée dans le dos de cette petite fille vue de dos justement qui a tout déclenché.
Bonne soirée à tous
Très beau texte qu’il serait doux de partager avec les équipes des maisons retraite.
Triste, beau et émouvant.
« A quel moment exactement, la route bifurque-t-elle, dans nos vies ? Bien sûr, rien n’est vraiment simple et la route n’a jamais été un long fleuve tranquille, je sais. Mais il arrive un moment, tu sais, où ce petit chemin de quand t’étais petit devient autre chose. A vrai dire, je ne sais pas s’il y a « un moment » où ça bifurque réellement. C’est juste qu’on se retrouve à 40 ans, et à la place du petit chemin, c’est le périph’. Tu sais pas comment t’es arrivé là. C’est bouché, c’est pollué, et tu t’aperçois que tu reconnais plus ta vie.
– C’est la crise de la quarantaine mon pote. T’es en pleine crise de la quarantaine. Ca fait longtemps que je te dis qu’il faut que tu changes de boulot.
– C’est ça. C’est exactement ça. La crise de la quarantaine. C’est quand tu reconnais pas la photo de toi quand t’étais petit.
– C’est beau. On s’en reprend une, non ?
– Oui. Elle est vachement bien cette photo. C’est qui ?
– Aucune idée, je l’ai trouvée dans le tiroir d’une commode dans l’appartement de feu ma mère-grand, qu’on est en train de déménager. Personne dans la famille ne sait qui c’est. En même temps, tout le monde a plus de quarante ans dans ma famille, alors si ta théorie est vraie… J’étais sûr qu’elle te plairait.
– Oui, elle me plaît. C’est incroyable de voir autant de mouvement. Tu vois, c’est ça qui me touche, elle marche pas droit cette petite, elle est un peu en travers, elle est si légère. Et elle marche. C’est ça qu’on perd avec le temps. On devient tout droit, tout rigide, on ne marche plus : on se déplace. Je crois que c’est ça la quarantaine, quand t’as perdu le déséquilibre fondamental qui met en mouvement cette gamine.
– S’il-vous-plaît, on va vous reprendre les deux mêmes. C’est encore les heures joyeuses ou pas ? Voyez-vous, mon pote est en pleine crise existentielle par rapport à sa jeunesse perdue, et je crois que ça lui fera du bien d’alcooliser son foie vieillissant au tarif de l’enfance. Ah, c’est fini ?
– Nan mais t’inquiètes, c’est moi qui rince, les deux mêmes s’il-vous-plaît. Et puis je déprime pas tant que ça tu sais. Tant que t’as de l’argent, le malheur, ça reste un peu conceptuel.
– On dirait du François Rufin. Pour un mec qui vote Bayrou, je te jure que tu changes. La crise de la quarantaine ne t’a pas loupé mon pote.
– Bon, et donc cette photo, pourquoi tu me la montres ? Tu vas quand même pas me dire que tu l’as trimbalée juste parce que t’étais sûr qu’elle résonnerait avec ma petite crise d’ado de 40 ans ? Pourquoi elle te marque, toi ?
– Ben je sais pas trop. Je crois que c’est ma grand-mère en fait. Si c’est elle, c’est tout ce qu’elle aura laissé d’un peu personnel. En tous cas, elle a toujours eu ce côté un peu déterminé, un peu Margot s’en va-t-en-guerre, tu sais, mais toujours très innocente, jusqu’à la fin de sa vie. Personne ne reconnaît la photo dans la famille, et j’ai le sentiment que ma grand-mère s’y reconnaîtrait. A l’époque où elle a vécu, tu sais, les gens ne se posaient pas trop la question de la crise des quarante ans. Si t’avais survécu à la guerre, et que t’avais pas perdu tous tes gamins au front, il fallait reconstruire le pays et faire bouillir la marmite.
– C’était le temps où les strategic planners dans mon genre n’existaient pas, quoi. Je vous dois combien ?
– Effectivement, le concept de bullshit job n’existait pas plus que celui de crise de la quarantaine. Enfin voilà. Tu viens toujours pour mes trente-neufs ans au fait ?
– Oui, avec Mathilde, t’inquiètes, on fait garder la petite. Tenez. Profites bien de tes derniers instants de jeunesse mon coco. Tu fêtes trente-neuf, ça veut dire que tu rentres dans la quarantaine. On trinque ou bien ?
– Yep. Je trinque aux quarantenaires et aux bullshit jobs.
– Je trinque aux heures joyeuses de ta grand-mère.
– Et si tant est que ce soit elle. Allez mon pote, faut pas tarder, ils sont en train de ranger les chaises, ça va bientôt fermer. »