J’étais revenue chez moi. Les trois boîtes aux lettres à l’entrée du lotissement me le signalaient. Des boîtes des années 80 qui n’avaient jamais été changées. Elle avaient vieilli. Tout comme moi.
De la rouille s’était immiscée, les noms s’étaient effacés ; le nôtre n’y était plus depuis longtemps.
Juste derrière ces boîtes, un mur à l’abandon. Il avait toujours été là. Les gars du chantier, lors de la construction du lotissement, l’avaient laissé debout. Un simple coup de bulldozer l’aurait envoyé valser au loin. Mais l’architecte avait dû aimer son petit côté désuet ou vieillot.

Comme j’ai aimé jouer derrière ce mur. Les premiers jeux de l’enfance, les premiers émois de l’adolescence. Si ce mur pouvait parler, il en dirait de belles … La pierre est froide, rugueuse, mais elle me rassure, elle me replonge vingt ou trente ans en arrière.A ces heures d’insouciances désormais révolues.
Mon petit vélo rouge. Les balades avec mon père. Mes tours dans ce lotissement. Cette facilité, à l’époque, de laisser les enfants jouer dehors sans yeux inquisiteurs. Les maisons en escargot ne constituaient-elles pas en elles-mêmes une protection ? Aucun étranger ne serait venu sans y être invité. Nous étions une grande famille. Un petit village.

Je revois encore mes amies, mes ennemies, celles qui sont passées d’un camp à l’autre et réciproquement. Les images Panini, « les puces » qu’on se mettait dans les cheveux, les rollers jaunes qui grandissaient avec nous.
Les années 80. Toute un époque.

Au  loin j’aperçois une petite fille. Trente ans nous séparent. Qui sait, peut-être reviendra-t-elle sur les traces de son enfance lorsqu’elle aura mon âge ? Peut-être ce mur sera-t-il encore debout ? Je la regarde s’éloigner, puis je tourne mes pas dans la direction opposée.
Parfois il vaut mieux ne pas trop remuer ses souvenirs : les années 80 sont heureusement bel et bien révolues.

©Leiloona, le 11 novembre 2012

Crédits Photo ©Romaric Cazaux

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 Le texte de Morgane : 

S’ENFUIR

Ma chère Maman,

Mon téléphone est prêt de moi mais je n’arrive pas à me résoudre à composer ton numéro pour t’appeler. Une certaine honte sans doute…

« On peut tout dire à sa mère » m’as-tu dit souvent. Alors je te l’avoue :

Je m’en vais.

Je m’enfuis.

Je n’en peux plus.

Je quitte Paul.

Comme tu dois le comprendre à la lecture de ces quelques lignes, rien n’a changé. Cette promesse d’une nouvelle vie, une vie meilleure à la campagne était un leurre. Paul a certes fait des efforts suite au déménagement mais ses excès de colère ont bien sûr repris.  Il est rentré du bureau de plus en plus tard et de plus en plus stressé ; les deux heures et demi de transport quotidien n’arrangeant rien.

Les coups ont donc repris : Lentement, puis plus fréquemment et presque quotidiennement. Ponctués bien sûr de magnifiques bouquets de fleurs ou de vêtements griffés.

Je suis fatiguée. Un sentiment de peur m’habite en permanence. Mon angoisse grandie chaque soir au fur et à mesure que les aiguilles de la pendule avancent. Paul ne fait même plus attention aux parties du corps visées : Mon visage n’est plus épargné. Je ne sors donc plus de chez moi.

Ses excuses, ses pleurs, ses promesses, je n’en veux plus ! Je n’y crois plus …

Tu avais raison Maman. Bien sûr que tu avais raison … Tu m’as de nombreuses fois proposé de venir me réfugier chez toi, de rentrer à la maison : J’accepte cette fois Maman. Je reviens vers toi.

Quand tu recevras cette lettre, je serai sur le départ : ma valise bouclée, le train et le taxi réservés. Nous serons jeudi. J’arrive à la gare à 15H24. Je sais que tu seras sur le quai, l’œil larmoyant, à m’attendre.

Je ne serai pas seule Maman :

Je porte la vie maintenant. Je vais devenir Maman, Maman. Ce petit être qui grandi en moi me donne la force et le courage que je n’avais pas jusqu’à aujourd’hui. Je refuse pour cet enfant de continuer à vivre cette existence triste, haineuse et violente.

Je te dis donc à jeudi.

Je t’embrasse comme je t’aime.

Ta petiote    Laura

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Et voici les liens vers vos textes :
Stéphanie : La dernière visite
Cécile MdL : Je t’attends
V.beLecteur : A l’ombre
Cardamone : Bafouille
Jean-Charles : Hard Lives

23 Commentaires

  1. Jean-Charles

    @ Leiloona :
    Les souvenirs ont la part belle j’aime bien cette phrase : « Je revois encore mes amies, mes ennemies, celles qui sont passées d’un camp à l’autre et réciproquement. »

    @Morgane :
    Parler des choses à propos desquelles les femmes se taisent habituellement, c’est fort, bravo !

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    • Leiloona

      Jean-Charles : L’inconstance de l’âme humaine …

      Réponse
  2. Mamido

    @leiloona: Nostalgie, quand tu nous tiens! Les années 80, tout un monde de souvenirs… que tu nous fais joliment partager.
    @ Morgane: Texte dur et fort. Heureusement que cet enfant à venir lui donne tous les courages, et qu’elle a sa maman!!!

    Réponse
    • Leiloona

      Merci, Mamido ! 😀 Oui, je suis une fille des années 80 ! 😛

      Réponse
  3. Cardamone

    @Leiloona
    Joli texte d’une simplicité pleine de profondeur qui sonne très juste – avec plein de notations dans lesquelles je me retrouve complètement!

    @Morgane
    Un texte très fort, très émouvant

    Réponse
    • Leiloona

      Cardamone : Oh, c’est gentil, vraiment. Je suis touchée.

      Réponse
  4. Yosha

    @ Leiloona, un très beau texte que je ne trouve pas si nostalgique finalement !
    @ Morgane, j’ai été vraiment émue en te lisant…
    Je file lire tous les autres textes !

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    • Leiloona

      Hum, non … Elle y pense, mais il y a tellement de choses à vivre au jour le jour que le passé peut bien rester où il est. 😉

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  5. La Vilaine

    @Leiloona: Aaah les puces dans les cheveux ! C’est vrai aussi qu’on laissait les enfants jouer dehors plus facilement. Joli texte de souvenirs.

    @Morgane: Brrrr ton texte m’a donné le frisson. ce n’est pas le seul ce soir d’ailleurs. Heureusement, une jolie note redonne l’espoir à la fin.

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    • Leiloona

      Merci, La Vilaine ! 😀
      Oui, les puces, toute une époque ! 😛

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  6. Soène

    Coucou Leiloona,
    Un beau texte doux-amer sur le temps qui passe, hélas… que l’on peut s’approprier quand les dizaines s’ajoutent les unes aux autres.
    Parfois, tu as raison, les souvenirs de notre enfance sont intacts, pas les gens ni les lieux.
    Dans ces cas-là, j’ai toujours très peur d’être déçue…
    Je n’ai pas joué cette semaine, j’aimais pourtant bien cette photo… Trop de choses à faire, pas trop l’envie de me poser pour réfléchir !
    @ bientôt
    Bisous d’O.

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    • Leiloona

      Manque de temps, Miss ? 😉

      Sinon, oui, je crois que les lieux me parlent davantage que le reste …

      Réponse
  7. Kmill

    Deux textes très forts en émotion !

    Réponse
    • Leiloona

      La photo a inspiré des textes forts dans l’ensemble. 😉

      Réponse
  8. Morgane

    @ Leiloona : Texte nostalgique … Les souvenirs d’enfance, d’adolescence … Ah ces années 80 ! Encore et toujours …

    @ Yosha : Il est parfois compliqué de concilier épanouissement personnel et équilibre du couple ; Bravo pour ton texte !

    @ Kmill : Un moment d’évasion : j’étais dans cette voiture dans la tempête à ressasser des souvenirs … Bravo !

    @ Stéphanie : Texte très émouvant qui me touche particulièrement ; j’ai vraiment beaucoup aimé …

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    • Leiloona

      Morgane : Oui, on commence à voir des intrigues centrées sur ces années-là …

      Réponse
  9. Stéphanie

    @morgane: j’adore ton texte, très touchant, fluide, beau
    @leiloona: joli moment, c’est doux de retrouver un passé qu’on a aimé, tu jongles aussi bien en poésie qu’en récit!

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    • Leiloona

      Stéphanie : Merci, c’est gentil ! 😀

      Réponse
  10. lucie

    je passe ce matin vous lire tous, n’ai pas eu le temps d’écrire sur cette photo de porte en pierres ouvrant sur ancien monde.

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    • Leiloona

      Coucou, miss ! 😀
      Peut-être à la semaine prochaine, alors ! 😉

      Réponse
  11. liliba

    Un bien joli texte, comme toujours…

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  12. Leiloona

    @Morgane : Très joli texte d’une petiote qui porte en elle un petiot ! 😉

    Réponse

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