Atelier d’écriture 347

par | 1 Nov 2019 | Atelier d’écriture | 153 commentaires

© Caroline Hernandez

La photographie de lundi prochain. La thématique interdite ? L’enfance ! 🙂

A vos claviers ! 😉

153 Commentaires

  1. Séverine Baaziz

    (Bon lundi et bonnes lectures ! 😀 )

    Alice porte la vie derrière son nombril depuis bientôt neuf mois. Elle est heureuse, comme doit l’être une future mère. Heureuse et impatiente. Classique, me direz-vous. Surtout les dernières semaines, lorsque vous découvrez l’existence de votre nerf sciatique et de votre propension à la rétention d’eau.
    Bref, Alice est impatiente. D’autant qu’elle est bien loin d’imaginer le drame qui l’attend…

    Oups, les premières contractions se font sentir.
    Clara, sa compagne, déclenche le chronomètre de sa montre. Cinq minutes d’intervalle, lui rappelle-t-elle. Cinq minutes d’intervalle avant de se précipiter à la maternité, et non quinze…

    Alice tient une chocolaterie fine. Une boutique où les bouchées de praline sont disposées sur du papier de soie et serties de brisures de feuille d’or. Une boutique tenue de mère en fille, depuis cinq générations. Mais ce qui passionne avant tout Alice se trouve à l’arrière de la boutique, dans une grande pièce baptisée La chambre des délices. Tout se conçoit ici. A l’image d’une suite nuptiale et de l’effervescence charnelle des ébats, les mélanges s’y enlacent. Fèves concassées, sucre, cannelle, nougatine, caramel…

    Aïe, les douleurs se font plus aigües et la fréquence est tombée à dix minutes…

    Claire, elle, est représentante en fruits secs. Les plus raffinés qui soient. Les amandes Avola, les noix de Macadamia, les pistaches de Bronte… Elle visite les commerces de bouche de tout le pays, connaît les meilleures pâtissières, les cheffes cuisinières les plus étoilées, la moindre hôtelière ayant pignon sur rue. Mais Claire n’a encore jamais rencontré Alice. C’est au détour d’un article de presse spécialisée, vantant la qualité d’exception de la chocolaterie, que la représentante décide d’aller y proposer ses coquilles. Le coup de foudre est immédiat, envoûtant, submergeant. Le soir-même, elles dînent ensemble. La nuit, elles s’aiment avec passion. Et les jours suivants s’écoulent ainsi. Rapidement, elles emménagent au-dessus de la chocolaterie. Se mettent à parler voyage, mariage, mais surtout, surtout, avant et plus fort que tout, enfantement. Comme un besoin viscéral d’offrir l’amour qu’elles ont en quantité folle. De voir grandir l’enfant que la science leur permettrait d’avoir…

    Ouh la la, les contractions, toutes les cinq minutes. Il est temps. L’heureux événement, qui n’en sera pas un, approche…

    Clara prend le volant. Alice, le siège passager.
    Elles se souviennent alors, entre émotions, rires et contractions, de cette mention ajoutée à leur dossier par l’obstétricienne : “Embryon d’exception pour femmes d’exception.”
    Elles entrent en salle d’accouchement.
    La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. Les larmes. Les rires. La douleur. Les cris. La douleur. Les cris. La douleur. La douleur. La douleur. La douleur…
    Puis, l’enfant.
    Et, entre ses jambes, un petit bout.
    Quelques millimètres à peine qui pendouillent.
    Quelques millimètres, c’est énorme. Et surtout, ce n’est absolument pas dans l’ordre des choses. Pas en ce temps où seules les femmes existent depuis plus d’un siècle.
    Le drame a eu lieu.
    C’est un garçon.

    • Céline

      Joli texte

    • Kroum

      Une chute inattendue. Son annonce m’a pressé dans ma lecture. Mais un garçon c’est bien aussi, dit le papa de 2 paires de jumeaux.

      • Séverine Baaziz

        Ce qui m’a amusée, je l’avoue, c’est de laisser présager le pire. Et puis, aussi, de faire de la femme un être égotique et « misandrique ». (Ca change de l’homme misogyne tant décrié 😉 )
        Vive les garçons !

    • Anne-Marie

      Un texte bien rythmé, plein de vie, très plaisant à lire. Merci.

      • Sandra

        A l’image des contractions qui s’accélèrent, la lecture s’emballe jusqu’à la chute est réussie.

    • marinadedhistoires

      Un texte de vie, romantique et enthousiaste, j’ai beaucoup aimé.

      • Séverine Baaziz

        Merci, marinadedhistoires ! 🙂

    • Laurence Délis

      J’aime bien le ton de ton récit et la chute saupoudrée d’ironie 🙂

      • Séverine Baaziz

        Merci ! « Ironie », c’est tout à fait le terme qui convient 😉

    • Jen

      Très plaisant ce texte! J’ai souri à la fin. Très cadencé!

      • Séverine Baaziz

        Merci, Jen ! Je craignais que mes petits focus sur les contractions cassent le rythme, mais a priori, non, tant mieux 😉

    • Marlabis

      Ce n’est pas un drame ! c’est « un avènement » ! Un retour dans l’ordre des choses. Si j’ai bien compris seule la femme a résisté à je ne sais quoi et ce depuis plus d’un siècle ! Pour ma part, je crois que j’accueillerai ces quelques centimètres comme un cadeau ! N’empêche que j’ai beaucoup aimé le rythme de votre texte qui nous amène jusqu’à la salle de travail et à la déception de ces 2 mamans ! Bravo !

      • Séverine Baaziz

        L’image m’a amenée à l’idée du sexe unique. Une sorte de dystopie. Une triste dystopie ! Enfin, de notre point de vue de femmes d’aujourd’hui… Merci pour votre lecture et commentaire, Marlabis !

    • Cloud

      J’ai beaucoup apprécié ce texte. Il a beaucoup de rythme, une belle ouverture, et une chute surprise. Un monde de femmes ? J’aurais aimé être ce garçon…

      • Séverine Baaziz

        Merci, Cloud ! Mais attention, je ne sais pas si l’avenir de ce petit gars est enviable… Mon imaginaire avait continué à courir un peu, et plutôt du côté émasculation ou fausse identité sexuelle. Sorry ^^’

        • Cloud

          Ça ne fait rien, je prends quand même…

    • Photonanie

      J’ai adoré ce texte! Mais un petit garçon c’est très bien aussi et je sais de quoi je parle moi qui souhaitais une deuxième fille 😉

      • Séverine Baaziz

        Merci beaucoup, Photonanie ! Et je confirme qu’un petit garçon, c’est chouette, j’ai un magnifique exemplaire, 12 ans d’âge, à la maison 😉

    • Manue

      Mummmmm ça me rappelle un film, Le chocolat, pour la description de la boutique. Texte gourmand donc et drôle de part sa chute. Par contre je ne vois pas bien le lien avec la photo, enfin si, mais de loin !!!

      • Séverine Baaziz

        Merci pour la comparaison ! Moi qui aime tant le cinéma (et le chocolat 😉 )
        Il y a un autre film, aussi, que j’ai beaucoup aimé, et qui a pour toile de fond une chocolaterie : Les Emotifs anonymes (avec Benoït Poelvoorde).
        Sinon, c’est vrai que pour la photo, le seul lien est le fait que l’enfant photographié soit une fille…

  2. Cloud

    Je cite ici un extrait du « Guide Touristique de l’Anjou pour Vacanciers Inquiets« (Editions Plombs) :

    « Dans notre région, on appelle « fillette » un contenant de vin dont la capacité est de 37,5 cl. Si dans un bar, vous entendez dire : « Avec Paul, on vient de descendre une dizaine de fillettes ! », n’appelez pas les gendarmes, mais éventuellement un médecin.
    De même si des jeunes vous crient « Anjou ! », n’ayez pas peur, la plupart du temps, c’est orthographié en un seul mot. »

    Le monde est violent, mais quand même…

    • Céline

      Ah oui en effet !!!

    • Kroum

      Concis et drôle ! Bravo Cloud !

    • Anne-Marie

      Facétieux… Joli texte, j’aime. Bravo

    • Laurence Délis

      Haha ! J’adore ! Un retournement cocasse de la photo, bravo Cloud !

    • Jen

      Vos premiers textes sont très enjoués et agréable!

    • Sandra

      Quel plaisir de lire ces quelques lignes! C’est si drôle. J’en redemande!

    • Photonanie

      Pour moi ce sera une fillette d’Anjou pour l’apéro alors 😉 Texte clair, net et sans bavure 😀

    • Manue

      Après les gourmandises un petit verre d’Anjou ! Atelier gourmand cette semaine !!! J’aime beaucoup (le texte !), l’atelier aussi !!!

  3. Sandra

    L’équilibre n’existe pas

    Sur son fil, le funambule quitte la terre, s’évade dans les airs. Le vide ne l’effraie pas. Il aiguise ses sens et le galvanise. Si sur le plancher l’artiste bute à trouver sa place, là haut il se révèle. Il découvre l’essence de son existence. A cent soixante mètres au dessus de la vallée, sur cette corde tendue entre deux promontoires, il n’a pas d’autre choix, pour rester en vie, que de s’ouvrir au monde, de s’y accorder et d’en devenir un élément.
    Il saisit alors que rien ne dure, que l’équilibre n’existe pas. S’il le cherche il tombe. Il comprend que seul le mouvement importe pour la vie, celui de chacune des parcelles de son corps et celui de son balancier, tout comme celui de la Terre autour du soleil.
    Ses instincts lui rappellent : Surtout ne pas se figer ; Toujours rester mobile. Ses gestes fluides et souples s’harmonisent avec tout ce qui l’entoure créant une chorégraphie cosmique subtile pour une traversée unique.
    C’est à l’avènement de cette lente danse poétique qu’advient la liberté. Une liberté si intense que ses vibrations aux couleurs de rêve et d’espoir rayonnent jusqu’aux badauds, restés cloués au sol, les yeux rivés au ciel, le souffle encore suspendu.

    • Céline

      Joli détour de cette photo

    • Anne-Marie

      Belle écriture qui s’élève au-dessus des contraintes photographiques ! Bravo

    • marinadedhistoires

      Très bonne idée d’avoir pris le thème du funambule tout à fait en accord avec la photo. Très joli texte poétique.

    • Séverine Baaziz

      Bel éloge du funambulisme ! Une écriture qui avance en douceur et délicatesse. Très réussi !

    • Jen

      très poétique et doux

    • Laurence Délis

      L’interprétation de l’image est joliment mise en valeur par le thème de l’équilibre jusqu’à la mouvance de la liberté évoquée. Bravo Sandra.

    • Cloud

      Bravo pour l’idée. Et pour le sens du texte. Je regarde la photo d’une autre manière.

    • Photonanie

      La photo vue à travers un autre prisme, c’est sympa et poétique.

    • Manue

      Très joli texte avec de belles images.

  4. Céline

    Bonjour,
    Me revoici après ces deux semaines de vacances.
    Voici mon texte :

    Tout le monde ne jurait que par la fameuse petite robe noire mais il y a bien longtemps qu’elle ne l’avait plus dans sa garde-robe. Ce soit-disant intemporel de la mode n’avait pas sa place parmi l’arc-en-ciel de ses tenues excentriques.
    Pourquoi se contenter d’une seule couleur si sombre soit-elle alors qu’il en existe tant ?
    À l’uniformité, elle choisissait le camaïeu sans aucune hésitation.
    Sauf… sauf pour la pièce maîtresse de son dressing…
    Sauf… sauf pour cette petite robe blanche qui constituait à ses yeux son indémodable, son classique de la mode, son symbole de l’innocence.

    • Anne-Marie

      La garde-robe et son jeu de couleur, original. Beau texte.

      • Céline

        Merci, un peu/beaucoup inspiré de ma propre garde-robe

    • marinadedhistoires

      Marrant, moi aussi j’ai été inspiré par l’opposition petite robe noire, petite robe blanche. Un joli texte sur la fraicheur et l’innocence, super.

      • Céline

        Merci. J’ai aimé joué sur le contraste avec le noir et blanc de la photo

    • Jen

      Bonjour Céline, chez moi pendant les vacances malgré les petits pas effrénés je tente de prendre plus le temps d’écrire justement. Plus de dispositions mentales peut être, maisil me souvent quand mm plusieurs jours de relâchement! J’aime beaucoup ton texte bien plus optimiste que certains autres… :)La garde robe minimaliste?

      • Céline

        Bonjour, la plupart du temps j’écris mon texte presque d’un seul jet dans le train du lundi matin. Je prends un peu de distance avec les réseaux sociaux et le téléphone pendant les vacances.
        Pas forcément minimaliste la garde-robe car la mienne est plutôt bien fournie et tout en couleurs.

    • Cloud

      Bien vu ce blanc symbole de l’innocence et d’une même fraîcheur que le texte.

      • Céline

        Merci beaucoup

    • Photonanie

      Bien vu l’opposition en noir et blanc comme la photo…

    • Kroum

      Bonne idée de proposer une couleur de robe à contrecourant de la mode habituelle ! Bravo Céline !

    • Sandra

      On sent une femme pétillante avec sa garde robe camaïeu! Une approche de la photo par les couleurs sympathique.

    • Manue

      Idée originale ! C’est vrai ça, et pourquoi pas la fameuse petite robe blanche !!!?

  5. Kroum

    « Quand je serai grande,
    je serai une fée,
    et pour qui me le demande,
    très volontiers j’actionnerai
    ma baguette magique
    du bout de mes menottes bien énergiques.

    Quand je serai grande,
    je serai une Princesse,
    parfumée à la lavande
    avec de grandes robes qui virevolteront sans cesse,
    à la recherche d’un prince charmant
    qui m’aimera passionnément. »

    Ça c’était ses souhaits d’avant.
    Aujourd’hui,
    elle est grande et s’approche à grands pas
    de l’automne de sa vie.
    Celle-ci fut parsemée de combats
    et de rires aussi.
    De grands enfants
    qu’elle aide à débuter professionnellement.
    Des amours et amitiés,
    qui sont venus s’y greffer
    qu’elle a cultivés
    à chaque fois avec intensité.
    Une stabilité au travail difficile à trouver
    jusqu’à ce qu’elle ouvre ce cabinet de reiki
    dans cette ville du sud qu’elle chérit.
    Et pendant ses longues pauses déjeuners,
    elle n’hésite jamais à venir me retrouver
    pour faire l’amour dans notre chambre à volets fermés.
    Qu’il pleuve, vente ou en temps caniculaire,
    la terre continue à tourner
    avec des clowns tristes qui se maquillent d’un sourire pour se donner un air
    dans ce cirque de la vie à affronter.
    Mais aucune importance,
    car il existe quelque part
    sur cette terre d’abondance,
    une chambre aux volets fermés
    où faire danser nos deux corps brûlant d’impatience.

    • Anne-Marie

      A la fois léger, torride avec un brin d’actualité, merci pour cette belle lecture.

    • Jen

      autobiographique? J’aime beaucoup le rapport à la maturité la recherche de soi et la continuité de la passion!

    • Marlabis

      Adieu les rêves d’enfance et son insouciance, bonjour la vraie vie qu’il faut découvrir, affronter, choyer, apprécier, préserver… La vie quoi !
      Bravo et merci !

    • Cloud

      Entre l’imaginaire de l’enfance et cette vie d’adulte semblent demeurer l’enthousiasme et la fraîcheur. Ce genre de pause déjeuner me fait plus rêver que la cantine… Un beau texte.

    • Photonanie

      J’ai trouvé ce texte joyeux, virevoltant, vivant!

    • Laurence Délis

      Ah, j’aime beaucoup ! Quand on aime c’est comme ça que devrait être la vie, et ce jusqu’au bout du chemin !
      Merci Kroum, ce fut un grand plaisir de te lire.

      • marinadedhistoires

        Beau !! L’itinéraire d’une vie, assez universel et le « plus » avec l’intimité de la chambre.

    • Sandra

      Elle l’a trouvé son prince charmant…. et cette « chambre aux volets fermés » je lui trouve un charme fou.

    • Manue

      Joli texte, assez poétique je trouve et plutôt bien rythmé, plein de vie et de bonheur. Un texte qui donne le sourire !

  6. Marlabis

    Vous trouverez également mon texte en suivant ce lien

    https://lesempreintesdutemps.wordpress.com/?p=651

    Comme un cadeau…

    A bien y réfléchir, je pense qu’elle a toujours fait partie de ma vie. Mais elle était tellement espiègle, légère et frivole, qu’elle devait se fondre au milieu des convives, invités à chacun de mes anniversaires. Elle n’avait pas de visage, pas de taille, pas de consistance. Elle se matérialisait juste par cette joie de vivre, par ses facéties subtiles, par son optimisme face à toute épreuve et son côté totalement imprévisible. Elle avait d’ailleurs cette capacité de disparaitre sans même que personne ne s’en aperçoive.

    Je crois que c’est le jour de mes 26 ans que j’ai vraiment réalisé qu’elle était là. C’était donc mon anniversaire et je portais ma petite fille âgée de 10 mois sur mes genoux. Il m’a semblé la voir. Elle était là devant moi, aussi transparente qu’un fantôme. Elle semblait comme s’étioler au fil des âges. Je m’attendais à ce qu’elle file comme une sauvage comme à son habitude. Mais c’est alors que je m’aperçus que son attention était ailleurs. Je n’étais plus son centre d’intérêt, elle venait de le remplacer par mon enfant qui la scrutait comme émerveillée.

    L’instant d’après j’eus l’impression de la voir détaller, emportant dans son sillage un bon nombre de mes soucis. Il me semble encore entendre son rire cristallin qui tintinnabule à mes oreilles.

    C’est à mon dernier anniversaire que j’ai enfin compris…

    Comme toujours, nous étions nombreux. A mes côtés se trouvaient ma fille et son bébé. Quand elle arriva, à nouveau je remarquais son regard comme fasciné par celui du nouveau né, qui à son tour lui souriait en babillant. Ainsi, la roue continuait à tourner.

    Intérieurement, je su enfin la nommer. Elle est cette indolence, ce laisser-aller qui nous habite jusqu’à une certaine prise de conscience, jusqu’à l’acquisition de la maturité : l’Insouciance.

    • Anne-Marie

      Etonnant. Très beau texte sur le thème de l’insouciance. Bravo.

    • Jen

      J’ai eu l’impression pendant toute la lecture qu’un ami imaginaire était décrit. Puis j’ai mieux compris et relu. l’insouciance évoqué avec la sagesse du temps qui passe. très agréable!

    • Cloud

      C’est beau un hymne à l’insouciance. C’est si rare et connoté souvent de tant de suspicion. Merci pour ce texte.

    • Photonanie

      Belle interprétation au départ de la photo. Moi aussi j’ai cru à un fantôme, visible seulement des mamans…

    • Sandra

      Un texte profond dont j’ai saisi la portée à la fin de ma première lecture et que j’ai savouré à la deuxième lecture.

    • Manue

      Très, très, très jolie idée !

  7. Kroum

    Très joli ton texte et cette belle description de l’insouciance. Bravo Marlabis !

  8. Manue

    Atelier 347

    Chaque pas avait été difficile, aussi longtemps qu’elle s’en souvienne. Et, au fur et à mesure des années, elle avait développé un don hors du commun, son corps, qui ne pouvait sentir sur quoi ses pieds reposaient, avait été remplacé par son cerveau, qui était capable d’analyser dans les moindres détails la nature de tout type de sol. Un regard suffisait.
    Une immense carrière s’offrit à elle quand elle réalisa qu’elle était la seule au monde à posséder cette faculté. Elle commença modestement chez un célèbre vendeur de moquettes, mondial, où son rôle se bornait au simple conseil d’achat pour des clients plus soucieux de la couleur de ce qu’ils allaient acheter que de ce qu’ils allaient ressentir sous leurs pieds. Rapidement son premier patron remarqua que sa vendeuse avait l’œil, elle pouvait décrire avec force détails les qualités et les défauts de chaque rouleau de moquette ou linoléum qui entrait en magasin, sans même le toucher, juste en restant dans son fauteuil. Elle savait d’un regard la rugosité et la douceur d’un sol, s’il allait être glissant ou si au contraire il était possible de trouver des appuis sûrs malgré son épaisseur ou son moelleux. Son ascension au sein de l’entreprise fut fulgurante. Chaque année elle faisait plusieurs fois le tour du monde, les petits fabricants des souks la redoutaient plus que n’importe qui tant elle était capable en un instant de rejeter toute une saison de travail pour un poil ou deux mal tissés selon eux, pour une qualité de soutien pour les pieds pas optimum selon elle. Elle était capable de sélectionner les achats pour tout le groupe en quelques heures passées en Chine, en Inde ou en Amérique du Sud. Un tel succès ne se fait pas sans bruit, et elle devint vite indispensable aux grands couturiers qui voulaient des podiums les plus extravagants mais possédant assez de stabilité pour les échasses des mannequins, indispensable aussi aux architectes qui construisaient hôpitaux et bâtiments publics pour accueillir un public varié, se déplaçant plus ou moins facilement.
    Elle devint richissime. Pourtant, pour elle, poser le pied par terre était toujours un problème que son corps ne savait pas résoudre. Sa souffrance restait muette tant il était difficile d’expliquer que contrairement au commun des mortels, elle marchait avec son cerveau et non ses sensations. Personne ne pouvait comprendre tant elle était devenue une experte du moindre sol qui tombait sous ses yeux. Et ce jour-là justement, devant les photos d’une exposition à laquelle elle s’était difficilement rendue (les trottoirs étaient mouillés, donc glissants, les passages piétons et leur peinture moderne encore plus, et les marches dataient de plusieurs siècles, irrégulières, lisses parfois, rugueuses là où il était compliqué de poser le pied), elle se demandait comment il était possible que cette fillette marche ainsi alors que le bitume sur lequel elle déambulait était fissuré, qu’il paraissait spongieux et qu’il lui semblait aussi en pente. Elle s’imaginait dans ce corps qui ne réfléchissait pas, qui vivait juste l’instant sans se soucier du suivant, et ne put retenir ses larmes devant cette facilité à laquelle elle n’avait pas accès. Tous autour d’elle déambulaient sans y penser alors qu’elle devait elle faire attention aux moindres anfractuosités du magnifique parquet ancien de la galerie. Enfin, finalement assise devant cette photo qui lui semblait étrangère, elle se demanda si un jour elle trouverait sa légèreté à elle. Cette insouciance si naturelle à beaucoup qu’elle s’appliquait à reconstruire chez elle. Son cerveau était capable de voler, de danser, d’imaginer la grâce d’un geste, mais c’est au bras de sa fille qui l’accompagnait qu’elle repartit, la tête pleine de doux espoirs pour son corps en difficulté.

    • Anne-Marie

      Très original, le texte colle bien à la photo, un vrai plaisir de lecture.

    • Jen

      J’aime beaucoup votre texte!

    • Cloud

      Bravo Manue pour cette idée hors d’un cadre habituel. On le lit avec une belle facilité qui le rend plausible. Bravo à toi.

      • Manue

        Mon texte est très ancré dans ma réalité mais saupoudré d’imagination pour le rendre plus digeste !!!!!

    • Photonanie

      Angle d’attaque original et surprenant!

    • Sandra

      J’ai vraiment beaucoup aimé ce texte pour le contenu et en plus tout est fluide dans l’écriture! Bravo.

    • marinadedhistoires

      Alors là, vraiment très très originale cette idée !!! J’ai beaucoup aimé le parcours de ton personnage.

  9. Photonanie

    La tache blanche m’indifférait, je ne voyais que la route qui se déroulait comme un long ruban gris devant mes yeux et me faisait penser à ma vie. Même les cicatrices des accidents de parcours s’y trouvaient. Oh, certains avaient bien essayé de faire de petites réparations, inutiles, de mettre des emplâtres qui ne tenaient pas longtemps, gaspillage.

    Le film venait de se terminer sur cette image. J’avais machinalement éteint la télé et j’en étais là de mes pensées bien sombres, au moins autant que le temps que je devinais derrière les rideaux.

    Pas envie de bouger ni de sortir, peur d’avoir froid, d’être mouillée, d’attraper la mort quoi. Un comble en période d’Halloween où on voyait ses émissaires à tous les coins de rue, dans toutes les vitrines de magasins…

    Le vent faisait trembler les feuilles encore en place. Les oiseaux se cachaient dans les haies pour se protéger de la pluie et la lumière déclinait d’heure en heure. Saloperie d’heure d’hiver!

    La température extérieure restait légèrement positive contrairement à mon moral. Oubliées les couleurs éclatantes de l’été ou joliment mordorées de l’automne, bienvenue dans l’hiver en noir et blanc.

    Il fallait réagir, et vite, pour ne pas sombrer. Faire une bonne flambée dans la cheminée, faire couler le café et inviter le chat à se pelotonner, bien calés dans le canapé. Quelqu’un pourrait-il me dire pourquoi les humains ne sont pas programmés pour hiberner?

    Chez moi c’est https://photonanie.com/2019/11/03/brick-a-book-347/

    • Anne-Marie

      Oublier l’hiver et son cortège de misère… Joli texte Photonanie.

      • Photonanie

        Je suis plutôt solaire en fait 😉

    • Marlabis

      Et vive la ronronthérapie !

      • Photonanie

        C’est si bon 🙂

    • Kroum

      C’est super comme idée d’avoir joué sur le noir et blanc de la photo Photomanie !

    • Laurence Délis

      Heureusement qu’il existe les cheminées auprès desquelles s’installer pour supporter les mois d’hiver ! 🙂

    • Cloud

      Un texte qui réchauffe l’esprit et refroidit le corps. Oui, hibernons ! Rester éveillés l’hiver est contre nature.

    • Sandra

      Un texte qui parle à beaucoup d’entre nous!
      J’ai beaucoup aimé la fin du texte qui ajoute une dimension humoristique très plaisante.

    • Manue

      Je me le demande bien aussi !!! On fait un club et on trouve un coin pour hiberner ?!!!

  10. marinadedhistoires

    https://marinadedhistoires.wordpress.com/2019/11/04/la-grande/

    La Grande

    Je suis petite ? Et alors ! C’est pour ça qu’il n’y en a pas dans mon ciboulot ! J’ai fait Sciences Po, moi, Madame, et une école de journalisme par là-dessus, et maintenant je travaille pour une grande chaîne d’infos. D’ailleurs, là, je cours, je me précipite, le président va sortir par cette petite rue, c’est l’un de mes contacts à l’Elysée qui me l’a dit. Je me suis fait chic pour le rencontrer, le président, une petite robe blanche c’est bien mieux qu’une petite robe noire, mais ça, les plus grandes que moi ne le savent pas, et c’est ce qui fait ma force dans la jungle du métier : mon originalité et mon instinct ; c’est pour ça qu’ils m’appellent « La Grande » et c’est bien vrai, ils ne m’arrivent pas à la cheville tous autant qu’ils sont. Qui c’est qui a surpris la Première Dame en train de s’acheter un petit haut à huit euros chez H&M ? C’est moi ! Qui c’est qui a coincé le Premier Ministre en train d’essayer de se teindre la barbe en bleu dans sa salle de bain ? C’est encore moi, et qui c’est qui a interviewé l’ex président assis sur son pèse personne et en pleurs à cause de sa prise de poids ? C’est toujours moi !
    Alors vous qui me traitez de petite là, suivez-moi ! Oui, suivez-moi avec vos grandes jambes qui ne courent pas bien vite, et si je n’arrive pas à obtenir une diminution de 70% sur les impôts des français auprès du Président, là vous pourrez me traiter de minus !!

    MH

    • Laurence Délis

      C’est bien vu de jouer sur la taille plutôt que sur l’âge. Et oui, on peut être grand sans être grand,n’en déplaise aux plus grands 😉

      • marinadedhistoires

        Hé oui, le nombre de centimètres n’est pas forcement en adéquation avec les neurones ! Merci pour ton commentaire, Laurence.

    • Marlabis

      Chère petite souris, (parce que c’est comme ça que je te représenterais si je devais te dessiner… Futée, agile, rapide et efficace en plus ! ), merci pour la vivacité de ton écrit !

      • marinadedhistoires

        Merci pour ce commentaire bien sympathique Marlabis.

    • Céline

      Joli texte et particulièrement original. Bravo

    • Photonanie

      Originale la petite qui a tout d’une grande 😉

      • marinadedhistoires

        Oui, comme une certaine voiture 😉 Merci Photonanie.

    • Kroum

      Très mignon !

    • Cloud

      C’est très sympa. L’énergie qui se dégage du texte en dit long sur l’enthousiasme de la petite qui est grande…

    • Sandra

      Elle a beau être petite quelle énergie communicative!

      • marinadedhistoires

        Oui, la dynamique des petits ! Merci Sandra.

    • Manue

      Bien joué, excellente idée !

  11. Anne-Marie

    Couleur monochrome

    La teinte monochrome s’était emparée du paysage environnant. Peu d’embarcations étaient amarrées dans ce petit port. Quelques vaguelettes s’aventuraient sur l’asphalte. La mer n’était jamais agressive dans le chenal. Elle se contentait d’onduler et de balancer les quelques bateaux, canots et voiliers abandonnés par les marins.

    Appareil photo en bandoulière, je déambulais sans but. Peu à peu, je ressentais comme un étirement de l’espace-temps. Cette sensation se distillait insidieusement. J’étais comme absente de toute réalité. En ce jour d’été, mes pensées s’étaient teintées de la couleur du temps.

    Lasse de mes réflexions, divagations et digressions… Je reportais mon attention sur mes essais photographiques bien modestes à ce stade de mon apprentissage. Ma passion pour quelques captures d’images vaincrait cette mélancolie qui, aller savoir pourquoi m’avait saisie ?

    Le noir, le blanc apporte une puissance, une profondeur à l’image. Pourrait-on dire de la couleur qu’elle distrait le regard ? L’objectif fiché à mon œil, j’appuie sur le déclencheur au hasard de mes errements du jour. Je n’arrive pas à me déterminer : « noir et blanc ou couleur ». Mais, quelle importance, me direz-vous ! Ou l’image s’imposera d’elle-même ou pas !

    L’art photographique est absolument fascinant par son instantanéité. J’aperçois cette petite fille en robe blanche, baskets aux pieds et, ma journée s’illumine. Elle court vers les mouettes aperçues au bord du rivage. Comment ne pas saisir cet instant. Il y a tout dans cette image : la vie, la liberté, un instant de pure beauté.

    • Laurence Délis

      De la photo N&B nait toute une atmosphère… Bravo Anne-Marie pour ce bel instantané qui raconte l’essentiel.

      • Anne Marie

        Merci Laurence, je viens de découvrir ton texte. Écriture delicate, des personnages qui prennent vie au fil de notre lecture jusqu’à cette chute dramatique, triste rêve prémonitoire….

    • Cloud

      Ton texte est un bel hommage à la photo. D’une émotion ressentie à la contemplation d’un résultat, d’une image. Entre les deux, il y a eu « l’instant décisif » comme disait Cartier-Bresson, celui du déclencheur. Bravo, j’aime beaucoup ta démonstration.

    • Photonanie

      La photo prise à l’instant T d’une réalité déjà dépassée… Je connais et pratique le noir et blanc ou la couleur, c’est selon ce que je ressens 🙂 Un texte qui me parle en tout cas.

    • Kroum

      Super idée d’écrire sur le noir et blanc de cette photo. De plus, tes mots sont raffinés, bravo Anne-Marie !

    • Sandra

      J’apprécie beaucoup les idées abordées dans ce texte. Cette manière de rester ouvert à l’inattendu, à l’instantanéité…. de saisir ces instants magiques de vie…..
      bel éloge de l’art photographique.

    • marinadedhistoires

      On sent l’œil affuté de la photographe dans ce jolie texte.

    • Manue

      J’aime vraiment beaucoup… C’est doux. Je me retrouve dans ce que tu écris, rester à contempler et saisir soudain l’instant pour mieux se souvenir ensuite. Merci !

  12. Laurence Délis

    Ce dernier été passé ensemble, selon le temps qu’il faisait on se retrouvait soit chez Paul qui habitait un grand appartement sous les toits, soit sous le tilleul au fond du jardin de Clément et c’était celui qui aurait le privilège d’être assis à côté d’Hélène. Moi, je préférais lui faire face. Dans la pénombre, on allumait des bougies et les ombres sur les murs prenaient vie au fil des histoires que racontait Hélène. Elle-même avait le visage brouillé de mille signes, des rides apparaissaient sur son front lisse, ses yeux devenaient démesurés, sa bouche s’agrandissait, je pouvais voir ses dents, sa langue et toutes les moues tordues qu’elle affichait au changement de sa voix, à chaque mimique.

    Les ambiances sinistres avaient sa préférence et si nous évoquions l’idée de changer de registre – par exemple regarder des séries glauques sur Netflix – , elle se levait d’un bond, et sa démarche, ses gestes – surtout quand elle allumait sa cigarette et la portait à sa bouche – , étaient joués avec emphase. Elle avait le sens du drame, aimait s’y complaire, surjouait avec un plaisir évident. Et le nôtre était celui de l’écouter et pour celui qui se trouvait à côté d’elle, la perspective de l’effleurer amplifiait la satisfaction.

    Moi, je la dessinais. Avec tous ses petits défauts et ses grandes qualités. J’aurais pu croquer la malice de ses yeux, l’expressivité de ses yeux, sa gestuelle autant de fois que nécessaire, j’avais le sentiment qu’elle m’échappait toujours.

    La seule fois où j’étais parvenu à saisir l’expression de son regard, elle racontait le rêve qu’elle avait fait la nuit précédente. Je me souviens du vent qui soufflait fort à travers les interstices des volets et la pluie d’orage qui battait tout aussi fort. L’air sentait le tabac froid et le joint que nous venions de partager. Hélène parlait bas, moins expansive qu’à l’accoutumée, comme encore imprégnée du rêve qui, la veille, l’avait maintenue éveillée de longues heures. Ses bras encerclaient ses jambes relevées. De sa voix perlait l’inquiétude. Elle disait que son rêve n’avait rien d’un rêve, c’était comme si elle avait su avant même de voir. Voir quoi, avait demandé Clément. Et Hélène avait répondu dans un souffle ténu, la route, celle qui mène au funiculaire. Puis, après une pause qui l’avait faite frémir, elle avait ajouté y avoir vu une fillette. Et sa voix avait l’intonation montante dénotant l’affolement. La fillette sur la route, disait-elle, la fillette c’était ma sœur. Ma sœur dans sa petite robe d’été. Elle courait, comme elle le fait souvent, avec ses bras qui deviennent balancier, comme pour l’aider à maintenir son équilibre. Elle courait au milieu de la route et j’avais beau lui dire de s’arrêter elle ne m’entendait pas.

    A ce moment-là, Hélène m’avait regardé et j’avais saisi au fusain et d’un trait fiévreux, la lueur inquiète de son regard, le pli soucieux entre ses yeux, la ligne mince de ses lèvres affaissées. Et comme elle mettait du temps à poursuivre, on l’avait pressée de questions, puis on avait plaisanté et tenté de dérider son visage soucieux avec quelques bières et on avait de nouveau fumé. Et lorsqu’elle s’était endormie on s’était un peu battus pour savoir qui dormirait contre elle. Allongés sur les matelas, rassurés par la chaleur des uns et des autres, on avait dormi jusqu’au début de l’après-midi.

    C’est la sonnerie de son téléphone qui nous avait réveillé. Le fait même que le père d’Hélène l’appelle nous avait surpris, puis au son de sa voix, en écho au rêve qu’elle avait fait, on avait saisi le drame nous percuter comme un présage négligé.

    • marinadedhistoires

      Whaou, ton texte est magnifique, j’ai adoré le portrait de ton Hélène; et cette chute !!!

    • Photonanie

      Belle ambiance et chute tragique… Bon contraste entre les deux ambiances.

    • Kroum

      Je savais qu’il me fallait me poser tranquillement pour lire ton texte à la chute d’une grande gravité. Bravo pour cette prouesse d’écriture laurence delis !

    • Cloud

      Beau texte dramatique. La conteuse qui raconte est fort bien dessinée. La chute tombe comme une surprise malgré le décor. J’ai vraiment bien aimé cette lecture. Merci.

      • Sandra

        J’aime ces descriptions, où les détails sensoriels nous plongent dans une ambiance. La chute crée un effet intéressant… une touche d’angoisse qui tranche avec le reste du texte.

    • Manue

      Plus je lisais, plus je sentais qu’une tension dramatique était en train de s’installer. Ton texte est vraiment réussi.

  13. Terjit

    Bonjour à tous, bon début de semaine.

    « Mains propres »

    Vue du sol c’est une enfant qui court. Vue à 12000 kilomètres par la caméra du drone c’est une silhouette qui menace la réussite de la mission.

    Steve est là pour anéantir tout risque pouvant mettre en danger le commando au sol. Sur la gauche de l’écran il voit très bien les deux groupes de 10 se préparant à intervenir derrière le mur d’enceinte, au centre la maison dans laquelle est retranchée la cible et sur le toit les trois sentinelles armées assurant la sécurité.

    La réussite de la mission est basée sur l’effet de surprise, alors quand Steve a vu quelqu’un courir vers la maison il a prévenu le chef du commando : « Individu courant vers cible, 150m, attente instruction ». La réponse fut aussi brève que définitive : « Assaut après destruction ». L’index de Steve pressa deux fois la gâchette du joystick, 12 secondes plus tard l’écran satura cinq secondes par l’effet du flash de lumière : cible détruite.

    Les sentinelles furent tuées avant d’avoir compris quoi que ce soit, le commando se précipita dans la maison, l’effet de surprise avait réussi. Dans son casque Steve entendait tout de l’assaut : les tirs nourris, les déflagrations, les cris, puis plus rien, juste la voix du commandant appelant ses hommes un à un : aucun ne manquait à l’appel.

    L’hélicoptère d’évacuation arriva une minute trente après la fin de l’assaut, embarqua les hommes et disparu de l’écran. Steve attendit encore une minute par sécurité et pressa cinq fois sa gâchette pour détruire totalement l’objectif. Il prit le temps de laisser la fumée se disperser pour s’assurer que plus rien n’était debout. Un trou remplaçait le bâtiment, plus rien ne bougeait : mission accomplie.

    Steve regarda sa montre, il était déjà 15h30, il fallait qu’il se dépêche de ramener son drone à la base pour être à l’heure à la sortie de l’école.

    • Laurence Délis

      Sombre et terriblement factuel. Bravo.

    • Marlabis

      Effrayant de vérité…

    • Cloud

      Le récit est aussi glacial que celui de la semaine dernière. On y retrouve le cynisme d’un devoir accompli sans état d’âme. C’est tout ce que je cherche à fuir. Et pourtant, j’aime beaucoup ces textes…

    • Photonanie

      Père indigne…ou presque 😉

    • Kroum

      Glacial…

    • Sandra

      Cela fait froid dans le dos. Effet réussi!

    • Manue

      Ouch. Terrible et glaçant… Triste réalité….

  14. Jen

    Bonjour à tous,
    Voici mon texte et le lien sur le blog:
    https://unmotpourtouspourunmot.blogspot.com/2019/11/les-souvenirs-atelier-347.html

    Elle semble désinvolte,
    Légère,
    Heureuse

    Elle court,
    le corps souple aérien et dansant.

    Mais lorsque le peu de souvenirs affleurent
    le corps s’affaisse
    le regard se voile
    et le sourire pâlit

    Ne reste rien de la douceur familiale
    seul le triste,
    le glacé,
    le sombre subsiste.

    Les souvenirs sont terribles
    ils effacent la quiétude, le délice,
    ne reste que l’indigne,
    l’innommable

    Le choix qui se dessine alors pour survivre,
    n’en est qu’un par douleur.

    Belle semaine

    • Marlabis

      Il arrive un moment où dans les souvenirs, l’on arrive à puiser ce qui est doux, ce qui est beau sans pour autant perdre cette terrible douleur, mais permet de continuer à tenir debout.
      Merci pour ce texte poignant.

    • Cloud

      Le texte est fort et douloureux. Il n’y a pas de fatalité. On lui souhaite de belles futures rencontres.

    • Photonanie

      Très prenant comme texte, il commence dans la lumière et finit dans le noir…

    • Kroum

      Ton texte est superbe Jen, bravo ! Beaucoup d’émotion en ressort.

    • Sandra

      Pour moi, ces quelques mots m’imprègnent d’une douleur, d’une mélancolie tout en conservant leur part de mystère.

    • Manue

      Que de douleurs … je ne peux qu’espérer maintenant qu’elle se reconstruise doucement…

    • Jen

      je vous remercie de tous vos commentaires. C’est encourageant!

  15. plume47

    A chaque fois que j’allais voir ma petite mère,
    je souffrais de la voir ainsi.
    Ni nue ni habillée. Une espèce d’entre deux.
    Comme dans sa tête.
    Ni vraiment là, ni tout à fait absente.

    Et cette blouse ouverte dans le dos
    Béante de bas en haut
    Ne cachant rien de la laideur
    Oubliant tout de la pudeur
    Je ne veux pas que tu la mettes
    Juste la réduire en miettes
    Et te couvrir de dentelles
    Pour que tu sois la plus belle
    Lors de tes déambulations
    Dans ce couloir
    A la recherche de ta mémoire

    Maman n’est plus là. J’ai rangé ses dentelles.
    Mais je me souviens.

    • Séverine Baaziz

      Extrêmement touchant. Tout en simplicités et vérités. Bravo ! Et merci.

    • Marlabis

      Comme j’aime ces dentelles évoquées qui couvrent si bien ce qui est si difficile à voir…
      Elles rendent plus douce l’image de petite mère amoindrie…
      Merci.

    • Céline

      Magnifique !!!

    • Cloud

      Particulièrement émouvant et superbement écrit. Bravo et merci.

    • Photonanie

      Émouvant ce texte qui décrit une situation que l’on vit tou(te)s un jour ou l’autre…
      Mais (je ne peux pas m’en empêcher) comment est-il né de cette photo???

      • Plume47

        Merci pour vos commentaires !
        Pour Photonanie : c’est la robe ( blouse ?) boutonnée dans le dos de cette petite fille vue de dos justement qui a tout déclenché.

        Bonne soirée à tous

    • Sandra

      Très beau texte qu’il serait doux de partager avec les équipes des maisons retraite.

  16. Ulysse

    « A quel moment exactement, la route bifurque-t-elle, dans nos vies ? Bien sûr, rien n’est vraiment simple et la route n’a jamais été un long fleuve tranquille, je sais. Mais il arrive un moment, tu sais, où ce petit chemin de quand t’étais petit devient autre chose. A vrai dire, je ne sais pas s’il y a « un moment » où ça bifurque réellement. C’est juste qu’on se retrouve à 40 ans, et à la place du petit chemin, c’est le périph’. Tu sais pas comment t’es arrivé là. C’est bouché, c’est pollué, et tu t’aperçois que tu reconnais plus ta vie.
    – C’est la crise de la quarantaine mon pote. T’es en pleine crise de la quarantaine. Ca fait longtemps que je te dis qu’il faut que tu changes de boulot.
    – C’est ça. C’est exactement ça. La crise de la quarantaine. C’est quand tu reconnais pas la photo de toi quand t’étais petit.
    – C’est beau. On s’en reprend une, non ?
    – Oui. Elle est vachement bien cette photo. C’est qui ?
    – Aucune idée, je l’ai trouvée dans le tiroir d’une commode dans l’appartement de feu ma mère-grand, qu’on est en train de déménager. Personne dans la famille ne sait qui c’est. En même temps, tout le monde a plus de quarante ans dans ma famille, alors si ta théorie est vraie… J’étais sûr qu’elle te plairait.
    – Oui, elle me plaît. C’est incroyable de voir autant de mouvement. Tu vois, c’est ça qui me touche, elle marche pas droit cette petite, elle est un peu en travers, elle est si légère. Et elle marche. C’est ça qu’on perd avec le temps. On devient tout droit, tout rigide, on ne marche plus : on se déplace. Je crois que c’est ça la quarantaine, quand t’as perdu le déséquilibre fondamental qui met en mouvement cette gamine.
    – S’il-vous-plaît, on va vous reprendre les deux mêmes. C’est encore les heures joyeuses ou pas ? Voyez-vous, mon pote est en pleine crise existentielle par rapport à sa jeunesse perdue, et je crois que ça lui fera du bien d’alcooliser son foie vieillissant au tarif de l’enfance. Ah, c’est fini ?
    – Nan mais t’inquiètes, c’est moi qui rince, les deux mêmes s’il-vous-plaît. Et puis je déprime pas tant que ça tu sais. Tant que t’as de l’argent, le malheur, ça reste un peu conceptuel.
    – On dirait du François Rufin. Pour un mec qui vote Bayrou, je te jure que tu changes. La crise de la quarantaine ne t’a pas loupé mon pote.
    – Bon, et donc cette photo, pourquoi tu me la montres ? Tu vas quand même pas me dire que tu l’as trimbalée juste parce que t’étais sûr qu’elle résonnerait avec ma petite crise d’ado de 40 ans ? Pourquoi elle te marque, toi ?
    – Ben je sais pas trop. Je crois que c’est ma grand-mère en fait. Si c’est elle, c’est tout ce qu’elle aura laissé d’un peu personnel. En tous cas, elle a toujours eu ce côté un peu déterminé, un peu Margot s’en va-t-en-guerre, tu sais, mais toujours très innocente, jusqu’à la fin de sa vie. Personne ne reconnaît la photo dans la famille, et j’ai le sentiment que ma grand-mère s’y reconnaîtrait. A l’époque où elle a vécu, tu sais, les gens ne se posaient pas trop la question de la crise des quarante ans. Si t’avais survécu à la guerre, et que t’avais pas perdu tous tes gamins au front, il fallait reconstruire le pays et faire bouillir la marmite.
    – C’était le temps où les strategic planners dans mon genre n’existaient pas, quoi. Je vous dois combien ?
    – Effectivement, le concept de bullshit job n’existait pas plus que celui de crise de la quarantaine. Enfin voilà. Tu viens toujours pour mes trente-neufs ans au fait ?
    – Oui, avec Mathilde, t’inquiètes, on fait garder la petite. Tenez. Profites bien de tes derniers instants de jeunesse mon coco. Tu fêtes trente-neuf, ça veut dire que tu rentres dans la quarantaine. On trinque ou bien ?
    – Yep. Je trinque aux quarantenaires et aux bullshit jobs.
    – Je trinque aux heures joyeuses de ta grand-mère.
    – Et si tant est que ce soit elle. Allez mon pote, faut pas tarder, ils sont en train de ranger les chaises, ça va bientôt fermer. »

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