Elle avait toujours été la solitaire, la taiseuse, la boudeuse. Toute petite, déjà, elle était dans son coin, à regarder les autres. De son regard de chouette, elle les scrutait et semblait donner des leçons du haut de ses dix mois. En grandissant, cela n’avait guère changé.
Aujourd’hui, elle avait dix-sept ans et s’apprêtait à signer le plus beau contrat de sa vie : employée de ferme. Elle n’avait jamais tenu de fourche, ni trait de vache. Au mieux, elle avait glané dans les champs déjà moissonnés, à la recherche de graines laissées et bonnes à manger.
Mais ce contrat était toute sa vie. Enfin, elle ne dépendrait plus de sa soeur et de son mari. Enfin, elle mangerait à sa faim et tenterait d’oublier les heures sombres. Et s’il fallait passer par du travail ingrat, elle le ferait. Après tout, chez elle, à quel avenir était-elle promise ?
Chez elle, dans son pays, il n’y avait rien.
Zenka réfléchissait, face à ce contrat. L’employeur n’avait pas été dupe, et avait ri en voyant ses frêles mains blanches et sans rugosités. Ce n’était pas encore des mains de travailleuses, ni des mains d’adultes. Mais Zenka n’avait pas cillé face à la moue sceptique du grand maître. Sa vie en dépendait.
Elle s’était habituée, il est vrai, à mentir, depuis quelques mois. Cela avait commencé par de faux papiers, elle avait pris l’identité d’une de ses trois soeurs. Elle était alors devenue majeure plus rapidement. Mais qu’étaient-ce quelques années dans sa situation ?
Zenka prit le stylo. La main tremblait. Et de sa plus belle écriture, en lettres cyrilliques, elle apposa le nom d’Hélène sur le contrat.
La belle sourit à sa nouvelle vie. Elle se leva, alla vers l’employeur et tendit d’une main déterminée son contrat de travail.
La France ouvrait ses portes. Le Front Populaire engageait. L’Histoire de ma famille pouvait commencer.
© Leiloona, le 12 avril 2014
Le texte de Ludovic :
Anna est obligée de s’asseoir, ses jambes tremblent malgré elle, et ne la portent plus. Son cœur bat fort dans sa poitrine.
Elle tient l’enveloppe entre ses doigts, la regarde encore, comme pour mieux savourer ces secondes qui n’existeront plus jamais ensuite, celles pendant lesquelles on peut encore imaginer le contenu, celles durant lesquelles on peut espérer tel mot, ou telle expression. Celles même pendant lesquelles on peut envisager le destinataire. Puisqu’après tout, pendant ces secondes qui précèdent l’ouverture de la lettre, on ne sait pas encore qui a écrit.
Anna s’en doute, Anna espère. Elle attend depuis si longtemps.
Elle a longuement hésité, se trouvant parfois trop bête, parfois trop audacieuse. Et puis elle avait fini par l’écrire. Non sans mal. La corbeille à papier avait alors débordé de brouillons chiffonnés, de lettres raturées, de mots mal choisis et finalement jetés.
Et puis elle avait réussi, pensait elle, à écrire quelque chose de cohérent, qui dise ses espoirs sans en dévoiler trop, sans paraître prétentieuse.
Fébrilement, elle avait déposé sa lettre à la poste, et le reste n’avait été qu’attente, du facteur, chaque matin, d’une réponse, enfin…
Et ce matin, elle était là.
Anna s’est alors assise, tremblante, a déchiré l’enveloppe, non sans avoir longuement observé l’arrondi des lettres qui formaient son prénom sur la première ligne, puis elle en a sorti la lettre, minutieusement, l’a dépliée et en a lu chaque mot, les larmes lui mouillant les yeux.
L’espoir a laissé place à la déception…
Mademoiselle,
Nous avons bien eu connaissance de votre manuscrit et vous remercions de nous l’avoir adressé.
Malheureusement, il n’a pas retenu notre attention.
Voici vos liens :
Jak : Ici et ailleurs la fois
Jacou : Les autres
Bleue et Violette : Milena et le blaireau
Bene : Vacances
Sabine : Vanité
Dame Mauve : La femme de Cracovie
Adrienne : K comme Karkow
L’exil, le déracinement, des thèmes récurrents de ton écriture. On aimerait en savoir plus sur cette jeune Zenka.
Je t’ai mailé mon texte hier soir (peut être un peu trop tard, mais j’ai écrit tard hier.)
🙂
Oui, tu as tout à fait raison, on va même dire que ces thèmes me hantent tout le temps … Pour ton texte, je le copie tout de suite. En fait, je ne suis pas chez moi, mais à Marseille, avec une connexion via mon téléphone. Autant dire une connexion pourrie ! 😛
J’adore !!
Merci ! 😀
oui très très chouette!
Merci ! 😀
Pour cette photo, je n’ai pas du tout réussi à faire en vers .. marrant. 🙂
je te remets mon lien ici pour te faciliter la tache. Le titre = Vanité
http://sabariscon.wordpress.com/2014/04/14/atelier-leil-8-vanite/
Hop, ajouté !
Belle histoire et bon commencement pour une biographie. Le lien de mon texte :
http://wrviolette.blogspot.fr/2014/04/la-femme-de-cracovie-pour-atelier-de.html
Bisous
Lien ajouté ! 😉
Je te remercie ! J’ai une petite idée qui germe, va savoir, pourquoi pas ? 🙂
Belle histoire… J’espère qu’elle aura une suite ! Voici mon lien : http://saxaoul.canalblog.com/archives/2014/04/14/29644889.html
Merci ! 😀 Je l’espère aussi … 😉
Une histoire forte porteuse de souffrance et d’espoir.
je te mets le liens pour cette participation
http://lacachetteajosette.blogspot.fr/2014/04/une-photo-quelques-mots-121.html
Arf, oui, et encore, là, rien n’est dit, tout n’est que suggéré …
Joli texte au thème fort, en effet ! Et qui me parle… l’histoire française de ma grand-mère et de ses sœurs a commencé avec une anecdote de ce genre 🙂
Oh incroyable ! 😮 Tu peux m’en dire plus, ou cela est trop intime ? 🙂 (j’adore les anecdotes de ce genre.)
Très beau!
J’aime beaucoup ces récits, où les aléas de l’Histoire transforme bien des destins.
(j’avais pas fini…)
J’ai moi aussi une tendresse particulière que ces petites gens qui en disent aussi long voire plus que l’Histoire officielle. 😉
J’aime beaucoup ce texte, cet instant de vie, dont le reste de la vie dépend, justement ! Jusqu’à la chute, j’ai cru que tout ceci se passait à l’étranger. Le prénom, vraisemblablement…
Ah oui ? Tiens, c’est marrant d’avoir la réception de son texte ! 😉
@ Ludovic : Humpf’, mais il faut l’envoyer à plus d’une maison ! Allez, zou, qu’elle y retourne ! 😉
Ludovic :
pauvre Anna déçue…il y a tant de réponse négative avant de trouver la bonne lectrice !
Super texte, par contre, voici ma participation en retard :
http://mynameisor.blogspot.fr/2014/04/une-photo-quelques-mots-121.html
Merci ! 😀
J’insère ton lien ! 😀
très bon, ton texte, Leiloona!
je vais essayer d’aller lire tout le monde 😉
merci pour tes consignes, bonne fin de journée à tous
Merci à toi ! Belle semaine aussi ! 😀
@Ludovic: déception, certes; l’espoir à nouveau si elle l’envoie à d’autres editeurs… À noter quand même qu’elle a obtenu une réponse, ce qui ne doit pas être le cas de tous ?