Il était venu finalement.
Il n’avait pas tellement changé : son dos s’était voûté avec le temps, ses tempes avaient pris des reflets gris, une barbe lui mangeait le bas du visage et il accusait quelques kilos de plus. 
Il était devenu un homme, mais c’était le même.
Les mains dans les poches, le regard toujours porté vers l’horizon, il m’attendait.
Il m’avait toujours attendue. 
En m’approchant je savais que j’allais retrouver son visage d’autrefois. 
La malice de ses yeux, le croissant que dessinerait sa fossette droite, sa gaucherie quand il se pencherait vers moi. Peut-être porterait-il toujours le même parfum ? 
Bien entendu son visage se serait sculpté avec le temps. L’oval de son visage serait moins net, et à sa fossette viendrait sans doute s’ajouter quelques rides au coin des yeux.  
La vie t’aura-t-elle fait sourire ?  

Les réminiscences d’une certaine gestuelle remontèrent à la surface. Ma madeleine à moi était visuelle. 
Depuis toujours Nicolas bougeait le pied de façon frénétique. Cela lui avait valu de ma part quelques remarques acerbes autrefois. De rapides battements de pieds, véritables croches au temps qui passe : il battait la mesure à deux cents pulsations par minute. 
– Allegro, semblait-il annoncer à tout-venant, je croque la vie à pleines dents !  
Une irrésistible envie de bouger : ses pieds ne s’étaient donc jamais arrêtés. C’étaient eux qui l’avaient conduit vers d’autres chemins, eux qui l’avaient fait disparaître de nos rendez-vous improvisés, eux qui l’avaient éloigné de notre vie commune. 

Mais c’étaient bien eux qui étaient revenus vers moi.Trente ans après. 

Je me souviens encore de nos cascades de rires, de nos jeux d’enfants pas si candides que ça. A 20 ans, on ne porte pas encore sur soi le poids des années. On vit sans se poser de questions. Ce n’est que plus tard, vers la quarantaine, qu’on se retourne vers le fil de notre vie pour se rendre compte que la moitié est déjà passée. 
Alors on mesure ses gestes, on les économise, on marche moins vite, on prend le temps de se délecter du moindre petit fragment de bonheur : on le sait si précieux.  
Il ne faudrait pas le gâcher.  

Il était donc venu. 
Soudain je me vis mon reflet dans cette vitrine.
Les cernes de mes yeux, les commissures tombantes de ma bouche, ces cheveux fades, rêches, sans vie.
Fallait-il vraiment lui imposer ce spectacle ?

J’écrasai alors ma cigarette, pris quelques centimes dans ma poche, payai mon café, et me levai.
En me dépêchant j’arriverais bien à prendre le RER de 14 H 32.  

©Leiloona

 

Et voici vos liens : 


Jean-Philipe : Sale journée

L’Insatiable

Mathylde

– Asphodèle : La complainte d’un blogueur

Jean-Charles : Une mauvaise rencontre

Alvi : La descente

Zelda : Apostrophes

Lilou : Transparence

Lola : Les gens de Paris

 

20 Commentaires

  1. Asphodèle

    rendez-vous manqué alors ? Elle n’a pas le courage de lui infliger ce qu’elle est devenue ? Il faut laisser tomber le « paraître » parfois, pas le choix… Très joli texte !

    Je te laisse le lien de Jean-Charles qui n’arrive pas visiblement à apprivoiser CB !!
    http://hisvelles.wordpress.com/2012/01/30/une-mauvaise-rencontre

  2. lucie

    ah non tu peux pas nous faire ça !! je voulais qu’il y ait rencontre, moi !
    J’aime beaucoup ton texte.

    Je n’ai pas été inspiré par la photo de cette semaine, donc pas de lien vers mon blog en ce lundi.

    Bonne semaine !

  3. Philisine Cave

    Quel dommage, cette non-rencontre ! Ton héroïne manque sérieusement d’estime d’elle-même pour éviter ce rendez-vous avec le passé, qui lui aurait fait du bien. Bouh ! (je vais en pleurer). Bises et bonne semaine.

  4. Soène

    Dommage, après tout ce temps passé, d’être si près et de capituler… je n’imaginais pas cette fin en lisant.

    Ah, moi aussi, j’ai horreur des gens qui remuent le pied ou la jambe tout le temps, ça me fatigue et ça m’énerve !

    Je n’ai pas pris le temps de participer, mais la photo était parlante
    @ bientôt

  5. Leiloona

    Hop, je viens d’ajouter le reste des liens !

    Jean-Charles : tu as du mal à poster tes liens / commentaires sur canalblog ? C’est clair que cette plateforme est moins claire que WP … J’aimerais bien passer sous WP, d’ailleurs !

  6. Leiloona

    Quant au texte : oui, parfois il vaut rester avec ses idéaux d’autrefois que risquer une nouvelle rencontre.
    Et puis, qui sait, ce texte n’est pas non plus un point final, on peut imaginer une suite avec happy end ! Mais ce ne sera pas pour cette fois-ci.

    @ Soène : On va dire que c’est un tic qui m’appartient et que je lui ai donné en cadeau, vu l’angle de la photo, mon regard a été attiré par ce pied, il fallait que j’en fasse quelque chose !

  7. Alvi

    Quel beau texte, et quelle chute!
    effectivement les textes n’ont pas été très gais, mais de toute beauté!

  8. julie mallauran

    Quel beau texte ! On s’ y croirait…

  9. Valentyne

    A l heure d’internet où on peut retrouver « facilement » d’anciennes amitiés, je trouve que ton personnage a raison : mieux vaut garder en tête l image du passé

  10. Gwenaelle

    Ta conclusion est triste mais je crois que la narratrice a raison : il faut laisser les amitiés, les amours et les rêves de jeunesse où ils sont…

  11. Leiloona

    Merci encore les filles !

    Je me suis souvenue de certains livres qui ne se finissait pas en bel happy end, et finalement c’est bien aussi de torturer gentiment son lecteur … On voit trop de jolies fins façon disney ….

    Lola : Mais tu as encore le temps, rien ne presse ! Je t’ajoute !
    J’espère juste que les autres participants iront tout de même voir ton texte !

  12. Lola-Valérie

    Merci ! J’ai commencé celui de la semaine prochaine, en espérant le finir à l’heure

  13. Leiloona

    Wahou, il faudrait que je m’y mette moi aussi !

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