Il est là, sur son banc. Une fois par semaine. Le dimanche. 13 h – 17 h. De façon immuable : il a sa place. Il est même devenu l’attraction du quartier. « L’homme au livre », disent les badauds. Ils le prennent en photo, en parleront peut-être à leur retour chez eux, seront même amusés en racontant cette étonnante histoire. Un homme sur son banc, pensez-vous, voici de quoi alimenter un dîner en soirée …
Jamais il ne lève les yeux, jamais il ne sourit à l’objectif. Au fil des ans, des légendes se sont créées autour de lui.
Orphelin, il aurait perdu ses parents en mer. Face à elle, sur ce banc, il se ressourcerait. Nulle pierre tombale à fleurir, nulle sépulture à nettoyer. Il est seul sur son banc, et son livre est son unique compagnon.
D’autres parlent d’une tendre compagne maintenant disparue. Il ne se serait jamais remis de son départ et reste là, dans l’attente d’un hypothétique retour …
Un banc pour réconfort.
Personne ne se serait aventuré à lui demander la véritable histoire. Son air rustre n’y était pas pour grand chose.
Souvent, en effet, on préfère la mythologie à la réalité. Les histoires font davantage rêver, elles nous portent sur leur tapis de mots.
Je connais son secret, cet homme est mon personnage, mais vous le révéler enlèverait la magie de l’histoire. Gardez vos rêves et vos légendes, partagez-les : votre réalité n’en sera que plus belle.
© Leiloona, le 10 juin 2013
Le texte de Morgane :
SEUL
Il s’était retrouvé sur ce banc où la vie tournait tout autour de lui complètement sonné. Il s’attendait depuis un moment à cet appel téléphonique lui annonçant l’irrémédiable : Son Alexine s’en est allée cette nuit …
« Dans son sommeil » ont rassuré les infirmières mais il n’est pas dupe : il sait bien que cette seringue électrique branchée depuis quelques temps au bras de son épouse injecte de quoi la soulager mais aussi la guide sur le chemin du grand départ …
Sa douce repose maintenant dans un salon privé à l’ambiance silencieuse prévu pour le recueillement de la famille et des proches ; elle est habillée d’une robe parme qu’elle a elle-même choisi pour ce moment redouté mais attendu.
Les gentilles dames attentionnées du service lui ont remis tout à l’heure les affaires personnelles d’Alexine : il a déposé la valise dans le coffre de sa voiture et il a mis dans sa poche un petit carnet noir qu’il ne lui connaissait pas. Il s’est installé dans ce parc jouxtant l’hôpital pour reprendre ses esprits et le feuilleter avant que son grand fils n’arrive. Pauvre Jean-Marc ; mauvaise année pour lui : sa séparation avec Brigitte et aujourd’hui la perte de sa maman …
Dès les premières pages du mystérieux petit carnet noir, Yves comprend … Ses larmes coulent … Il s’agit là d’un merveilleux cadeau d’adieu d’Alexine. À chaque page, Yves découvre qu’elle y a collé à gauche une photo de toutes les personnes qui ont compté dans sa vie et à droite tantôt un petit mot tendre tantôt une anecdote ou un dessin.
A la fin du carnet, Yves découvre une photo de lui jeune, à l’époque de leur rencontre, et le reste des pages est rempli de l’écriture fine et ronde d’Alexine : un résumé de leur vie amoureuse et familiale avec ses hauts et ses bas, les non- dits finalement avoués, ses petits défauts gentiment évoqués. C’est une véritable et merveilleuse déclaration d’amour qui lui est destinée.
Yves se sent heureux malgré ses larmes et se dit que le sourire d’apaisement dessiné sur le visage de son aimée ce matin montre qu’Alexine est partie en emportant ses sentiments avec elle.
Le texte de Jacou :
En vie.
J’irai pas ! Elle peut dire ce qu’elle veut. J’i-rai-pas, dans sa super maison de luxe, de retraite dorée. Elle pourra pas m’y obliger.
Elle aura beau me répéter que chez moi, c’est moche, triste-sale-inconfortable ; que s’il m’arrive quelque chose…
Qu’est ce qui peut bien m’arriver ? Ça peut pas être pire que de se retrouver enfermé dans vingt mètres carrés, odeurs d’hôpital, on vous oblige à la douche, au p’tit déj., même si on a envie de flemmarder au lit…Allez, monsieur Hardy, on va jouer aux dominos, c’est l’heure de la sieste, bonne nuit monsieur Hardy.
Non, non et non, je suis maître de mes envies, de mes idées, de mes actes ; et j’entends bien le rester ; me balader où et quand je veux,, lire sur un banc à côté des amoureux. Là, je me sens vivre.
Retrouver les copains, jouer aux cartes, partager un saucisson et une bonne bouteille de rouge.
« Papa, tu te nourris n’importe comment ! A ton âge, c’est pas sérieux ! ».
Sérieux ! C’est pas à quatre vingt dix balais que je vais être sérieux ! Ça m’a toujours réussi jusqu’à présent, qu’est ce que j’irais changer tout ça !
Mon médecin, il me dit pas ça, lui ! « Monsieur Hardy, j’aimerais bien être comme vous, au même âge ! ».
Alors, la maison de luxe-retraite-dorée, elle a qu’à y aller, elle, si elle trouve que c’est si bien que ça !
Soupe fadasse à six heures du soir, coucher sept heures ; agueu, agueu ; complètement infantilisé, plus rien, plus rien…
Allez, Jojo, on se lève, aïe, mes articulations craquent, mais ça fonctionne quand-même. J’ai encore du temps. Je vais m’acheter une baguette. Elle est sympa la boulangère. Elle me la met toujours de côté. Elle sait que je l’aime un peu brulée. Y’en a toujours une pour moi.
Mais il ne faut pas que je traîne, la voisine vient aujourd’hui, m’aider à remplir la déclaration d’impôts. « Papa, tu devrais prendre un comptable ; cette personne n’a pas à connaître tes revenus ; c’est indécent d’étaler ta vie privée devant une inconnue. ». En attendant, elle va venir avec ses enfants ; ils vont me poser pleins de questions sur mes reliques, jouer avec les jumelles, les boules de billard, grimper sur les fauteuils, chercher des trésors dans mes tiroirs, se disputer. Le mari va nous rejoindre, toujours une bonne blague à raconter, on va partager le contenu du réfrigérateur ; elle ira chercher le dessert…on sera bien, les enfants se seront endormis sur le canapé.
La vie, quoi !
Vos liens :
Cardamone : Bouée
K Mill : Mauvaises habitudes
Stéphanie : La faveur de Tom
Yosha : Le livre
Miss Alfie : Loup de mer
Sabine : Le tout petit carnet jaune
Jean-Charles : A l’eau, la vie
Cess : Lire et pleurer
@ Leiloona : mais nooooooooooooooon dis nous son secret !!!
@ Morgane : j’aime l’idée du carnet qui parle de tous les membres aimés. Très chouette idée !
@ Jacou : l’optimisme ressort de ce texte et j’adore
Hé hé, non je me le garde. Et puis en plus, vous en avez écrit de magnifiques, je vous ai laissé la place ! 😉
Jacou = J’adore ton JoJo !! J’aime beaucoup le dernier paragraphe avec les enfants qui fouinent partout … 🙂
Leiloona = Très chouette ton texte ! Surtout qu’avec mon prénom, les légendes, ça me connait !!
Oui, superbe prénom, au passage. 😉
Cette photo a inspiré de très belles histoires…
@ Leiloona : c’est frustrant !!!
@ Morgane : j’aime beaucoup l’idée de ce carnet souvenir, ton texte me touche particulièrement
@ Jacou : un beau cri de vie ! Ton texte me fait un peu penser à celui de Jean-Charles, dans un autre registre
Ah c’est marrant, je trouve qu’au contraire cela laisse une place à l’imaginaire non négligeable.
C’est tout le mal que je souhaite aux personnes qui vivent longtemps! Merci pour vos commentaires.
Morgane : du coup je regarde la photo d’une toute autre façon. ♥
Jacou : je serais plus négative, pour le coup … Moi aussi je pensais ma grand-mère intouchable, et pourtant …
Leillona : j’adore cette idée d’imaginer la suite de l’histoire
Morgane : Waouh, j’ai presque les larmes qui coulent ! Merci pour cette belle émotion
Jacou : Laissons vivre en paix les personnes âgées qui le souhaitent, c’est vrai quoi !
Merci pour ces très beaux textes !
@Leiloona :Tu as raison les secrets sont faits pour être gardés mais… c’est quoi ? Dis-moi ! 😆 😛
Très jolie fin, Leil : oui, on n’a pas toujours les réponses à nos histoires ! je te bise.
Cruelle!!!
j’aime ton texte leiloona, ce côté égendaire. Tu as oublié mon lien.http://facetiesdelucie.canalblog.com/archives/2013/06/10/27369195.html
jacou ton texte me fait penser au mien…j’aime bien cet homme qui veut rester autonome.
morgane j’aime cette idée du petit carnet mais je n’ai pas compris qui était cette femme pour lui, son épouse ?
Leïloona, j’ai écrit ce texte en pensant à ma mère, à ce qu’elle vit, aujourd’hui; elle est malheureusement au stade agueu, agueu; ce texte est un cri d’impuissance devant le manque de considérations et de moyens que l’on donne aujourd’hui à ces gens-là.