Calme, éperdue, elle regardait l’horizon bouché, cette mosaïque de faïence blanche aux joints ternis, maculée de graffitis multicolores et usée par les millions de regards.
Qu’espérait-elle y trouver ? Tout était déjà irrémédiablement joué.
Petite perle brune au corps tendu vers l’avant, son flegme apparent était trompeur. En elle bouillonnait un ouragan dévastateur.
Mais outrageusement addictif.
« Pont Marie ». Quelle ironie du sort ! Cette station allait-elle l’aider à tricoter ce fil qui la ramènerait à la surface ? Allait-elle au contraire plonger irrémédiablement dans ce styx souterrain ?
D’abord sur la pointe des pieds. A peine un chuchotement au loin.
Puis lentement, subrepticement, il s’était approché, et il était devenu murmure.
Elle connaissait cette musique pour l’avoir déjà entendue par le passé, mais elle était si faible qu’elle ne s’en était pas méfiée.
La mélodie s’était alors installée, et elle était devenue plus insistante, plus régulière.
Mais jamais dérangeante.
Elle l’avait acceptée comme un baume réconfortant et s’était laissée emporter vers ces rives qu’elle avait déjà côtoyées jadis. Elle y avait retrouvé avec délice certains motifs. Toujours les mêmes ; toujours renouvelés. Étrange familiarité inconnue qui la poussait vers l’avant.
Sa barque était fragile et n’amortissait qu’à peine les remous rencontrés.
Le rythme s’était alors fait plus entêtant. Au quatuor à cordes s’étaient ajoutés des cuivres.
Une trompette transperça même cette frêle nacelle qui menaçait de couler d’un instant à l’autre.
La musique en était là quand la jeune femme était descendue dans le métro. Son esprit s’accrochait encore à son frêle esquif. Mais tout autour régnait le chaos, les cordes et les cuivres se répondaient inlassablement, déchirant à divers endroits sa voile qui n’était plus qu’un chiffon.
Assise sur ce banc, le regard toujours au loin, elle avait alors perçu un grondement.
C’étaient les percussions : elles étaient enfin arrivées.
Alors, elle sut que sa lutte était terminée. Il fallait se résigner, elle ne pouvait plus y résister.
« Pont Marie » ne la sauverait pas, elle plongerait dans ces méandres infernaux sans connaître l’issue.
La musique avait gagné, elle ne pouvait plus la refouler. Un seul moyen pour l’atténuer : céder à son appel.
Elle s’échouerait peut-être, mais rien encore ne le prédisait ; une rame arriverait bientôt, elle la prendrait.
Alors, toujours guidée par cette musique, elle irait le voir. Et lui dirait tout.
C’était la seule façon d’en finir avec ce tumulte intérieur.
A change is gonna come.
©Leiloona, le 17 mars 2012
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Le texte de Brigitte :
Elle a 14 ans, et elle s’appelle Perle. Ce prénom est la traduction du prénom que lui avait donné la directrice de l’orphelinat lorsque sa mère biologique l’y a déposée 2 jours après sa naissance.
Les parents de Perle sont belges, ils vivent à Liège, mais ils pourraient tout aussi bien être français, ou québécois, italiens ou espagnols. Pour eux ce fut un véritable parcours du combattant, et on peut considérer qu’ils ont « acheté » cette enfant. Ils ont accepté de me raconter l’histoire de ce miracle qui s’est produit dans leur vie il y a 12 ans.
Jacques et Catherine depuis plusieurs années tentaient vainement d’avoir un enfant, mais ils étaient confiants. Un jour, en sortant de chez un spécialiste de la fécondité, le verdict tombe, définitif, désespérant, stérilité totale de Catherine, elle ne pourra jamais avoir d’enfant, même par insémination artificielle.
Leur désir d’élever et d’aimer un enfant est si fort qu’ils s’inscrivent très vite sur les listes des adoptants potentiels d’enfants belges non désirés. Les services sociaux leur laissent espérer peut-être un délai de 4 ans, voire beaucoup plus. Mais, il existe d’autres solutions, qui consistent à adopter un enfant handicapé, ou étranger. Ils contactent une agence spécialisée qui leur offre la possibilité d’adopter une petite fille en Chine. Selon l’âge de l’enfant, le délai et le prix n’est pas le même. Plus l’enfant est jeune, plus le prix est élevé, et plus le délai est long. L’agence leur propose d’aller sur place pour voir les enfants. Le prix de la « présentation d’enfant » est exorbitant. (Jacques et Catherine refusent de me communiquer la somme exacte). Il leur faut prendre un billet d’avion aller, prévoir le logement sur place. On ne sait jamais si les enfants seront « visibles » tout de suite ou pas, ils sont incapables de prévoir la durée du séjour. Les pots de vin de ce voyage-là seront limités au personnel de l’orphelinat.
Ils se rendent sur place font la connaissance de ce petit bout de 20 mois. Une adorable petite fille, souriante mais d’une maigreur à faire peur, le courant d’amour passe tout de suite entre Catherine et le bébé. Ils ont droit à 3 visites d’une heure. La séparation est un véritable déchirement. L’enfant oubliera vite, mais pas les futurs parents. Et maintenant commence la période la plus douloureuse de l’aventure, l’attente. Cette attente durera 8 mois. Tout l’administratif sera fait par Jacques et Catherine, l’agence leur indiquant au fil des jours quelles sont les démarches à accomplir et auprès de qui. Des heures dans des files d’attente, le plus souvent pour s’entendre répondre qu’ils ne sont pas dans les bons bureaux …
Et puis c’est le grand jour. Nouveau versement à l’agence, nouveaux billets d’avion aller, le retour sera acheté sur place le moment venu. Prévoir environ 3000 $ en espèce pour les pots de vin en tous genres ; là on repart avec l’enfant, il faudra payer l’administration chinoise, payer la douane chinoise, payer la police chinoise …
La petite depuis sa naissance n’a jamais rien connu d’autre qu’un lit à barreaux. Jamais elle n’est allée dehors. Jamais elle n’a vu le ciel, jamais elle n’a senti le vent sur son visage. Elle a maintenant 2 ans et demi, et elle est terrorisée. Elle s’accroche à Catherine, elle ne la lâchera pendant 3 semaines. Elle hurle quand elle entend un klaxon. Le trajet en avion pour rentrer en Belgique est épuisant. Perle ne dort pas plus de 30 minutes d’affilé. Bien entendu elle ne comprend pas un mot de ce que ses nouveaux parents lui disent. Et c’est réciproque. Entre deux sanglots elle réclame, elle parle au milieu des larmes, et la frustration de ne pas la comprendre est très éprouvante …
L’adaptation se fera très progressivement, elle finira par apprendre très vite le français, par découvrir la nourriture occidentale. Le petit jardin est un merveilleux terrain de jeux, et le vieux chat gris est un compagnon de jeux exactement à sa taille. Petit à petit Perle a moins peur, la vie s’installe avec l’amour.
Maintenant Perle est une adolescente qui pique parfois des crises, comme toutes les jeunes filles de son âge. Elle remet souvent en cause l’autorité de ses parents, mais en aucun cas elle n’aura le moindre petit doute sur l’amour qu’ils ont pour elle. A tous les parents qui comme Jacques et Catherine souhaitent se lancer, nous voulons dire que l’adoption n’est pas simple, mais le jeu en vaut la chandelle, alors si vous en en avez envie, n’hésitez plus, lancez-vous dans l’aventure.
©Brigitte
Vos liens :
Mathylde : Performances
Insatiable : Le souvenir du danger
32 Octobre : Tit Bonhomme dans le métro
Antonio : Piège fatal à la manufacture
Patacaisse : C’est pas facile
@ Brigitte : bel hommage à Perle et à ses parents
http://patacaisse.wordpress.com/2012/03/19/une-photo-quelques-mots-cest-pas-facile/
Par contre, petite question de blonde
C’est ça ?
Ce qui revient à dire que tu as posté cette photo ce matin et que Brigitte a déjà été inspirée ?
On peut participer quand on veut ?
En tous cas superbe initiative ! ♥
32 Octobre : Oui, en fait j’ai pensé au Boléro de Ravel en écrivant ce texte, avec les ajouts des instruments, mais je ne sais pas si je l’ai bien réalisé …
Lucie :
Oh oui, je n’avais pas remarqué cette similitude !
Patacaisse : Ajouté !
Cess ! Merci ! Alors réponse d’une blonde !
Je poste la photo chaque mardi matin (demain matin, une nouvelle photo) et vous avez une semaine pour écrire en vous inspirant de la photo.
La photo du 20 inspirera des textes qui seront publiés le 26 !
Si tu as la possibilité de connaître ton lien en avance, tu me l’envoies sur mon adresse mail ou en commentaire, sinon le lundi matin !
Mathylde : J’aime beaucoup aussi ce rendez-vous !
Vos textes sont tous tellement bien écrits, si riches …
A la semaine prochaine !
J’ai adoré !
Leiloona, tu as une plume magique. Je me suis retrouvée transporter dans ce récit.
Brigitte, j’ai eu les larmes aux yeux.
Je pense bientôt participer, super rdv !