Publication des textes lundi. 🙂
Atelier d’écriture 340
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Houla ça laisse très peu de temps … Je pense passer mon tour cette fois ci
Photo intéressante mais je travaille tout le week-end donc peu probable que je poste un texte…
Je trouve aussi que le délai est très court. Quand j’ai commencé c’était une fois par mois puis c’est revenu à une fois par semaine avec proposition de photo le mardi pour publication le lundi suivant, jouable dans ce cas. Mais là…
Je verrai si j’y arrive.
La vie fait que parfois ce qu’on a décidé de réaliser un mardi ne peut se faire que le vendredi…
Il est mort et emporte avec lui le passé, les non-dits, les secrets.
Reste la nostalgie, les regrets et des envies d’encore.
La peine s’installe,
tenace.
On n’a pas idée avant,
qu’elle sera si profonde, si saisissante.
Il faut l’apprivoiser.
Qui se souviendra de lui, et de son père avant lui ?
Notre lien au monde est si fragile, si vaporeux, si éphémère.
Tout s’efface,
Tout s’enfuit.
Ne reste que quelques mots, quelques objets, quelques clichés, accrocheurs et consolateurs.
Ils nous imprègnent et invoquent la mélancolie.
Bientôt,
ils iront rejoindre au fond du grenier,
d’autres premières et dernières fois.
Un texte nostalgique. J’ai beaucoup aimé Jen.
Triste et doux à la fois, tout en jolies sonorités.
Très bien résumé et bien écrit.
Merci pour vos retours. Je m’essaye depuis peu à cette forme. J’aime prendre ce temps régulièrement.
J’aime beaucoup. Tant sur le fond que sur la forme. Il y a un jeu subtil avec le temps qui passe, l’éphémère, et l’attachant. Et paradoxalement les phrases courtes nous y emmènent avec douceur. Bravo.
Une belle ambiance mélancolique…
La mélancolie de la nostalgie tout en délicatesse
Un beau texte tout en nuances douces, évocations nostalgiques saisissantes de réalité, une agréable lecture
Une fois ouvert, le coffret dégage une forte odeur de renfermé. Il regorge de photographies, couleur sépia ou en noir et blanc sur papier épais. C’est à croire que les époques figées sur le papier enferment avec elles les parfums d’hier.
Tous ces portraits de gens que je n’ai pas connu, tous ces sourires posés, ces gueules d’une autre époque, d’un siècle passé à l’aube de grands changements me fascinent. Et cette distance que je dispose à leur égard me rend nostalgique d’un passé et d’une filiation dont j’ignore tout. Je pourrais les considérer comme ma famille si tu m’avais parlé d’eux. Mais non, tu n’évoquais que rarement tous ces gens. C’est pourtant ta famille que j’ai devant mes yeux.
Sur les différents clichés, je retrouve la forme de ton front sur un visage, ton sourire sur un autre. La finesse de tes traits, la chevelure sombre. Des générations d’hommes, de femmes, d’enfants figées sur du papier argentique qui me racontent des bouts de toi.
Des bouts de toi dont je ne sais que faire. Tu es partie si vite.
Me voilà héritier de tes racines alors que les nôtres ‒ celles que nous avons créées tous les deux ‒ ont si peu vécu. Deux, trois albums où se mêlent photos couleurs et polaroids qui retracent nos premières années ensemble. Toutes les suivantes – stockées dans des dossiers sur l’ordinateur – me parlent de toi et de nous, c’est vrai, mais vois-tu, elles paraissent manquer d’âme. Ce sont, tout à coup, des centaines de photos qui n’existent pas tout à fait tant qu’elles ne sont pas palpables. J’ai besoin de matière, de papier, de pouvoir toucher tout ce qui me reste de toi.
Je veux pouvoir encore te garder, te tenir, te regarder.
Demain j’irai les faire développer.
Un texte d’une grande émotion Laurence Délis. J’ai beaucoup aimé.
C est beau cette mise en parallèle de deux époques
Il est toujours amusant de ressortir les vieilles photos et d’essayer d’y trouver des « marques de fabrique ». La nouvelle technologie qui multiplie à l’infini les prises de vue nous fait pourtant passer à côté de quelque chose. Avant une photo marquait un temps fort d’une vie. Ajjourd’hui on prend des photos de tout et rien tout le temps.Comme pour le reste on surconsomme…mais je m’égare. Bravo pour ton texte.
C’est très justement écrit. Les photos sont des propulseurs de souvenirs, les nouvelles madeleines proustiennes…. Et si on souhaite prolonger les histoires familiales, il est effectivement utile de commenter de notre vivant les images aux proches.
Ce sont des traces et des fils invisibles que nos enfants risquent de ne pas connaître. Quel plaisir pourtant de tomber sur ce type de photos au détour d’un grenier. J’aime beaucoup ce texte.
De la nostalgie au regard de ces photos retrouvées et beaucoup de justesse dans le texte, et ce fil conducteur comme un reproche fait à la personne disparue qui ne nous a pas laissé beaucoup d’explication, je te comprends
Ce soir-là, après nous avoir servis copieusement, ma femme et moi, foies gras, confits et gâteaux basques, ma vieille tante Maïté alla nous chercher un Bas-Armagnac 1986. Je pensai naïvement que ma torpeur allait trouver là un sas ultime avant une nuit qui s’annonçait difficile. Mais, à mon grand désarroi, avec le précieux flacon, je la vis revenir un carton à chaussures sous le bras : les photos de famille ! Incontournable et épuisante séquence de nostalgie devant des interminables portraits de bébés, d’enfants, d’adultes, de vieillards, des clichés de qualité certes, mais aussi vides d’informations qu’un trombinoscope d’entreprise.
Tandis que j’écoutais distraitement les commentaires soporifiques de Tante Maïté, ma fatigue m’amena à des jugements intérieurs sans concession, mais clairvoyants, et je me mis à en vouloir à tous ces photographes qui avaient cru bon d’extraire les sujets de leur contexte. Pourquoi ne pas avoir saisi, tel les tableaux de Le Nain au XVIIe siècle, l’oncle Cyprien dans son atelier de bourrelier, ma mère à sa boutique de bonneterie, mes cousins au fond de leur classe, ma grand-mère devant sa cuisinière en fonte… Où sont les arrière-plans, bon sang !
De retour chez nous quelques jours plus tard, je ressortis mon appareil photo, pris avec frénésie des quantités d’images, en plans larges, de ma femme dans son quotidien, au volant de sa voiture, devant son entreprise, au marché, les enfants à leur petit déjeuner, sur le chemin de l’école, en train de jouer dans leur chambre. Animé d’une mission quasi divine, j’en fis un album de plus de cent pages destiné à replacer, pour les générations futures, épouse et progéniture au sein de l’Histoire universelle avec un grand « H » grâce à l’inclusion de mille détails riches d’enseignement.
A la maison, les réactions furent cruelles. Ma femme me fit remarquer, vexée, qu’on l’apercevait à peine au milieu des décors ; quant aux enfants, avec un rire moqueur, ils me traitèrent d’has-been dans leur monde de selfies.
De guerre lasse, je me rends aujourd’hui à l’évidence : il y a belle lurette que Narcisse a vaincu Clio.
Excellent retour de situation et oui Narcisse a encore de très beaux jours devant lui
Hahaha! Mais ouvre plutôt cette bonne bouteille pour te consoler. (On se la boit bientôt d’ailleurs ? )
Persiste, résiste pour la postérité et surtout, merci de me faire saliver avec les spécialités basques
Merci Anne-Marie. Des spécialités à partager ensemble… Quant à la postérité, LF. Céline disait dans « Le Voyage… » : « Celui qui parle de la postérité fait un discours aux asticots »…
Ah ! Échanger sur le thème de la postérité autour d’un bon repas… si possible bien arrosé
J’apprécie toujours autant ton humour dans l’écriture. Bravo Cloud !
Très drôle et très actuel 🙂
Trés sympa. Comme quoi même la photo est marquée par les modes. A savoir quels clichés sont les plus interessants? Question subjective…
O tempora o mores 😉
On est dans l’image de soi fut-elle virtuelle et évanescente…
Bonjour, voici mon texte. Bonne lecture et bonne journée.
Les souvenirs ont le parfum du vieux linge empilé dans les armoires de nos grand-mères.
Petit ou grand sac accroché en bandoulière à notre âme qui a tant vécu, ils s’en vont et reviennent.
Étincelle ou long travelling, ils nous accompagnent tout au long de notre vie.
Ils s’enrichissent de nos expériences, bonnes ou moins bonnes.
Papier photo, instantané numérique, mots doux, bijoux de famille, vieux objets, quel que soit le support, ils restent proches à chacun.
Comme si le doudou de notre enfance s’était accroché à notre destinée, ultime rattachement à notre jeunesse tant de fois regrettée.
Puis vient le jour où l’on se demande quelle marque/trace va-t-on laisser, quel message transmettre à ses enfants, aux générations futures, quel bagage va-t-on abandonner ?
Ton texte et tes questions font méditer. Je préfère ne pas chercher les réponses moi. Bravo !
Merci. Je suis (un peu) à un carrefour de ma vie alors oui les questions se postent. Reste, en effet, à savoir si j’y réponds ou pas…
A chacun sa ou ses madeleines…mais effectivement qu’en ferons- nous?
Joli texte plein de questionnements passionnants. Tu as raison, on a souvent l’impression d’avoir son doudou en permanence, même lorsqu’on se donne l’apparence d’un adulte sûr de lui… Quant au message à laisser aux enfants, je suis convaincu que l’exemple de soi-même est souvent la meilleure des leçons…
Il en va de ces photos du passé comme des tombes abandonnées au fil du temps dans les cimetières quand plus personne ne se souvient de ceux qui s’y trouvent…
Belle instrospection à propos du devenir de nos souvenirs, et en plus c’est une jolie lecture
Je n ‘ai gardé
Je n’ ai gardé
Près de moi
Que les photos de toi
Et de moi; les autres
Ils m’ ont laisse
Alors j’ ai mis leurs photos
A la cave
Purgatoire
Je ne suis pas maso
Nos textes pensent pareil. J’ai beaucoup aimé le toen Laura. Bravo !
J’adore ce court poème, moderne, décalé. Bravo
Lapidaire est le mot qui me vient à l’esprit en lisant ce texte court, à deux niveaux: bref et concis mais aussi lapidation…
Bref concis rythmé comme la déception d être mis de côté.
Un simple tri, une simple règle, une bonne hygiène de vie sans encombre et Hop ! il n’y a pas de mal à se faire du bien.
Je chercher le coffret.
Dans mon souvenir d’enfant, il est recouvert de cuir avec des boucles pour le sangler. Je le cherche depuis deux, trois, dix jours, peu importe, cela devient une obsession, peut-être aussi parce que je lis le livre « Antonia », sans doute, même.
En équiibre sur une vieile chaise, je me hisse sur la pointe des pieds pour apercevoir le dessus de l’armoire. Trop petite, je ne vois rien, Zut ! Comme toujours dans le cas de recherche obsédante on fait n’importe quoi, l’urgence de retrouver l’objet égaré nous fait oublier quelques mesures de bon sens et de précaution.
Je me hisse encore. La chaise tremble. Je suis tendue à l’extrême, étirée vers les poutres en chêne enrubannées de toiles d’araignées.
Mes efforts ne me servent à rien, sinon déclencher une sorte de crampe au mollet gauche.
Le bout de mes doigts frôle ce que je pense être l’objet tant recherché.
Je saute de la chaise sur le parquet poussiéreux, faisant voler une multitudes de petits points blancs dans le faisceau lumineux du soleil.
Je jette un coup d’oeil circulaire dans ce bric à brac de grenier ancestral, dans lequel chaque génération à pris soin d’entasser, de superposer ou de ranger leurs objets précieux ou encombrants, Hein, Papy ?! Cela ne te dérange pas si je mets ce carton dans le grenier ?
Papy ! … La canne de mon arrière-grand-père apparaît nimbée de soleil, offerte sur un plateau, présent inestimable, outil inespéré.
Je remonte sur la chaise branlante mon arme de choc à la main, le coffret se déplace vers le bord avant de l’armoire, poussé laborieusement par la crosse de la canne. Magique !
C’est bien lui, le coffret tant cherché, je sais ce que je vais y trouver et je vais prendre mon temps pour effeuiller mes souvenirs.
Mon arrière-grand-père disait toujours, en entassant le premier des choses dans son grenier : « ça peut toujours servir »
J’ai eu peur que ton personnage ne tombe en te lisant en disant à l’inverse de son arrière grand-père : « tout ça pour ça ». Bravo Janickmm !
hey ! hey ! un peu de suspens en suspension sur une vieille chaise .. bonne journée à toi et merci
Nous pouvons tout à fait nous identifier à cette équilibriste en quête de ses souvenirs.
Je pense sincèrement que cela est arrivé au moins une fois à chacun, bonne journée à toi
Eh bien quelle ténacité pour atteindre son objectif ! si ça peut servir à effeuiller les souvenirs, c’est bien. 🙂
Du moins le repos après l’effort et surtout la récompense, belle journée à toi
C’est vraiment bien ce texte cristallisé sur l’effort et non sur la finalité. Excellente idée bien menée. J’ai beaucoup aimé.
J’aime beaucoup en effet me focaliser sur les efforts, les émotions, merci à toi Cloud
On a tremblé avec le personnage et ressenti le pincement annonciateur de crampe dans le mollet en lisant ce texte agréable 😉
C’est le petit désagrément qui gâche un peu l’effort de la recherche obstinée, merci à toi
Photos souvenirs
rangées dans ce petit coffre.
Retour d’un passé
bien longtemps enfoui.
Je préfère tout refermer
et tout oublier.
Joli texte qui dégage beaucoup d’emotion, certes court mais efficace.
Tout est dit en peu de mots. Eh oui, parfois l’oubli est nécessaire…
Joli. En quelques mots tu as bien dit tout ce que tu pensais. Au lecteur d’imaginer si la conclusion est guidée par le rejet du passé ou par l’intensité du présent qui ne laisse pas la place à la nostalgie.
C’est parfois préférable de tout oublier. Vite fait, bien fait.
J adore ta concision
Ah ! Ah ! Trop fort ! Tout petit mais tellement vrai, oui parfois cela vaut mieux de refermer la boite, merci à toi
Voilà. La maison était vide. Après le décès de la première moitié du couple que formaient mes parents contre vents et marées, je n’avais rien vécu de tel. La survivante avait continué à vivre dans la maison, rien ne changeait fondamentalement mais là… Non seulement je devenais orpheline, ce qui à mon âge devrait être supportable, après tout j’avais depuis longtemps fondé ma propre famille, mais je devais vider la maison de toutes ces traces de vie qui l’habitaient.
Mes sœurs avaient toujours de bonnes raisons pour ne pas venir m’aider dans cette tâche où j’avais non seulement la charge de décider ce qui devait, ou pouvait, être sauvé puis récupéré par l’une ou l’autre d’entre nous mais aussi ce qui devait partir aux ordures et disparaître à tout jamais. Trois semaines déjà que je passais tout mon temps libre entre ces murs.
J’avais, dès le départ, préparé une boîte où déposer les nombreuses photos disséminées un peu partout comme si la peur d’oublier que ces gens avaient existé flottait toujours dans l’air.
J’étais maintenant assise à même le sol, la boîte débordant de photos devant moi, au milieu du salon vide dont les murs résonnaient des jeux des enfants voisins. Je plongeais dans ces souvenirs, ces histoires de vies qui s’étaient croisées, recroisées, décroisées aussi. J’y trouvais des portraits d’un passé tellement lointain que je n’arrivais pas toujours à identifier tel ou tel visage. Je jouais à saute-mouton avec le temps, voyant tour à tour mes propres parents déjà âgés tandis que mes grands-parents paraissaient tout jeunots et guindés sur leur photo de mariage en noir et blanc. Mes sœurs et moi étions les plus présentes dans cet amoncellement de souvenirs.
Ce voyage dans le passé me rendait un brin nostalgique et mélancolique. Les larmes n’étaient jamais loin de couler en regard de ce qui avait été et ne serait plus jamais. Ainsi va la vie mais je voyais que les moments de bonheur avaient vraiment existé et qu’ils étaient nombreux. Ils comblaient peu à peu la sensation de vide qui s’insinuait en moi et me faisait frissonner.
Je décidai d’emporter toutes ces photos sans rien en dire à mes sœurs. Ce serait ma récompense pour le travail accompli. De toutes manières, si elles n’avaient pas trouvé le temps de m’aider dans cette tâche émouvante de tri, comment pourraient-elles prendre celui de laisser leur esprit vagabonder vers un passé à jamais révolu? Je serai désormais la gardienne du temps passé et j’essayerai de donner le relais à mes propres enfants afin que le fil ténu de notre famille continue à se dérouler.
A lire chez moi à l’adresse https://photonanie.com/2019/09/16/brick-a-book-340/
J’aime bien l’idée de filiation par la transmission de photos que ton histoire m’évoque.
Très beau texte qui m’a beaucoup touché. Pour l’avoir déjà un peu vécu avec le décès de ma maman, j’angoisse un peu de m’y (re)coller au décès de mon papa… et inversement quand j’ai appris le diagnostic de mon cancer, mon premier réflexe a été de vouloir mettre les choses en ordre et de faire un grand vide dans ma maison. Il y a encore à faire mais je ne voulais pas faire subir ça à mon compagnon.
Désolée pour vous…
Texte émouvant. Effectivement, sa propre nostalgie et le désir de transmettre l’histoire de sa famille peuvent se combiner. Pour ce dernier, je crois qu’il vaut mieux centraliser les photos que les disperser.
Ton histoire est très émouvante photonanie, bravo !
parfait et tout en nostalgie délicate
épisode 7
Première réminiscence
Un flash. Un impact. Une détonation couverte par la foule en liesse. La douleur. Et je tombe. Au loin, de plus en plus en loin, j’entends des cris, je perçois une agitation frénétique autour de moi. Je sombre et je vois défiler ma vie alors que le rideau se baisse.
***
Quand on meurt, il paraît qu’on voit sa vie défiler en accéléré, je dirais (si j’étais encore vivant) que pour moi ce fut comme un tiroir débordant de photos sépias que j’aurais soudainement découvertes et regorgeant de prises de vue instantanées.
Aucune photo de ma mère, morte en couche sur une base militaire quelconque alors que mon père- aumônier militaire- est en mission. Lui par contre je le vois nettement. Sa petite moustache, son col blanc, toujours tiré à 4 épingles et propre sur lui à l’extérieur. Il s’était marié sur le tard mon père, rencontrant ma mère à quarante ans passés (elle était sa cadette d’une quinzaine d’années je crois), trouvant chez elle ce qu’il attendait je crois : une terre vierge et meuble, un esprit simple et malléable, une dévotion sans faille et incommensurable à son égard (si j’en crois les informations que j’ai pu glaner à droite et à gauche).
Même si j’étais un beau bébé joufflu et adorable, mon père ne m’a jamais pardonné la mort de sa plus fervente admiratrice, de la plus dévouée de ses brebis et il a su me le faire payer.
Fervent catholique pratiquant, il plaça ma prime enfance sous l’égide de l’obéissance absolue, du respect (du moins selon son point de vue) des commandements divins dans son extrémisme le plus poussé et bien évidemment des châtiments corporels à chaque faux pas (ce qui bien évidemment arrivait quotidiennement et à tour de bras).
Enfant chétif, fragile et soumis à une pression constante, mon entrée au collège ne fut pas des meilleures. Je devins très rapidement le souffreteux souffre-douleur de chacun, même des plus mal-lotis que moi. Je n’étais que docilité et obéissance, élevé à la Bible et à la trique… Alors j’ai décidé de me rebeller comme je pouvais, de me venger de cette vie que je n’avais pas choisie et pour laquelle on ne m’avait pas demandé mon avis.
Je me suis tu. J’ai choisi de tout accepter et de faire croire à mon humilité, de jouer le dominé. Avec le temps j’ai appris que je m’étais comporté comme la pire pute en prison, me donnant, m’offrant et acceptant tout de manière à entrer dans les bonnes grâces de ceux qui croyaient détenir le pouvoir par la force. A la maison, au collège, dans les multiples clubs sportifs et militaires de la base auxquels mon cher et tendre père m’avait inscrit d’office. Partout je faisais bonne figue, partout j’acceptais la domination, la soumission et les humiliations en attendant mon heure.
Pendant ces années, ainsi que celles du lycée qui suivirent (même si là physiquement j’avais changé, si les entrainements forcenés de mon père me sculptaient le corps, même si j’avais grandi et que mes muscles se développaient) j’ai continué à jouer mon rôle de dominé. Mais je savais où j’allais, je savais ce que je voulais.
Très vite je devins l’éminence grise des plus bêtes et des plus forts, des plus stupides mais des plus renommés, toujours là, les guidant, leur offrant ce qu’ils attendaient mais les dirigeant petit à petit pour les manipuler de plus en plus. Quand l’un tombait de son piédestal, je m’empressais sans une once d’honneur mais avec servilité à aller lécher les bottes (ou autre) de son successeur. Ainsi ces années de scolarité me permirent-elles de gagner en pouvoir, de gagner en présence, de me glisser partout où il fallait être vu et surtout toujours aux bras de ceux qui détenaient le pouvoir (quel qu’en soit la forme).
J’ai sucé des intellos, des quaterback, des profs. J’ai brouté les chattes décharnées de vieilles enseignantes acariâtres en mal de désir et de plaisir, je me suis fait enculer à la chaine dans des vestiaires, j’ai couché et me suis laissé humilier par tout ce qui pouvait me rapporter une once de puissance-hommes, femmes, enseignants, élèves, surveillants, moniteurs, voisins, voisines-…sans regret sans remords et sans aucune conscience. Juste parce qu’ils allaient un jour payer.
Quand j’ai dû partir à l’université, j’ai fait la joie de mon père : j’allais à Georgetown, suivre l’enseignement des jésuites. Qu’il était fier ce vieil homme frustré et frustrant en imaginant que je suivais la voie qu’il m’avait tracée.
Mais j’avais d’autres projets. J’étais maintenant capable d’imiter à la perfection son écriture, de passer pour lui en me grimant comme il le fallait. Je connais son langage, je savais comment manipuler les gens, les amener à faire ce que j’attendais d’eux sans qu’ils ne s’en rendent compte.
Alors j’ai souscrit une assurance vie au nom de mon père, somme supplémentaire qui viendrait se greffer aux fonds de pension et autres versés par l’armée et l’église au cas où il décèderait…parce que c’est là que tout allait commencer.
J’ai profité de l’éducation de ces braves jésuites : leur rhétorique, leurs préceptes, leurs valeurs, leurs savoir-faire en terme de colonialisme intellectuel, de leur système de propagation d’idées et de valeur, comment retourner et faire abdiquer les esprits les plus faibles. Et toutes ces années, j’ai continué à me vendre au plus offrant (et même à en « vendre » d’autres, des oies blanches ignares et stupides, des jeunes boutonneux mal dans leur peau mais puceaux, avec leur petit cul encore novice et étroit-parce qu’il ne faut pas croire que nos chers jésuites respectent leurs vœux…aucun. Je n’ai jamais côtoyé pire pervers, pire individu ne courant qu’après richesse renommée et pouvoir que ces gens-là).
Une fois mon carnet d’adresses bien fourni, possédant des preuves audio ou vidéo des excès de certains hommes ou femmes influents, j’ai tout laissé tomber et je rejoins mon père. Il est mort le soir de mon retour : arrêt cardiaque et nuque brisée lors d’une chute dans les escaliers. Pas d’enquête excessive, pas d’ennuis inopportuns. Je venais de récupérer un pactole conséquent.
J’ai quitté la base, acheté un vieux van que j’ai repeint et aménagé de manière adéquate et je suis parti à la conquête du monde.
Je suis devenu Jésuit Joe.
Bravo. Un texte fort, rudement bien mené. Provoquant, brut de fonderie, mais haletant. J’ai vraiment aimé.
Merci. Je continue à essayer de « construire » un ensemble cohérent
Génial ce flash back sur les débuts d’un personnage qu’on suit d’histoire en histoire!
J’en veux encore 😉
On verra la semaine prochaine .
Merci en tous cas
Ton écriture est toujours très visuelle, c’est très agréable et se prête bien au genre roman noir/polar. Je me demande où tu puises l’inspiration, tant chaque épisode me fait penser à ceux d’une série TV en devenir 🙂
C est bien cela qui me plaît et m amuse.
Réussir à tisser un fil conducteur cohérent entre chaque photo/texte….comme un roman feuilleton…
Tu as une écriture captivante, j’ai beaucoup aimé l’évomution de ton personnage, bravo le corbac !
Merci. J essaie de tenir le cap
Quelle surprise que cette valise ! L. l’avait découverte dans le grenier. Certes, le rangement comme le ménage n’étaient pas ses passions, son mari se chargeait de ces missions, mais tout de même, il était mort depuis plus de vingt ans maintenant. Elle pensait s’être donnée la peine de fouiller le peu d’affaires personnelles qu’il avait laissé.
Alors trouver ces photos, de lui, jeune, au sortir de la guerre, ou peut-être bien lors de sa misérable période de collaboration… N’était-ce pas la moustache de Pétain ? Qu’il avait l’air tout à la fois crédule et suffisant. C’est avec lui qu’elle allait passer presque cinquante ans de sa vie. Dès le début L. l’avait méprisé, dès le début, il avait espéré son amour, sans cesser, comme un chien, de le quémander. Ni l’un ni l’autre n’avaient trouvé à l’époque de meilleure solution pour se racheter une identité. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai : c’est en prison que le père de L., enfermé pour suspicion de collaboration, avait fait connaissance de ce jeune homme, H. H. s’était montré très impressionné par les fonctions politiques qui avaient été celles du père de L. Lorsqu’il sut que c’était aussi à cause des frasques de L. que son père était en prison, que la jeune femme était même enceinte, la faiseuse d’anges avait échoué, alors il lui proposa un mariage, pour la façade n’est-ce-pas. Le père de L. comprit immédiatement que H. aussi avait besoin d’un sérieux ravalement. Mais il fallait sortir sa famille de l’embourbement de cette fin d’année 44. Et sortir au plus vite de geôle : l’oncle de L. semblait prendre goût au poste de maire jusqu’ici occupé par son frère, apparemment il commençait même à s’installer à l’assemblée. Un autre député emprisonné le lui avait affirmé. C’est ainsi qu’en décembre 1944 fut célébré ce mariage. H. tombait aussitôt terriblement amoureux de L. . Quatre mois plus tard, elle accouchait.
Dans cette même valise, une photo de l’enfant, « leur » fils. Il était né très bien portant… elle l’aurait préféré chétif, cela aurait simplifié bien des mensonges. Oui, celui de la coqueluche expliquant la nécessité de se mettre en quarantaine par exemple… il fallait bien que la date officielle de naissance corrobore la respectabilité de ce mariage. Elle en a tellement voulu à l’enfant de cette plénitude physique, de ses yeux et de sa peau claires, de ce nez si droit… ce nez au milieu de la figure lui rappelant l’Allemand. L’avait-elle aimé lui ? Un peu plus. Elle avait 18ans lorsqu’ils envahirent la zone libre. D’office ils s’installèrent chez son père. Pure commodité que de loger chez le maire. La maison était grande aussi, les ateliers de la fabrique aussitôt réquisitionnés pour loger les troupes. Des séries de lits de camp parmi les meubles en construction.
L’enfant aussi fut très vite réquisitionné, par la mère de L., elle qui avait déjà perdu deux enfants, deux garçons, l’année où L. naissait du reste. L’enfant fut si choyé, si couvé par sa grand-mère que L. s’imagina par la suite que l’enfant devait sa petite taille à cet chape d’amour. L’Allemand était si grand, si puissant… lorsqu’il lui avait manifesté quelque attention, elle s’était sentie en vie. Pour la première fois depuis… toujours peut-être. D’ailleurs, elle l’appelait René, Re-Naît. Reinhardt, elle n’arrivait pas à le prononcer. Pourtant son père avait insisté pour qu’elle fasse de l’allemand au lycée, mais elle n’avait rien écouté. Depuis le plus jeune âge, elle faisait « comme si » avec ses parents. Ils étaient tellement absents ! Son père accaparé par sa carrière, sa mère face au mur de son jardin, l’esprit plongé dans les souvenirs de ses deux fils décédés.
Lorsqu’à la mort de sa mère, L. escompta avoir enfin accès à son fils, l’enfant ne le lui rendit pas. Ou peut-être très bien au contraire : il se mit à l’appeler « mémé », tant et si bien qu’aujourd’hui elle ne se souvient pas qu’il ne l’ait jamais appelé « maman ». Et maintenant cette valise, deux photos de H. enserrant celle de l’enfant… Elle se sentait pleinement dépouillée de sa parentalité. Finalement, en ne repoussant pas les avances de l’Allemand, n’avait-elle pas ainsi accepté d’être réduite à sa génitalité ?
Mathilda Gruen.
Quelle tristesse cette vie à côté de laquelle L est passée…
Oui… La vie d’une femme de ma famille… Merci d’avoir mis cette émotion en mot. Ce fut étonnamment élucidant pour moi. Je n’avais jamais accepté cette tristesse. Son héritage non plus…
Une saga qui mériterait d’être développée en roman. Les photos permettent souvent de dérouler la pelote de laine. Bien écrit.
Merci beaucoup de ce retour. Peut-être ce roman verra-t-il le jour… un jour… pour exorciser cet héritage 😉 Cela m’a fait du bien de lire cette suggestion, comme si j’avais besoin d’être validée dans ce projet. Gratitude.