autoroute

La dernière porte.
Je venais de quitter le dernier barrage, le plus délicat à passer. Ils m’avaient fixé un long moment avant de plonger leurs yeux vides dans mes papiers. Mon coeur avait fait des croches syncopées, je n’entendais que lui et lui intimais de se taire. Ils auraient pu l’entendre et se douter de mon anxiété. J’étais moite de peur. L’un des trois hommes était alors parti dans leur petite cabine afin d’apposer le fameux tampon, ce sésame obligatoire pour continuer au-delà des frontières du pays.

Voilà trois mois qu’elles étaient fermées, le gouvernement élu avait décidé que l’autarcie serait la voie de la sagesse. Au dehors, des tirs, des bombes : le chaos menaçait les frontières de notre si beau pays. Il avait bien entendu fallu rééquilibrer notre consommation. Le superflu n’existait plus, même si notre pays, véritable continent, était très grand et possédait dans son sol des denrées essentielles, l’accent avait été mis sur l’économie. Des mafias avaient alors vu le jour. L’Histoire se reproduisait inlassablement : les plus forts profitaient des plus faibles, et ces temps de crise reflétaient bien la sombre nature humaine. Il était temps de partir. Dans une région où la mafia n’avait pas encore de main mise sur le peuple.

Au-delà des frontières, le chaos régnait. Les animaux eux-mêmes semblaient s’être tus. Seule ma voiture crevait le silence. Il me restait encore assez d’essence pour arriver à mon point de chute. Seule avec moi-même. La radio n’émettait plus sa musique criarde, les présentateurs ne scandaient plus leur jeu à la noix. Le bruit du moteur pour seule musique.

Je décidai alors de mettre un CD. Le dernier acheté avant la fermeture des frontières. Les premières notes de « Get Lucky » de Daft Punk. La voix aiguë du chanteur traversa mon habitacle et se répercuta au-dehors.

J’avançai alors sereinement vers la falaise : mon ultime rendez-vous avec la vie se ferait en musique : Get Lucky malgré tout, malgré ce délitement du monde. Une dernière fois, sourire à cette vie et sentir cet air chaud et musical entrer en moi.

© Leiloona, le 21 avril 2013

Crédits photo © Romaric Cazaux

—————————————————————————————-

 Le texte de Morgane : 

NUIT

 Malgré les nombreux commentaires défavorables de son entourage de son choix de job de nuit dans ce péage le week-end, Elodie n’est pas mécontente. D’abord ça lui permet de mettre du beurre dans les épinards et à vrai dire cette vie nocturne n’est pas pour lui déplaire.

La nuit tout lui semble différent : ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, même ce qu’elle pense d’elle-même …

Ses études de droit et donc sa longue et fastidieuse condition d’étudiante : Elle se demande encore aujourd’hui malgré son entrée en quatrième année si elle a fait le bon choix.

Son nouveau petit ami et cette impression de déjà vu … Ses envies parfois d’être seule plutôt qu’accompagnée par ce presque homme qui termine toujours par l’agacer avec ses idées toutes faites.

La sensation qu’elle s’éloigne de sa meilleure amie, fiancée,  sur le point de se marier qui n’a que le mot NOCE à la bouche : Julia ne cesse de lui parler de robe meringue, de DJ et de plans de tables à elle qui se demande si  un jour elle connaitra enfin l’amour avec un grand A.

Sa famille avec qui elle ne trouve plus les mots ; ce fossé entre eux qui se creuse chaque année plus profond encore.

Derrière son guichet, elle brasse des tickets, des billets, de la monnaie. Elle voit toutes sortes de voitures, de conducteurs, de passagers. Des habitués, des professionnels, des vacanciers. Des jeunes, des moins jeunes, des enfants, des nouveaux nés. Des souriants, des râleurs, des muets, des endormis …  Cette diversité lui plait : elle se rempli de la contempler ; c’est son voyage à elle.

Elodie pense qu’un jour, elle aussi sera au volant d’une de ces voitures. Accompagnée ou pas, elle ira. Où ? Elle le saura, évidemment. Ce jour là, elle aura le même regard que certains de ses clients : un regard affirmé et rieur car elle poursuivra un but : Ce but sera sa destinée qui apparaîtra au bout de sa route.

—————————————————————————————-

 

Le texte de Jacou :

Les voyageuses de l’impossible

Rosée de l’aube
Phares en berne
J’ai sommeil.
Impossible de dormir ; un doute a plané toute cette nuit au-dessus de mon sommeil. Où vais-je ? Qui suis-je ?
Ce matin, enfermée dans cette bagnole qui n’en peut plus, je revois défiler cette vie.
Vie de faux-semblants, faux comme cette clarté solaire qui éclaire le péage ; faux comme cette route, ersatz de trajet touristique.
Une seule chose réelle, le péage. Il faut payer, toujours payer. Même quand le guichet bancaire garde ma carte, faute de provisions suffisantes, je dois tricher, toujours tricher ; faire comme-si ; rouler, rouler. Jusqu’où ? Pour où ?
Ma voiture m’emmène, berceau vide et exténué ; elle a perdu un œil ; ses vieilles jambes avancent, avanceront, jusqu’à épuisement, semelles de chaussures usées, percées, à la limite de la crevaison.
Allez Titine, toi et moi sommes en vacances, vacances de rêves ; les cauchemars sont loin derrière ; ils ne reviendront plus.
Ce matin, je te le jure, j’ai de l’optimisme à revendre ; je vais te donner à boire jusqu’à plus soif. Je vais t’acheter une belle paire de chaussures. En plus, c’est toi qui les choisiras. Oui, oui, les mêmes que si t’étais une Rolls, si tu veux ; y’a pas de problème ! Après, on ira te faire faire un shampoing.
Et à nous l’aventure ! Les palaces, les grooms en livrées et casquettes à galons dorés, les petites courbettes, toi et moi chouchoutées comme des reines !!!!!
Y’a un problème monsieur le gendarme ?
Vous voulez qu’je souffle dans le ballon ?
J’ai plus de trois grammes d’alcool dans l’sang ?
Titine, à bientôt, on va s’revoir, j’te le jure !
Non ? Pourquoi vous dites ça, monsieur le gendarme ?
Elle est trop vieille, elle est bonne pour la casse.
Titiiiiiiiiiiiiiiiiine !!!!!!!!!!

J’ai plus sommeil. J’ai soif, à en crever.
Ma Titine va au cimetière.
Ces bruits, ces bruits dans ma tête, ils m’envahissent, ils se rapprochent, ils…
Où suis-je ? Ça me revient. Les copines ; on a arrosé la retraite de Joséphine. Qu’est-ce que j’ai dû picoler, hier soir !
Et toi, ma vieille, comment t’as fait pour conduire jusqu’ici ? On a rencontré les flics ? Non, parce qu’on serait pas ici, à l’heure qu’il est.
Et surtout, on pourrait pas assister à ce lever de soleil. Regarde un peu le beau spectacle qu’il nous offre.
Allez, Titine, on va pouvoir repartir. Mais plus d’alcool, hein !
On s’en est bien sorties cett’fois-ci, alors pas la peine de tenter le diable.

 

—————————————————————————————-

 Et voici vos liens : 

Mamido : Autoroute

Stéphanie : Anita

K Mill : Les portiques

Lucie

Céline : La fin des vacances

Gaëlle : Inverser le cours des choses 

 

une photo quelques mots

20 Commentaires

    • Leiloona

      Merci Lucie ! 🙂

    • Leiloona

      Pas réussi à aller au bout de ce que je voulais, mais je n’ai pas eu le temps que j’aurais voulu. 😉

  1. Jacou

    Ce péage nous a envoyé sur des routes très différentes.
    Céline, je vis en ce moment, avec mes petits enfants ce que tu racontes.
    Morgane, Elodie, très attachante.
    J’ai réussi, entre 2 parties de ballon, une balade en forêt, jeux de cartes etc…à écrire, moi aussi, une aventure inspirée par cette photo.
    Merci à Leïloona de l’éditer.

    • Leiloona

      Je l’ai ajouté hier ! 😉

  2. Yosha

    @ Leiloona : c’est très beau… mais très noir !
    @ Morgane : J’adore ton idée, ton personnage me rappelle celui interprété par Mélanie Laurent dans « Je vais bien ne t’en fais pas » (je ne sais plus si c’était pareil dans le roman d’Olivier Adam…) : ce choix un peu par défi, par opposition à ceux qui l’entourent et qui ne la comprennent plus pour essayer de se trouver… J’aime l’espoir qui brille malgré tout.

    • Leiloona

      Erff oui, et encore, je n’ai pas été jusqu’au bout de ce que je voulais.

  3. gambadou

    Que de découvertes avec ces ateliers d’écriture qui nous mènent à plein d’endroits différents. Bravo

    • Leiloona

      Ah oui, un même endroit de départ, mais plusieurs routes ! 😀 Ici au propre et au figuré !

  4. Yosha

    @ Lucie : je n’arrive pas à éditer mon commentaire sur ton blog… J’aime le cheminement des pensées et émotions au fil du trajet même si j’ai un peu de mal à imaginer une happy end 😉

  5. Kmill

    De beaux textes toutes les deux même si l’interprétation de l’image en est très différente.
    J’ai beaucoup aimé cette idée de renouveau avec ton texte Leiloona et cette envie de tout quitter qu’on se connait tous avec le texte de Morgane.

    • Leiloona

      Je ne sais pas, malheureusement, si ce renouveau fera long feu. :/

  6. Céline

    Deux ambiances très différentes. Leiloona, j’ai bien aimé l’introduction d’une dimension plus large avec le contexte dans lequel tu projettes le personnage et donc l’ambiance pesante que cela crée. Et citer Daft Punk, j’aime beaucoup, je les ai beaucoup écoutés il y a quelques années.
    Morgane : Le personnage d’Elodie est touchant, je me suis retrouvée un peu dedans, en sa qualité d’étudiante dans le doute notamment.

    • Leiloona

      Daft Punk est venu de lui-même car je n’y pensais pas du tout dans mon canevas initial, c’est marrant de voir où les choses nous mènent.

      Céline, je n’ai pas réussi à laisser mon commentaire chez toi : la publicité me cachait le code à entrer. :/

  7. Jacou

    Voici mon texte:

    Les voyageuses de l’impossible

    Rosée de l’aube
    Phares en berne
    J’ai sommeil.
    Impossible de dormir ; un doute a plané toute cette nuit au-dessus de mon sommeil. Où vais-je ? Qui suis-je ?
    Ce matin, enfermée dans cette bagnole qui n’en peut plus, je revois défiler cette vie.
    Vie de faux-semblants, faux comme cette clarté solaire qui éclaire le péage ; faux comme cette route, ersatz de trajet touristique.
    Une seule chose réelle, le péage. Il faut payer, toujours payer. Même quand le guichet bancaire garde ma carte, faute de provisions suffisantes, je dois tricher, toujours tricher ; faire comme-si ; rouler, rouler. Jusqu’où ? Pour où ?
    Ma voiture m’emmène, berceau vide et exténué ; elle a perdu un œil ; ses vieilles jambes avancent, avanceront, jusqu’à épuisement, semelles de chaussures usées, percées, à la limite de la crevaison.
    Allez Titine, toi et moi sommes en vacances, vacances de rêves ; les cauchemars sont loin derrière ; ils ne reviendront plus.
    Ce matin, je te le jure, j’ai de l’optimisme à revendre ; je vais te donner à boire jusqu’à plus soif. Je vais t’acheter une belle paire de chaussures. En plus, c’est toi qui les choisiras. Oui, oui, les mêmes que si t’étais une Rolls, si tu veux ; y’a pas de problème ! Après, on ira te faire faire un shampoing.
    Et à nous l’aventure ! Les palaces, les grooms en livrées et casquettes à galons dorés, les petites courbettes, toi et moi chouchoutées comme des reines !!!!!
    Y’a un problème monsieur le gendarme ?
    Vous voulez qu’je souffle dans le ballon ?
    J’ai plus de trois grammes d’alcool dans l’sang ?
    Titine, à bientôt, on va s’revoir, j’te le jure !
    Non ? Pourquoi vous dites ça, monsieur le gendarme ?
    Elle est trop vieille, elle est bonne pour la casse.
    Titiiiiiiiiiiiiiiiiine !!!!!!!!!!

    J’ai plus sommeil. J’ai soif, à en crever.
    Ma Titine va au cimetière.
    Ces bruits, ces bruits dans ma tête, ils m’envahissent, ils se rapprochent, ils…
    Où suis-je ? Ça me revient. Les copines ; on a arrosé la retraite de Joséphine. Qu’est-ce que j’ai dû picoler, hier soir !
    Et toi, ma vieille, comment t’as fait pour conduire jusqu’ici ? On a rencontré les flics ? Non, parce qu’on serait pas ici, à l’heure qu’il est.
    Et surtout, on pourrait pas assister à ce lever de soleil. Regarde un peu le beau spectacle qu’il nous offre.
    Allez, Titine, on va pouvoir repartir. Mais plus d’alcool, hein !
    On s’en est bien sorties cett’fois-ci, alors pas la peine de tenter le diable.

    Jacou

  8. Leiloona

    Morgane : finalement je la trouve déjà sûre d’elle même, cette jeune fille. Et si pour le moment elle ne trouve pas sa place, elle y arrivera. 😉 On se met tout de suite dans la peau de cette jeune femme.

  9. Leiloona

    Jacou : J’aime beaucoup les figures de style utilisées qui nous insufflent de belles images, et jusqu’à la fin on y croit que Titine ira au cimetière … Pauvre destinée.

    J’aime bien aussi ce langage plus familier que d’habitude ! 🙂

  10. Mamido

    @ Leïloona: Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir!!! C’est pas du Daft Punk mais… c’est ce qui me vient à l’esprit en lisant ton texte. On a les références musicales qu’on peut!!!
    @ Morgane: Elodie est en devenir, dans le temps suspendu où tout peut arriver… Et elle ne restera pas toute sa vie dans la guérite, ça je ne le pense pas!
    @ Jacou: J’ai beaucoup d’affection pour ta Titine. Dans ma jeunesse, j’avais une vieille 4L toute pourrie avec laquelle j’ai fait les 400 coups. Elle m’a une fois ramenée à la maison, sans que je garde aucun souvenir du trajet. Ce matin-là, je suis allée vérifier au garage si elle y était bien.

    • Morgane

      Merci Mamido.
      J’ai beaucoup aimé ton texte : c’est mon coup de cœur de la semaine.
      J’ai apprécié le fait que tu prennes le rôle d’un enfant.
      On a tous connu ce départ tant redouté, les parents énervés dès le matin, ces pensées tristounettes le front collé à la vitre sur la route du retour …
      Mais … Vivement les prochaines vacances quand même !! L’euphorie du départ est aussi très alléchante !!!

Soumettre un commentaire