Ruban de soie, menottes de fer ou corde de chanvre ? (atelier d’écriture)

par | 25 Nov 2013 | # Parfois j'écris ..., Atelier d’écriture | 16 commentaires

© Kot

© Kot

Ce lien,
Si extinguible, mais si fragile
Aura ce don
De nous émouvoir
De nous dépasser
De nous rendre meilleurs
De nous faire déplacer des montagnes
De créer, parfois :
1 + 1 = 3

De sa naissance
Nous ne savons rien
Une évidence
Un coup de foudre
Une amitié
Une passade
Un coup d’un soir

La liste est longue
A énumérer
Et d’autres ont déjà bien disserté

Et que dire
Sinon ressentir
Ta chaleur
Ton odeur
Contre moi
Qui entre en moi
Sentiment  indicible
Mots bleus
Vaporeux
L’amour commence là
Devant cette longue liste
Au cinéma

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 Le texte de Jacou : 

Héritage

 Il est là, en vitrine, devant moi.

Je regarde, incrédule, les photos.

Nous sommes devant une salle des ventes.

Eric m’avait proposée d’aller faire une balade. Il faisait nuit ; l’air était printanier ; nous baguenaudions, rêvant ou commentant le spectacle des vitrines, les rencontres inattendues, la marque des voitures…

Mais là, si je m’attendais…

 « Objet numéro 228, mise à prix : 10 euros. »

Je renchéris : quinze euros.

Vingt euros.

Quarante euros.

Quarante deux euros.

Quarante cinq euros.

Je réfléchis à toute vitesse. Ce n’était pas le montant que je m’étais fixé.

 Tant pis, je lève la main : Cinquante euros.

« Cinquante euros, là-bas, monsieur… non. Cinquante euros, une fois, cinquante euros, deux fois, cinquante euros, trois fois. » Le marteau s’abat sur la table.

L’objet numéro 228 est à moi !

 Eric, en rentrant, le voit, trônant en plein milieu de la table.

–          Tu l’as acheté ! Super! Et si on continuait à chercher. Peut-être trouveras-tu autre chose. Tu sais qui l’a vendu ?

–          Non. La personne veut rester anonyme

–          Tu n’as pas envie de savoir où il était, depuis tout ce temps…

–          -Je suis contente de l’avoir retrouvé, c’est déjà bien.

Quelques années plus tard, après mes réponses à la curiosité de mes enfants, c’est au tour de mes petits enfants.

Je leur raconte ma famille, l’aïeul marin et grand voyageur, tous les pays qu’il a connus.

De ses nombreux voyages, il a rapporté beaucoup de souvenirs.

Les aléas de la vie, les cruels bouleversements historiques, les spoliations furent la cause de leur dispersion. Toutefois, certains purent être sauvés, répartis dans la famille.

Celui-ci, je le voyais chez ma grand-mère, parmi d’autres objets, tous me racontant ces pays lointains, alors inaccessibles, évocateurs de rêves ; objets pittoresques, beaux et délicats, façonnés par des inconnus, artistes à leur manière, transmettant à travers eux une culture qui n’était pas la mienne.

Un jour, tout cela fut à moi.

Je me trouvais incapable de m’accaparer tous ces objets, pourtant chargés de précieux moments de mon enfance. Je proposais à d’autres de choisir ce qu’ils désiraient.

Ne me resta que des babioles sans valeur. Les autres s’étant généreusement servis, prenant comme prétexte  mon soi-disant désintéressement familial.

Ce qui était fait, était fait. Je tournais la page.

 Hier soir, ma petite fille m’a  demandé : « Mamie, j’ai vu un film. Dedans, y’avait une autruche qui courait après un monsieur déguisé en autruche, parce qu’il voulait lui voler  son œuf. C’était rigolo. Tu crois que c’est comme ça que l’arrière grand-père de ton papa a fait, pour rapporter l’œuf d’autruche? »

Enfant, je m’étais racontée  bien des choses. L’unique portrait de cet arrière grand-père, grand et fier, l’air sévère, m’intimidait. Jamais je ne l’aurais imaginé, affublé d’un déguisement d’autruche, disputant farouchement cet œuf au volatile géant, qui le poursuivait … j’éclatais de rire.

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 Le texte de Loredana : 

On s’est installées à une terrasse comme on s’installe à Paris. Côte à côte. Il faisait froid. On était seules, invisibles, dans l’ombre d’un soir de novembre où tout le monde se coltine les uns sur les autres à l’intérieur dans un brouhaha insupportable. On s’infligeait la pluie pour sa cigarette et elle en était désolée.

Celle-ci partit un instant à la recherche d’un briquet, suffisamment longtemps, pour qu’un homme eut le temps de m’aborder.

Me trouvait-il séduisante ou s’identifiait-il à mon regard trop égaré ?  Peut-être qu’il nous observait depuis vingt minutes déjà, je ne sais pas, je ne faisais pas attention, je n’avais d’yeux que pour Juliette à ce moment-là.

–          Vous êtes française mademoiselle ?

(Long silence)

–          Non…

–          Vous êtes belge alors ?

–          Oui.

Il m’observait dans un silence profond et tira sur son joint en plissant des yeux.  Il était statique, perdu. Bruxelles ma belle comme on dit, mais tout a disparu. Je ne sais pas si mon regard exprimait un “j’aimerais me perdre dans Bruxelles comme dans une chanson de Jacques Brel”. Mais on est bien trop loin de tout ça aujourd’hui. Impossible d’errer seul dans cette ville saturée de regret. Ni sur les pavés de Ste Catherine, ni sur la place de Brouckère. Non plus rien n’a de charme. La mélancolie n’existe plus vraiment.

L’homme restait là et voyant que je n’étais pas réceptive du tout, il conclut assez vite ;

–          Et bien vous avez vraiment l’air d’une française.

Ne sachant quoi répondre, j’ai simplement souri à ses paroles.

C’était un compliment. Mais qu’avait-il perçu au fond. Une silhouette sombre et floue. Un signe de faiblesse dans un regard confus. De la compréhension. Une élégance vestimentaire qui cachait un mal être. Un style trop pointu. Une fierté rompue. De l’impuissance et du mensonge. Qu’est ce qui définit “une française”.

Paris la nuit et Schneider Romy. J’essayais de m’identifier à une française, mais je n’en trouvai aucune réellement attachante. Romy était allemande pourtant elle me vient souvent à l’esprit comme “française” de référence. Les filles des métropoles de Paris ou autres ne meurent pas d’ivresse. Elles sont stables, elles ont le trac, elles ne touchent pas au barbiturique ni même à la conduite. Regarde Vanessa,  à chantonner du Joe le taxi, elle aussi vieillira paisiblement, délaissée de ses comptines. La française ne manque jamais de rien, elle est heureuse, peureuse, elle pleurniche, appelle papa. Elle n’est jamais la goutte d’eau qui fait déborder le vase parce qu’elle est douce, gentille. La française type n’est ni excessive ni adepte de sombres destructions. Elle boit du vin avec modération, cache sa force derrière de faux semblant. Très fière, un peu altière, elle parle toujours d’amour, elle est capable d’aimer mais jamais suffisamment, parce que trop équilibrée. La française n’est pas attachante parce qu’elle joue de la surface des choses, dans le scintillement du jour, où quoi qu’il advienne elle disparaît délavée par le temps et finit par mourir dans l’oubli.

Le retour de Juliette me fit oublier le décor.

– A quoi tu pensais ?

– …A rien.

Elle est parvenue à me ramener sur terre. Elle a gagné des points. Si en plus elle pouvait m’apporter une pincée de stabilité, je pourrais l’épouser. J’aurais pu être honnête, lui dire que j’ai pour coutume un fond d’océan noir, des émotions qui divergent l’une dans l’autre, un caractère un peu soupe au lait. Elle se serait enfuie.

Installée,  elle parlait de sa vie, ses voyages, l’art, ses parents, sa sexualité, son milieu. Elle comblait tous les blancs. Avec Juliette, on fait Paris-Marseille en moins d’une heure.

J’avais l’impression qu’elle avait cinquante balais tellement elle avait vécu. En vérité elle en avait vingt-huit. Six ans de décalage et je buvais ses paroles, son regard, sa voix. Des rides se dessinaient sur son front quand elle me souriait parce que le temps passait. Il passait si vite, trop vite. Je n’osais pas regarder ma montre. Je ne voulais pas que cette histoire me file entre les doigts comme la cigarette qui se consumait lentement entre ses lèvres. Je la regardais aspirée une bouffée de nicotine, les yeux fixé au ciel.

Comme si c’était ça la vie. Une cigarette comme (                                                                )   une longue parenthèse de vide en plein milieu d’un texte.  Fumer c’est respirer, s’éclipser, rompre, suspendre, faire une coupure, mettre une virgule au milieu d’une phrase. Les français fument comme des turcs, ça leur évite de se défaire petit à petit. S’autodétruire à petit feu parce qu’ils sont trop peureux.  Au plus elle racontait au plus ma pensée divaguait. Avec ses compliments et son sourire, une énorme pierre avait remplacé mon ventre creux. A la douleur, j’ai compris que ça ne m’avait pas manqué, que je préférais passer inaperçu, vivre ivre, seule, ne dépendre de personne. Parfois je tremblais, je buvais pour oublier ma peur de l’aimer. C’était si intense que je voulais qu’elle me repousse. Qu’elle m’envoi chier.  Que tout s’arrête, que la flamme s’éteigne vite fait tel un mégot abandonné le long d’un trottoir.  Mais elle avait déjà trop de maîtrise.

En moi je supposais qu’elle enchaînait les cigarettes comme elle enchaînait les femmes, sans s’en rendre vraiment compte.

Elle fumait tellement qu’on a finalement jamais mis un pied à l’intérieur du bar. Peut-être agissait elle exprès pour ne pas intégrer le vacarme qui faisait trembler les fenêtres. Peut-être avait-elle compris que je tenais à rester là dans le froid pour pouvoir croiser les bras, les jambes, me mettre en boule sans trahir aucun sentiment. Non je ne mets absolument aucune barrière entre nous.

J’ai dû lui paraître peu loquace. J’avais mal au ventre d’angoisse.

Comme dans un film.

–          C’est quand la dernière fois que tu as été amoureuse ?

C’est une histoire sans fin.

–          J’ai un talent d’écrivain ?

Une pointe de naïveté.

–          T’as toujours l’impression que je te comprends ?

De l’amour.

–          Je ne sais pas… on est dans l’amitié, et plus si affinité ?

Et un silence.

–           Ecoute Juliette. Je ne peux pas. Le mot gouine me dégoûte. Je n’assume pas. Je n’assumerai jamais.

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Voici vos liens :

Yosha : Le miroir des autres

Cardamone : Morts-vivants

Stephie  

V. Belecteur : Ouh là là

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16 Commentaires

  1. Leiloona

    @ Loredana :
    Comme je te le disais par mail, ton histoire est captivante, elle ferre son lecteur jusqu’au bout. 🙂

    Réponse
    • Loredana

      Merci beaucoup !

      Et bien le texte à thème est une chouette expérience (même si mon texte est inspiré d’une histoire vrai). J’ai déjà hâte de voir les prochaines photos pour voir ce qu’elle m’inspire.

      Merci de m’avoir publié.

      Pour ce qui est de la « française » type en effet c’est un cliché. C’est mon cliché à moi en tant que Bruxelloise, mais c’est à prendre au second degré bien entendu. 🙂

      A bientôt

      Réponse
      • Leiloona

        Oui, bien entendu que c’est un cliché, mais c’est difficile aussi d’aller en profondeur sur un texte court, et là c’est un cliché léger, on le prend ainsi du moins … Et d’ailleurs il convient à cette parisienne toujours pressée ! 😀

        Réponse
    • Leiloona

      Quel plaisir de te revoir ! 😀
      Oui, ambiances différentes, c’est bien justement de voir que la photo nous parle à tous différemment !

      Réponse
  2. Leiloona

    @ Jacou :
    La valeur des objets … Pour avoir voulu récupérer des assiettes de ma grand-mère dont personne ne voulait, juste parce qu’elles me rappelaient des souvenirs, je peux comprendre ton texte et ce lien entre les objets et ton personnage. 🙂

    Réponse
  3. Cardamone

    @Leiloona: Très joli jeu entre le poème et son titre je trouve!

    @Jacou: Jolie charge évocatrice de l’objet de famille!

    @Loredana: Un texte plein d’une belle sensibilité qui vibre! J’aime beaucoup! … sauf peut-être la vision des Françaises, je ne sais pas trop exactement ce que j’en pense, je crois que même quand je ne suis pas concernée les généralités sur les gens de telle nationalité me semblent toujours plus ou moins injustes!Ta narratrice a raison d’un côté, il y a forcément des tendances, mais en même temps tellement de différences que c’est délicat!!

    Réponse
    • Leiloona

      Merci d’avoir pris le temps de commenter ! 😉 C’est toujours plus sympa avec des retours ! 😀

      Réponse
  4. Loredana

    Merci beaucoup de m’avoir publié !

    En effet ma vision de la « française » type est très cliché mais c’est à prendre au second degré bien entendu. 🙂

    A bientôt

    Réponse
  5. milleetunefrasques

    J’aime beaucoup ton texte… tellement à ton image <3

    Réponse
    • Leiloona

      Oh ! <3
      Bon, cela dit je ne suis pas contente de moi ... C'est un premier jet (ou presque) et j'aurais bien voulu modifier des expressions, mais je n'ai pas eu le temps ...
      Entre ce texte-là que j'écris le dimanche, souvent dans la soirée et d'autres textes où l'écriture peut mettre une semaine, la démarche n'est pas la même ... et cela me déstabilise.
      Bon, c'était les "souffrances de la jeune Leiloona".
      Je monologuise ...

      Réponse
      • milleetunefrasques

        Pour le coup du premier jet, je comprends. Je n’écris que comme ça… si je me relisais vraiment, je crois que je ne publierais pas…

        Réponse
  6. Leiloona

    Raaaaaaaaah c’est quoi ce délire, les coeurs ne fonctionnent plus chez WP ! 😮 Comment je vais faire !

    Réponse
  7. Yosha

    @ Leiloona : ton titre m’a intriguée ! Je suis d’accord avec Cardamone, il est très bien choisi. C’est joli ces histoires d’amour qui démarrent au cinéma, ça me donne envie d’aller me faire une toile tiens ! 😉
    @ Jacou : j’aime le thème de la passation à travers cet objet
    @ Loredana : comme Leiloona, je t’ai lue d’une traite, ton écriture est très belle et m’a emportée. Le « cliché » sur les Françaises ne m’a pas trop gênée, mais c’est peut-être plus les Parisiennes dont tu parles ?

    Réponse
    • Loredana

      Oui en effet, plutôt le cliché de la parisienne 🙂
      Merci pour les compliments en tout cas.

      Réponse
  8. Kmill

    Leiloona j’ai trouvé ton texte très beau, d’une simplicité comme je les aime. Pas besoin de centaines de lignes pour exprimer l’amour.
    Je ne sèche pas les ateliers, au contraire je les regarde tous les lundis mais mon emploi du temps ne me permet pas toujours d’écrire dans les délais ou d’écrire tout court.
    Je reviens très vite avec grand plaisir, promis 🙂

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