C’est l’heure de l’histoire (atelier d’écriture)

par | 7 Oct 2013 | # Parfois j'écris ..., Atelier d’écriture, Une photo, quelques mots | 2 commentaires

celine

J’aimais tellement qu’elle me raconte des histoires …

J’allais chez elle chaque mercredi : je jouais dans son immense jardin tout en longueur, je me prenais pour une princesse, m’inventais de longues traînes et des sujets à mes pieds. Venait ensuite le temps du déjeuner. De la purée et un bon rosbeef. Quand j’y repense, je salive encore de ce jus qui coulait de ma fontaine d’or jaune pour s’écraser contre le plat de l’assiette …
Il fallait avant tout éplucher un kilo de patates. Son économe en main, elle faisait des guirlandes interminables qui se posaient délicatement en corolle sur la nappe en plastique. Ses gestes me fascinaient : j’aurais pu la regarder pendant des heures, moi qui peinais avec mon économe de princesse … trois, quatre centimètres tout au plus. De vulgaires et grosses épluchures.
Je n’avais pas son talent.

C’était toujours l’occasion pour elle de me raconter mon histoire préférée. Celle de la boutique aux mille voeux.

Imaginez, vous poussez la porte de cette boutique, la clochette tintinnabule, une odeur d’encens d’église vous assaille. Votre regard parcourt l’espace. Des fleurs, des livres, du thé.

Un chat frôle alors vos jambes. Il ronronne. Vous posez alors vos yeux sur Armelle, la femme qui tient la boutique. Mais Armelle n’est pas une femme comme les autres. Elle prend divers aspects, selon la personne qui entre. La douce blonde peut laisser sa place à la rousse incendiaire de temps à autre. Polymorphe, Armelle se plie à notre demande tacite.

L’éventail de ses bras propose alors une multitude d’objets plus précieux les uns que les autres. Mais attention, par précieux j’entends bien « précieux aux yeux de la personne ». L’argent ne rentre pas en ligne de compte. L’amour par exemple se monnaye-t-il ?

Babou me raconta ainsi qu’un jour elle était entrée dans cette boutique avec une envie bien précise. Armelle la guida, Babou repartit avec ce don en elle.
Je l’écoutais, bouche grande ouverte et m’imaginait une gentille fée déposer dans le creux de l’oreille ce fameux don.

Les années ont passé. Babou n’a plus autant de dextérité pour éplucher les pommes de terre. Au mieux, elle fixe les ribambelles que je fais, chaque dimanche, sur un coin de la table. Son regard est creux, comme aspiré de l’intérieur.
A quoi pense-t-elle ?

Mon petit bonhomme suit des yeux les guirlandes d’épluchures. Sa malice me donne le sourire. Lui aussi passerait des heures à les regarder. La roue a tourné, et bientôt, trop rapidement sans doute, je n’aurai plus non plus cette facilité à éplucher les pommes de terre …

Je regarde Babou du coin de l’oeil. Son absence me ronge. Pour elle, je me mettrai en quête de cette boutique rose, dans l’espoir de voir de nouveau son oeil briller quelques secondes.
Après tout, Armelle n’avait-elle pas la faculté de se métamorphoser ? Ne pouvait-elle pas de nouveau offrir à ma grand-mère ce terrible don de conteuse qui me manque encore aujourd’hui ?

Les épluchures tombent toujours en corolle sur la nappe en plastique, mais où est passée la voix de mon ensorceleuse ?

© Leiloona, le 7 octobre 2013

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 Le texte de Jacou : 

Une vie de fleur

Petits matins soucis,

Dans l’aube myosotis,

Elle rentre fanée.

 

Le soir, enturbannée,

Rose en fourreau ajustée,

Elle embaume, réséda.

 

Toute la nuit, dansera,

Corps de liane, épanouira,

Elle sera séductrice.

 

La voici, spectatrice

Dans cette vitrine artifice,

Elle se meurt d’ennui.

 

Journées sans avenir,

Au premier venu,

Elle sera vendue.

 

Seule ou en bouquet,

Dans un vase s’évanouira,

Puis on la jettera.

 

Dans sa robe fripée,

Tristement effeuillée,

Elle s’endormira.

 

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 Le texte de Nadia : 

Céline

Je sursaute, les réverbères viennent de s’éteindre,  la rue est désormais déserte.  Félicité de l’instant, le silence nous enveloppe pour laisser éclore la lumière ;  ce soir je suis enfin en tête à tête avec ma devanture, mon aventure.

Je souris, mes yeux roulent effrénés à redécouvrir chacune des fronces délicates des tentures de taffetas, la légèreté de la plume suspendue et offerte au premier souffle, la table dressée de ces hampes gracieuses. Force de la couleur, je reste là ;  j’ai bien fait de laisser s’échapper ce couronnent de lierre.

Et puis je me souviens, il y a longtemps.

J’ai déchiré des jeans sur mes membres douloureux ; j’enrubanne de satin les plus jolis bouquets.

J’ai écorché mes mains sur plus forts que moi ;  j’enveloppe délicatement la rose de Ronsard.

J’ai noirci les murs de ma chambre, les pages de mes cahiers ; je compose des arcs-en-ciel.

 Alors je pense à toi, à tes joues rouges les matins de rosée, tes mains délicates frôlant la pivoine voluptueuse, ton regard bienveillant devant la générosité de l’hortensia. Douceur d’un matin de printemps, mes narines frémissent à ces parfums que je devine.

Demain nous serons le 14 février et pour la première fois  j’ouvrirai cette porte sur un bonheur qui ne porter que ton prénom. Ne rougis pas Maman, si tu pouvais me voir ce soir. Je suis un homme heureux.

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Le texte de Monesille :

Quelque chose de brillant
Là, qui passe
Fugitif sur la place
Un instant

Presque un regard déchu
Entrouvert
Un éclat rouge et vert
Eperdu

Et nos vies d’inconnus
Qui s’effacent
Et derrière nos glaces
Continuent.

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 Et voici vos liens : 

Soène : RéaliT

Naniloup : Céline

Yosha : Milla’s dream

Stephie

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2 Commentaires

  1. stephanie

    @leiloona: j’aime bcp ton texte, ce personnage de grand mère orfèvre de la pomme de terre et des histoires. Un joli moment de lecture, merci
    @nadia: un bel hommage pour une maman, ça me fait penser à la chanson, le pouvoir des fleurs.

  2. ceriat

    Très belle visite dans les souvenir et l’imaginaire de cette petite fille, merci. 😀

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