Elle n’a guère eu le choix
De fuir
Ce pays
De porter
Cette peine
Cet exil
Si loin des siens
Seule
D’accueillir ensuite en son sein
Un enfant
Pas le sien
D’agrandir ensuite cette famille
Puis de perdre
Son enfant
Déjà grande
Mais
Rebondir
Pour ces petits êtres
Qui attendaient un soutien
Le sien
Ses bras ont alors accueilli
Ces deux innocences
Et ont transmis
Cette force de vie
Inextinguible
Rebondir
Résister
Avancer
Ne jamais ployer
Mais aujourd’hui
Rendre les armes
Courber l’échine
Vieillir
Alors
Ne plus savoir
Son histoire
Perdre
La lumière
De ses yeux
Opacité du regard
Qui se mire
En moi
Ressasser
Radoter
Pantin âgé
Qui a cessé de lutter.
© Leiloona, le 3 février 2013
Crédits Photo ©Romaric Cazaux
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Voici le texte de Ludovic :
Première photo.
Je suis arrivé de bonne heure, bien avant que le village ne s’éveille, comme pour éviter les regards de ces voisins qui me connaissent tellement et qui attendent depuis bientôt 2 mois que quelque chose se passe dans cette maison.
Dès l’entrée, tout est remonté : les odeurs d’abord, la maison n’avait pas perdu la sienne, celle du pain d’épices mêlée à la senteur du bois, de ces vieux meubles massifs qui occupaient l’espace dans le salon.
Évidemment, après 2 mois dans l’obscurité, la maison sentait aussi un peu l’humidité.
J’ai donc commencé par me diriger à tâtons jusqu’à une fenêtre, pour ouvrir, et laisser entrer l’air neuf de l’extérieur, et la lumière. En ce matin de mai, la chaleur n’est pas encore moite et pesante comme elle le sera plus tard. L’air est même un peu frais et un léger vent s’engouffre dans la maison enfin réouverte au monde extérieur…
C’est alors que j’entrevois l’ampleur de la tache… Partout, des bibelots, des papiers, des photos, de la vaisselle… des souvenirs en somme.
Mon père doit me rejoindre plus tard dans la journée, mais je voulais arriver tôt, aussi pour profiter encore une fois d’un moment seul avec elle, ou plutôt avec le souvenir d’elle, puisque de toute évidence, la maison, même dans cet état, est vide d’elle!
Après un moment à observer l’ensemble de la pièce et des objets entassés, je décide de commencer par ce carton, laissé ici par ma grand mère elle même… Il semble qu’avant de partir pour son dernier voyage, elle avait entrepris de ranger, de classer des affaires, d’ordonner ses souvenirs… de regarder en arrière en somme. La mort ne lui en aura pas laissé le temps. La maladie, l’hôpital, et l’enchaînement des évènements font qu’elle ne sera jamais revenu chez elle après cette simple grippe…
Alors, depuis 2 mois, mon père, son seul fils, repousse le moment ou il faudra affronter le passé, revenir dans cette maison sans elle, pour ranger, classer, ordonner, trier, jeter peut être, se débarrasser…
J’ai naturellement proposé mon aide. J’ai passé tellement de temps ici, dans la cabane du cerisier, au fond de la cour, dans la bibliothèque de mon grand père pour réviser mes examens, dans le jardin, pour picorer les fraises à peine mûres… Tous mes étés en fait, dès l’age de 4 ans et jusqu’à l’adolescence, puis dans les moments de la vie ou l’on a besoin de calme. Cette maison aura toujours eu pour moi le goût de la paix. La paix avec le monde, la paix avec soi même… C’était un havre, un refuge.
Ce premier carton est plein de photos, triées par ma grand mère… J’en sors une pile… et regarde la première. Les larmes me montent aux yeux, je m’étais pourtant promis de ne plus pleurer, d’être courageux comme ils disent…
Cette photo c’est moi qui l’ai prise, le soir de mes 11 ans. J’étais en vacances chez mes grands parents, comme tous les étés, et pour mes 11 ans, j’avais reçu en cadeau un appareil photo… Mon tout premier! Alors, une fois les bougies soufflées, le gâteau terminé, j’avais épuisé la pellicule toute entière, en une soirée. Cette photo de ma grand mère de dos à travers la fenêtre de la cuisine fait partie de cette première pellicule (je pense même que c’est la seule photo sur laquelle on comprend ce qui a été photographié, les autres n’étant que floues et gros plans aléatoires…) L’été de mes 11 ans me revient alors comme un flot continu de souvenirs, accompagné d’un flot tout aussi continu de larmes.
Je retourne la photo, j’y trouve l’écriture de ma grand mère :
Portrait réalisé par Mathieu, été 1990.
J’espère que les prochains objets à trier seront moins chargés de souvenirs, sinon, la journée va être longue…
Voici le texte de Jacou :
La vie des autres
Encore une disparition. Cela n’arrêtera donc jamais ! Et toi, ma fille où es tu ?
Es tu partie à la recherche de ton père, comme tu en avais l’intention ?
Je me souviens, nous étions allées faire les soldes. Nous avions acheté ces rideaux.
Tu m’as aidée à les mettre en place. De ce coin bricolage, où tu amassais divers trésors glanés ici et là, tu as rapporté un galon de dentelle, confectionné par ta grand-mère brodeuse. Et tu en as fait des embrasses.
Tu es allée à ton cours de piano et, depuis ce jour, j’attends ton retour.
Tu vois, j’ai vieilli, je prends des médicaments pour le cœur. N’ayant plus beaucoup d’appétit, le soir je me contente d’un verre de lait.
Je regarde cette photo, vieille de dix ans, prise peu de temps avant ta disparition. Tu étais tendre, ce jour-là.
C’était pour quelle occasion, déjà ?
Nous avions, par jeu, revêtu des tenues de couleurs identiques. Je portais une veste du même gris que ton lainage, sur un chemisier blanc, comme ton T-shirt à bretelles.
C’était, si je me souviens bien, pour partager un repas avec les voisins et les nouveaux locataires. Nous leur souhaitions la bienvenue dans l’immeuble.
Te rappelles-tu comme nous nous entendions bien, les uns avec les autres ?
De temps en temps, il y avait quelques fâcheries. On se boudait un moment. Mais, la bonne entente régnait malgré tout.
L’autre jour, mon cœur a battu plus fort que d’habitude. Je regardais un concert à la télévision. La pianiste, de dos, c’était toi ! Les cheveux ramenés en une torsade prisonnière de la pince en ivoire rapportée d’un séjour africain par mon père. Ton grand-père l’avait dessinée, avant de la donner à graver. Le sculpteur a parfaitement représenté mon visage.
Tu t’es retournée pour saluer, ce n’était pas toi.
Combien de fois ai-je cru t’apercevoir, dans la rue, sur une affiche ? Combien de fois ce faux espoir ?
Quelle est cette inconnue qui orne ses cheveux de ma barrette ?
L’as-tu perdue ? Ou bien vendue ? As-tu rencontré cette personne ?
Tant de questions sans réponses.
As-tu retrouvé ton père ? Ce père, que tu me reprochais, si violemment, de n’avoir pas su garder. Toi, non plus, je n’ai pas su te garder.
Où es tu ? Mariée ? As-tu des enfants ?.
Ton corps est il caché, quelque part, dans les environs ? Dans un endroit, devant lequel, souvent je passe ?
Dans l’immeuble, beaucoup de gens ont été remplacés. Ils ne sont plus très nombreux, ceux qui t’ont connue.
Il n’y a plus de repas d’accueil. Les gens sont pressés, ou partent souvent en week-end.
Ainsi va la vie. Mais, elle est tellement invivable sans toi, Marie.
Voici le texte de Morgane :
JEANNE
Enfin … Elle est là ! Je l’aperçois derrière sa fenêtre, juste devant moi, ma Mamoune ! 400 kilomètres que je roule pour atteindre sa maison avec tant d’impatience !!
Ma vie se fait aux pas de courses : toujours pressée, je cours, je vole, je vois de nombreux pays défilés devant mes yeux mais cette semaine j’ai décidé de revenir aux sources, de poser mon sac chez celle qui m’a toujours chéri, réconforté, toujours mamouné : Jeanne.
Jeanne est là, toujours à la même place. Toujours à s’abimer les yeux sur un ouvrage quelconque. Aux mouvements que font ses coudes, je parierai sur du crochet : Encore une dentelle blanche qu’elle offrira pour Noël à une de ses petites cousines qui ne met plus depuis longtemps un napperon sous sa lampe de chevet.
Jeanne n’est pas ma mère à proprement parlé mais elle a remplacé au pied levé celle qui se refusait à assumer sa maternité et qui a préféré laisser son « erreur de jeunesse » aux bons soins de sa sœur aînée pour s’amouracher du premier venu lorgnant son décolleté et de tant d’autres ensuite plus nullards les uns que les autres… N’ayant jamais connu la joie de devenir maman, Jeanne m’a accepté chez elle comme un cadeau du ciel. Louis, son défunt mari, m’a recueilli comme si cela était son devoir et s’est toujours montré plus autoritaire que tendre avec pour autant comme de la fierté dans le regard quand je réussissais une compétition sportive ou un examen important durant mes études. Jeanne m’a éduqué pour que je prenne un chemin différent du sien ; elle m’a donné l’amour des livres et le goût de l’écriture, elle m’a encouragé à faire du sport, elle m’a poussé à faire des études, à sortir au cinéma, à me faire des amis, à ne pas être celle d’un seul homme : Bref, tout le contraire de sa vie à elle qui l’a tant étouffé durant des décennies et qui lui procure sans doute encore des remords aujourd’hui.
Je trouve la clé de la maison dans le fond de mon sac ; il a toujours le porte clés de ma jeunesse : une Minnie souriante dans sa jolie robe rouge à poids blancs. Je pénètre tout doucement dans le couloir de l’entrée, à pas de souris justement, pour lui faire la surprise de mon arrivée : elle ne m’attend que demain matin. La porte du salon-séjour est entrouverte et la musique de l’émission « Thalassa » bat son plein. L’odeur de son lait au miel me chatouille les narines mais aussi les papilles. Je pousse la porte délicatement mais celle-ci me trahit en couinant tout ce qu’elle sait. Mamoune lève les yeux et m’aperçoit ; son visage s’illumine d’un sourire inégalable et mes yeux s’embuent. Je cours me réfugier dans ses bras et je laisse mes larmes couler. Son parfum à la rose, sa voie enrouée, ses mains ridées qui caressent mes cheveux : Le bonheur de cet instant est tellement fort autant qu’il est espéré qu’il me submerge. Voilà 8 mois que je n’ai pas mis les pieds dans cette maison étant prise de semaines en semaines par mes missions journalistiques. Les lettres et les conversations téléphoniques ne suffisent pas à remplacer le contact humain ; le « peau à peau » comme on le nomme de nos jours dans les maternités. Je vis la vie que je me suis choisie et celle tant désirée de Jeanne par procuration ; mais un moment si fort en émotion comme celui que je ressens à l’instant me rappelle que le plus important dans notre courte existence reste les personnes que l’on aime. Et moi, la seule personne que j’aime vraiment, du plus profond de mon être, c’est elle : Ma Mamoune.
Le texte de Roswelette :
Je suis encore là, mais je n’existe plus. J’étais. J’étais cette femme sensuelle, sûre d’elle, amoureuse, heureuse, avec la vie devant elle… Comme le temps m’a vite rattrapée ! D’abord toi, mon homme, celui qui a partagé tous les moments forts, les bons comme les mauvais. Toi, mon roc, mon équilibre, toi celui que j’avais choisi pour m’accompagner dans la vie. Le cancer t’a emporté bien vite, trop vite. J’ai perdu mes repères, je me suis écroulée sous le poids de la tristesse. Voir les enfants s’éloigner progressivement a été tout aussi douloureux. Ils n’ont pas compris qu’une mère peut être triste ; non, une mère, c’est solide. J’erre toute la journée dans l’appartement plein de bibelots et pourtant si vide. A la recherche de quoi ? Je suis trop âgée pour sortir, mes rhumatismes ne me permettent même pas d’aller voir la voisine, qui doit elle aussi se sentir bien seule. Alors, oui, l’Etat a fait quelque chose pour moi : il m’a collé une auxiliaire de vie qui reste le moins de temps possible, qui me parle, ou plutôt qui me hurle dessus que j’aurais pu faire ci ou ça tout de même, c’est un dépotoir ici ! Elle pose les courses, me met des surgelés dans le frigo, et me rappelle comment marche le micro-ondes. Malheureux, pour une ancienne cuisinière comme moi ! Puis elle fuit vers sa vie, la vraie, la vie « active » d’une trentenaire. Je me sens seule, si seule… Les enfants m’ont laissé le prospectus d’une maison de retraite. Je crois que ça les soulagerait, non, Henri? De toutes façons je n’aurais pas le choix, je suis « sénile » il parait. Un vieux, ça ne pense plus, ça obéit. Quitte à crever, autant le faire en silence, perdue dans l’anonymat et loin de tous ses proches. Ça fera surement moins dépotoir.
Voici les liens vers vos textes :
Céline : Capitulation
K Mill : John
Cardamone : Ni temps passé
Yosha : Un peu de rien
Emeralda : Ma madeleine
Un texte très personnel pour moi … Pas pu faire autrement.
voilou :http://facetiesdelucie.canalblog.com/archives/2013/02/04/26321718.html
punaise, le tien, leil, quelle fin…
Oui, je ne peux malheureusement le voir autrement, ou plutôt la voir autrement …
@ludovic : ah la difficulté de vider une maison où tout est chargé de souvenirs…
@roswelette : tellement réaliste ce texte…
@morgane : je l’aime ton texte, il est plein de chaleur humaine. Cette Jeanne qui crochette (oui j’y avais pensé aussi à l’hypothèse du crochet), qui a toujours poussé des deux mains sa « fille » à vivre une vie qui soit meilleure que la sienne. Prétendument meilleure car n’a-t-elle pas superbement réussi la sienne aussi, en donnant autant d’amour et d’élan à cette petite ?!
Que j’aime cette photo ! Et comme les textes qui en découlent aujourd’hui me plaisent !!!
Il va par contre falloir éponger le mascara qui coule légèrement au bord de mes yeux …
Merci encore Leiloona de nous faire vivre cela …
Bonne semaine à tous !
Oui, les textes sont forts. Je commenterai ce soir. Là, je suis au boulot … Pas évident de lire vos différents textes, d’ailleurs.
Coucou,
La photo nous a bien inspiré !!!!
Voici ma participation : http://espace-temps-libre.blogspot.fr/2013/02/atelier-decriture-n3.html
Je vais lire tous les autres textes.
Excellente semaine i
Ajouté ! 🙂
Encore des textes forts cette semaine… cette photo nous a rendus bien mélancoliques. Heureusement que Morgane était là pour apporter un peu de chaleur et d’amour !
@ Jacou : ton texte m’a particulièrement touchée, ce doit être tellement dur de ne pas savoir, imaginer le pire et continuer pourtant d’espérer
Oui, la photo était tout de même très forte et poignante. Les textes n’ont guère été drôles, mais c’est important aussi de ne pas toujours écrire des choses gaies. 😉
Leiloona, ton texte me rappelle Purge de Sofi Oskanen. Magnifique j’ai adoré !
Merci K Mill. Du coup, je comprends mieux pourquoi « Purge » a remué en moi certains souvenirs familiaux ! 😉
Leiloona, c’est trop dur!! Mais j’aime ce poème poignant. C’est beau, c’est triste – une vie.
Ludovic – On les sent les odeurs de la maison – et l’ampleur, la difficulté de cette tâche…
Jacou – Brrr terrible – très touchant
Morgane – Beau texte plein de tendresse et d’amour. C’est plein de chaleur humaine et ça fait du bien! Merci!
Roswelette – Les mots sont très justes et le texte très fort. Bravo!
Oui, voilà, une vie, comme tu dis. :/
Comme la vieillesse est triste. Puisque tu le dis, ton texte est sorti de tes tripes, Leiloona. Il est poignant.
Je n’ai pas joué et pourtant j’aimais bien ton choix de photo.
C’est dur de tenir le rythme quand on travaille !
Bonne semaine & bisous d’O.
Oui, je te comprends tout à fait, j’ai du mal à tout gérer, je n’ose empiéter sur mon temps de sommeil, car cela ne fera qu’aggraver les choses, mais fichtre que c’est dur !
Sinon, oui, des tripes, voilà, c’est bien ça.
Ludovic : ton texte me rappelle ma vie voici un an. Ma grand-mère n’est pas morte, mais nous avons dû trier ses affaires, et une simple assiette faisait remonter en moi des instants à jamais gravés.
Merci pour ce texte.
Ja cou : Effectivement comment se remettre d’une disparition, surtout celle de son enfant ?
Morgane : j’ai aimé ce texte si riche en détails qu’il nous envoie directement vers cette scène. On est là avec ce personnage. 😉
Roswelette : Ton texte m’a bouleversée et interpellée … Je crois qu’il a permis un certain déclic en moi.
Trop personnel pour que je l’écrive ici, mais il m’a permis de comprendre un modus vivendi que j’essaie de contrecarrer sans y arriver encore.
Peut-être ce texte sera-t-il la clé ?
En réponse à ton commentaire Leiloona, nos textes sont en effet très similaires. C’est un texte très personnel pour moi aussi. J’ai bien aimé ton poème, le fait qu’il soit très haché rend chaque mots plus percutant.
Je suis désolée, j’ai toujours un temps de retard. Voilà que la prochaine photo est déjà publiée et que je termine juste d’écrire sur celle-là.
http://mamido55.over-blog.com
Bonne semaine à tous.