La galerie de Kot

Il était là depuis une heure. 

Autour de lui flottait un air humide et froid.
La pluie avait laissé sa trace au sol, et menaçait de s’abattre en trombe de façon imminente. 

Un souffle glacial tombait sur les petites parcelles de sa peau laissée à nu, avant de s’engouffrer sous ses vêtements. De ses poignets juvéniles l’air remontait jusqu’à son coude avant de se perdre dans les fibres entrelacées de son pull. Un autre bataillon de Septentrion s’attaquait à son cou, à découvert. Ses piques ne lui donnaient que de vagues frissons, Zéphyr n’aurait pas fait plus de dégâts. 

A peine sentait-il les vibrations du métro, véritable métronome et horloge chthonienne. Quatre minutes de silence avant le prochain convoi. Cette cadence lui permettait de ne pas s’arrêter dans sa lecture. Un simple mouvement de tête vers sa montre et la magie des mots se serait perdue, envolée, anéantie par les bourrasques de vent implacables.

Dix métros. Encore dix métros avant de reprendre le cours de la vie, dix métros avant de laisser là ce monde qu’il venait d’entrouvrir, avant de refermer doucement ce monde de papier.
Délicatement. Pour ne pas le briser. Qui sait, un geste brusque pourrait suffire à y mettre le chaos ? 

Happé et ensorcelé par cet entrelacs de mots, il ne savait pas qu’au-dessus de lui des dieux s’épuisaient. Une guerre intestine venait de commencer. 

L’objet de cette vile querelle ? La littérature.
Hermès, dieu du commerce et sombre profiteur, ne cessait de geindre, de pleurer que ce jeune homme n’était guère productif, là, assis en équilibre sur cette barre de fer.
Quel intérêt avait-il de rester là ? A quoi cela servait-il ? 
Eole l’avait alors rejoint. Usant de son pouvoir, le maître des vents avait envoyé son plus fidèle soldat : Septentrion. Mais il semblerait que son souffle ait perdu en puissance, et le jeune homme et son équilibre précaire avaient eu raison de ce vent du Nord. 
Face à Hermès, se tenait un couple bien étonnant : Apollon et Athéna s’étaient ligués contre l’homme aux sandales aîlées, et avaient même emporté dans leur sillage Hadès et son fabuleux réseau souterrain.

Les dieux se livraient alors une bataille sans relâche. Les arts et la littérature allaient-ils gagner ? Le commerce et le profit l’emporteraient-ils ? 

C’était sans compter une nouvelle déesse dans cette arène. Elle qui était l’instigatrice de nombreuses guerres s’apprêtait pour une fois à sonner le glas de cette jouxte divine.

Une douce mélodie monta alors de la poche intérieure du veston du jeune homme. Elle le fit arrêter immédiatement sa lecture. Oubliant l’univers fragile des mots, il referma d’un geste sec son livre et prit brusquement son téléphone dans sa main. 
Un magnifique sourire sur son visage se dessina. Il décrocha.

Oui, bien entendu, Aphrodite avait encore une fois gagné. Encore une fois l’amour l’avait emporté. 
Les dieux lui décochèrent un regard entendu. Ils n’avaient pas dit leur dernier mot, il fallait s’attendre à de futures représailles. 

©Leiloona, le 11 mars 2012

Voici le texte de Brigitte :

 

Kot

Mon amour,

Je viens de me lever, et ma première pensée est pour toi. J’espère que tu as bien dormi, et que tu as rêvé de moi.

J’imagine que tu t’es levé en retard, comme d’habitude,  et que tu n’as même pas pris le temps de te faire un café … Le facteur passe si tôt dans ton quartier, que tu auras ouvert la boîte à messages, et trouvé ma missive pour la lire avant de prendre le métro pour aller en cours.

Nous sommes donc arrivés à Barcelone dimanche matin, après un interminable voyage de 15 heures de bus. Les filles de la classe étaient toutes littéralement folles de découvrir cette ville aux mille facettes, et elles ont utilisé leur premier temps libre à courir partout pour faire mille photos, dont elles ne se souviendront même plus l’endroit ni les circonstances à peine rentrées au bercail. En ce qui me concerne, j’ai préféré me poser, défaire mon sac tranquillement et penser à toi, et à ce que pourrait être notre avenir. Je passe mon bac dans 3 mois, et toi tu n’en es qu’à la première d’une longue série d’années. Cependant j’ai une confiance aveugle dans le destin qui nous a permis de nous rencontrer chez Emma le mois dernier. Je ne peux plus me passer de toi, et j’aimerais qu’on s’installe ensemble dès la rentrée prochaine. Qu’en penses-tu ?

Quand tu me prends dans tes bras je suis transportée au paradis. Jamais je n’ai ressenti un tel enchantement. Je sais que tu es l’homme de ma vie, et je tuerai toute personne qui me dit qu’à 17 ans je suis trop jeune pour savoir ces choses-là. Tu es beau, tu es doux, tu es tendre, tu es intelligent, et je sais que tu as encore mille qualités que je vais découvrir avec le temps. Et même si ça ne fait que 3 semaines que nous sommes ensemble, je SAIS ce que je sens, et je sais que toi et moi c’est pour la vie. Mon angoisse serait que tu ne ressentes pas la même chose et que tu me voies comme une petite aventure ; Beaucoup de garçons de ton âge vivent avec les filles des histoires qui ne durent que le temps d’un battement de cils, et après ils les jettent comme un kleenex et passent à une autre. Bien entendu tu n’es pas mon premier amant, mais tu es mon premier « amour ». Jamais je n’ai ressenti une telle plénitude. Naturellement les copines se moquent de moi, mais je m’en fiche, elles ne savent pas ; forcément, elles ne te connaissent pas.

Moi j’imagine déjà notre vie d’adultes. Je nous imagine, toi médecin renommé, un grand spécialiste reconnu. Le plus grand chirurgien cardiaque, qu’on viendra consulter du monde entier. Moi une avocate d’affaires intraitable, dure, belle, fière, qui gagnera tous les procès, toujours. Nos 3 enfants seront des merveilles. Un garçon d’abord, puis 2 filles. Nathan, Marine et Juliette. Nathan sera comme toi, beau à tomber par terre. Et il sera médecin lui aussi, mais pas en l’hôpital, à cause des horaires, lui il aura un cabinet privé … genre ophtalmo. Marine sera juge pour enfants, et Juliette sera l’avocate la plus redoutée du barreau de Paris. Elle fera merveille dans les procès d’assises ! Nous aurons un pavillon à Neuilly, un appartement à Avoriaz et une maison à Biarritz. Nous jouerons au bridge avec nos amis tous les jeudi soir, nous ferons notre jogging en famille le samedi matin, et nous aurons un abonnement à la Comédie Française. Tu t’habilleras chez Hugo Boss, et moi chez Dior, tu changeras de Porsche tous les ans et moi j’aurai toujours le dernier modèle à la mode… et nous serons heureux …

Bon trêve de plaisanterie, j’ai hâte de rentrer mon amour, plous que 3 jours et je serai à nouveau dans tes bras, on se retrouve samedi à 17h au « bar des amis » comme d’habitude, je te raconterai, je te montrerai mes photos.

Je t’embrasse, je pense à toi,

Ta Cloé

 Voici le texte de Gaëlle : 

Kot

Oui je sais, je sais, je suis en retard : j’ai rendez-vous… avec le proviseur, avec mes parents, avec toi même, mais là excusez-moi, j’ai mieux à faire : il faut que je termine mon bouquin. Ces lettres, ces symboles mis bout à bout créent l’expression puis le fil de l’histoire. Ce guide ténu joue les funambules, me bouleverse, me triture les tripes des rires aux larmes, exorcise mes sentiments pour me faire renaitre à moi-même. Car je sais qu’à la fin de ce livre qui pourtant ne me concerne pas, je serai différent. Alors, laissez-moi enfin savoir vers quel coin de moi-même ce livre me mène. 

Et voici les liens vers les autres textes :

La galerie de Kot

Zelda : No future 

Likely-Proust : Cela vous est-il déjà arrivé ? 

Mathylde

Insatiable Charlotte

Jean-Charles : Un juste retour de médaille

 Soène : Le temps de lire est toujours du temps volé. 

32 Octobre : Romuald

Patacaisse : Trop beau pour être vrai

 

18 Commentaires

  1. Leiloona

    Brigitte :
    Aaaaah l’amour quand on a 17 ans … Mais je dois bien avouer qu’à chaque fois ça fait le même effet. On a des ailes, et ce peu importe l’âge auquel ce sentiment nous tombe dessus.
    Bon, c’est vrai que si nous regardons cette « petite » d’un oeil extérieur, elle risque de déchanter très vite …

  2. Leiloona

    Gaëlle : Hé hé, ton texte pourrait compléter le mien et offrir le point de vue de cet étudiant !

  3. Soène

    Hello Leiloona,

    Que la vie est belle quand on a juste l’âge de la Majorité !

    Un idéal qui, hélas, n’est pas toujours au rendez-vous, mais à 18 ans, on a le droit de rêver…

    Ton texte optimiste va me faire commencer la semaine de façon positive

    Voici mon lien, chez Canalblog, toujours impossible de le donner avant que le billet soit publié…

    http://soene.canalblog.com/archives/2012/03/12/23719076.html

    Bonne semaine et bises de Lyon

  4. Leiloona

    Soène, ce n’est pas le mien, le mien est plus haut !

  5. 32 Octobre

    un grand cru encore ce matin

    un vrai régal que de vous lire

    Brigitte – laissons ses illusions à cette jeune femme,

    Gaëlle – demandons le titre du livre à ce jeune homme

    et Leiloona – merci pour cette revisite de la mythologie

  6. lucie

    la battle des dieux j’ai aimé et également ce petit fragment écrit par Gaëlle.

    Panne sèche pour moi, désolée…

  7. Philisine Cave

    Très joli, Leiloona : j’aime beaucoup et tu nous fais réviser la mythologie tout en poésie. Bises et bonne semaine.

  8. Ben

    Joli texte mythologique.

    J’aime beaucoup ce principe. Il fonctionne bien parce que les participants sont nombreux.

    J’essaierai de participer à une prochaine édition.

    Je propose quelque chose de similaire, mais à partir d’une illustration originale, créée pour l’occasion. Si cela te tente, voici le lien :

    http://descaracteres.com/2012/03/12/chacun-son-caractere/

    Je serai flatté que tu écrives dessus, si tu en as le temps.

    Ah ! et je ne me vexerai pas si tu supprimes ce commentaire hors sujet.

  9. Jean-Charles

    @Leiloona : Excellente idée et au passage petit rappel de la mythologie. J’attends à côté de mon téléphone savoir s’il va sonner aussi.

    @Brigitte : Quelle lettre ! Mais il va tomber à la renverse.

    @Gaelle : Ah bouquin quand tu éveilles la curiosité !

  10. Soène

    Pardon, Leiloona,

    j’étais speed ce matin, j’suis descendue trop vite

    je rends donc mon com à Brigitte et repars lire le tien… je reviens !

    merci pour le lien et le titre

  11. Soène

    Leiloona, j’ai adoré ton texte et cette bataille des dieux !
    Chez toi, l’Amour a le dernier mot !

    A Lyon, passage de l’Argues, il y avait une statue du Dieu Mercure… on a dû la piquer…
    La prestigieuse marque de luxe a bien fait de choisir le nom de ce dieu, ses affaires sont florissantes
    Bonne journée

  12. Leiloona

    32 Octobre : Je crois bien que mes lectures actuelles m’ont insufflé cette histoire. On ne peut rien y faire quand elle s’impose …

    Lucie : ça ne peut pas fonctionner à tous les coups, peut-être que l’inspiration reviendra la prochaine fois !

    Philisine : Merci ! Je trouve mon texte assez « borderline » en fait, mais c’est ce qui m’est venu à l’esprit. Merci pour l’esprit poétique !

  13. Leiloona

    Jean-Charles : Il sonne toujours au moment où l’on s’y attend le moins !
    N’attends pas. La surprise sera encore meilleure.

    Soène : tu es comme le matin ! Tu marches au radar !
    Pour cette fois, comme le deuxième texte était long, j’ai choisi de remettre la photo à chaque fois.

    Je en sais pas si c’est mieux ou moins bien. A vous de me dire !

    Sinon, oui, bien entendu que l’amour a le dernier mot, il manquerait plus qu’il n’est pas une place primordiale dans nos vies !

    Patacaisse : Ne tremble pas, il n’y a que de bonnes âmes ici ! Ravie de te retrouver par ici pour cet atelier ! Je file lire ton écrit !

  14. Leiloona

    @ Ben : Désolée je ne réponds que maintenant à ton / votre commentaire … Canalblog l’avait mis dans les spams … Va / Allez savoir pourquoi.

    Je file regarder la photo en question.

    Sinon, oui, nous sommes un petit groupe malléable, mais une petite dizaine ! Cela reste à échelle humaine, et petit à petit on apprend à connaître le style des uns et des autres !

    Sinon, pourquoi aurais-je supprimé ce commentaire ?
    Tout le monde a le droit de s’exprimer.

  15. Ben

    Merci d’être passée voir
    Pour la publication, lundi ou plus tard, peu importe…

  16. Mathylde

    Textes très intéressants

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