Les premiers signes n’avaient alarmé personne. Des disparitions d’espèces, des vertébrés, cela n’inquiétait personne. Sûrement pas les humains qui se considéraient comme les maîtres de la Terre, voire même de l’univers. Après tout, n’étaient-ils pas les seuls doués de langage ? N’étaient-ils pas allés sur la Lune et dans l’espace ?
Les scientifiques n’avaient cessé de tirer la sonnette d’alarme. Les abeilles meurent ! Les abeilles meurent et c’est toute la chaîne qui s’éteindra par la suite. Pensez-vous, de pauvres abeilles, sans elles nous pouvons vivre avaient ri les hommes.
Puis, nous n’avions plus ri.
La dégringolade, les générations d’après avaient compris l’intérêt de protéger mère Nature, des groupuscules étaient nés, souvent des radicaux qui se grimaient de bois de cerf, revendiquant alors leur appartenance à la Nature. Mais comment faire machine arrière ? Les scientifiques le savaient : la 6ème extinction de masse arrivait, et personne ne pouvait l’enrayer.
Alors, on s’était pris à rêver de conquêtes cosmiques, mais la réalité n’avait pas rejoint la fiction : la Terre était bien la seule à pouvoir nous accueillir. Non, nous ne coloniserions pas une autre planète. Une seule chance nous avait été octroyée, et nous avions perdu notre gain le plus précieux.
Ce soir j’écris. J’écris pour que d’autres se souviennent, par devoir de mémoire. J’enterrerai ce texte. Mère nature saura ce qu’il faut en faire. Peut-être un jour d’autres découvriront-ils cette boîte ? Peut-être y aura-t-il quelqu’un pour l’ouvrir ? Ma lettre sera un témoignage pour les générations futures, si la vie existe encore sur Terre. Je prends aussi cette ultime photo, presque apocalyptique. Les gens errent dans la rue, ne savent plus vers quel dieu se tourner. Ils vivent au jour le jour, comme des bêtes, l’économie s’est écroulée, nous sommes revenus à un modus vivendi que nous n’aurions jamais dû quitter. L’orgueil des hommes, leur folie. Retour à la case départ, nous sommes des enfants orphelins à la recherche de notre mère.
© Leiloona, le 28 juin 2015
Le texte d’Adèle : La course
Cours, Sacha, cours !
A travers les rues et au milieu des bois,
Car voici l’homme qui fait sa loi,
Et il cherche après toi.
Ne t’arrête pas, cours, Sacha !
Ton cœur est en émoi
Et ton corps aux abois.
Pas une minute, ne t’assois,
Les chiens au loin déjà aboient.
Sacha, cours, cours !
Oublie l’enfant que tu étais, plein de joie,
Maintenant ta vie s’est remplie d’effroi.
Vers toi, l’homme couronné a étendu son doigt,
Te désignant comme sa proie.
De la forêt c’est le Roi,
Et il veut caresser ta peau de soie.
Cours, cours, Sacha !
Dans la brume, tu marches de guingois ;
Au ruisseau, les mains en coupe, tu bois ;
A travers les buissons tu cherches ta voie.
Tu écartes les branches. Quoi ?
Les pas, le souffle se rapprochent de toi.
Sacha, cours !
Dans la nuit tu erres, en plein désarroi.
Tu plaques ton dos contre la paroi
Pour laisser passer un étrange convoi,
Des spectres portant arcs et carquois,
En partance pour un drôle de tournoi.
Allez, cours, Sacha, cours !
Tu gardes l’espoir comme on garde la foi.
Tu respires et tu entrevois
Autour de toi des visages narquois.
Il y a un chinois qui porte un chat siamois.
Soudain la cloche sonne l’alarme au beffroi
Allo, Camille, c’est toi ?
J’ai fait un cauchemar, c’était n’importe quoi !
Le texte de Manue Rêva :
Au fond de ma mémoire, gravé dans ma pupille, il me reste un souvenir, comme une photographie, un instantané, de cette soirée là. J’avais dix ans et c’était la première fois que j’allais au théâtre. Je me souviens encore de l’odeur des sièges, des vieux fauteuils en velours rouge, usés aux accoudoirs. Ils avaient le parfum de la salle de cinéma de mon village mais ils trônaient plus fiers, avec leurs numéros en cuivre.
L’après-midi avait été électrique, ma grand-mère tournait en rond dans la maison, jamais je ne l’avais vue aussi excitée. Elle s’obstinait à vouloir me montrer des vieux programmes jaunis par le temps. Leur seul point commun, excepté la crise d’éternuements qu’ils provoquaient chez moi systématiquement, était le comédien qui apparaissait sur tous, en première page. Il avait un regard habité cet homme, et nul doute qu’il ne laissait pas indifférent ma grand-mère. Je l’ai même surprise à serrer très fort contre son cœur l’un des programmes alors que je ne l’ai jamais vue accorder le moindre signe d’affection à mon grand-père. D’ailleurs, ce jour-là, il était parti de bonne heure à la pêche dans leur vieille auto sans s’inquiéter de savoir comment nous allions pouvoir aller au théâtre.
C’est l’autobus qui nous a donc conduit jusqu’à la salle de spectacle, au cœur de la ville, en cette fin d’après-midi. Il y avait déjà du monde qui se pressait à l’entrée. Tout ces gens étaient enthousiastes à l’idée de vivre un événement majeur dans le petit monde du théâtre. « Il » faisait son retour sur scène et avait justement choisi notre ville pour débuter sa tournée qui promettait d’être triomphale à les entendre.
Ma grand-mère, elle, restait étonnamment silencieuse plus nous approchions de nos sièges. Elle sursautait dès qu’elle entendait son nom et je crois bien que je l’ai vue rougir quand elle s’est aperçue que je l’observais du coin de l’œil. Que me cachait-elle donc ?
Impossible d’en savoir plus, les trois coups retentirent et tandis qu’elle se mit à serrer très fort ma main, le rideau s’ouvrit. La scène était dans la pénombre ; les comédiens, des silhouettes noires entourés de fumée. Ils formaient un cercle, tels des disciples attendant leur maître ou des druides prêts à célébrer leur divinité. Un son étrange remplissait petit à petit la salle et nos cœurs. Une lampadaire, sorti d’on ne sait où, donnait un halo de mystère à ce qui se déroulait sous mes yeux. Et tandis que, fasciné, je me laissais emporter par le début de la pièce, ma grand-mère murmura à mon oreille les quelques mots qui firent que ce que je vis sur scène ce jour-là resta gravé dans mon cœur et dans mes tripes à tout jamais.
C’est lui, il arrive, le père de ton père. Regarde.
Elle me racontera, plus tard, sur le chemin du retour, comment elle, jeune lycéenne pleine d’avenir et de talent, était tombée amoureuse de son partenaire d’un soir et comment lui, quand il avait appris qu’elle attendait un enfant, avait fui. Ella avait quelques mois plus tard épousé mon grand-père, son meilleur ami. Et secrètement, pour ne pas blesser l’homme qui lui avait permis d’élever son enfant sans connaître le déshonneur, elle avait suivi la carrière flamboyante du père de son fils puis sa chute.
En attendant, un homme immense apparut sur scène. Drapé d’une cape tombant jusqu’à ses pieds et coiffé de bois de cerf, il habitait totalement l’espace. J’étais sous le choc de ce qu’elle venait de me confier et déjà, au plus profond de moi, je savais maintenant d’où venait ce qui faisait battre mon cœur.
Les liens vers les textes écrits à partir de la même photo :
Leiloona : Un joli texte dystopique en ce lundi
Adèle : Un beau texte avec une bonne chute.
Merci Victor. 🙂 Oui, pour moi cette photo est apocalyptique, donc la dystopie fonctionnait bien. 😉
C est malheureusement ce qu il risque d arriver…
Oui, malheureusement la dystopie deviendra réelle …
Bonjour, voici mon texte ici
http://randonnezvousdansceblog.blogspot.fr/2015/06/atelier-decriture-chez-bricabook-182-eme.html
J’ai hâte de lire ce que cette photo aura inspiré à chacun (quand je rentrerai du travail)
Bonne journée
Ajouté ! 🙂
Bonjour, voici le lien vers mon texte :http://albertine22.canalblog.com/archives/2015/06/29/32132990.html
Je reviens plus tard pour vous lire.
Ajouté !
@Leiloona : Ton texte est d’une efficacité redoutable, car sans agressivité ni moralisation, il dresse un constat effrayant.
A diffuser largement …
Merci … oui, et ce n’est pas vraiment une dystopie malheureusement … :/
Leiloona : En ce début d’été ensoleillé, ton texte nous rappelle le triste compte à rebours dont nous sommes responsables, très efficace !
Adèle : Il y a des rêves dont il fait bon se réveiller !
Merci Albertine ! S’il est efficace, j’ai réussi alors à faire passer ce que je voulais.
Très belle photo ! et 2 très beaux textes, très différents mais qui font frissonner tous les 2 ….
m’en vais lire tous les autres, com j’aime ces lundis matins ! l merci merci 😉
Merci merci ! 😀
Je viens d’en ajouter à l’instant … pas chez moi hier, donc je ne pouvais pas mettre les derniers liens à jour. 😉
Merci Framboise d’être passée par là et d’avoir laissé un commentaire ! 😉
Je t’ai envoyé mon texte par mail 😉 un peu tard dans la nuit !
Je viens de l’ajouter et te répondre par mail. 🙂
Merci 🙂
Je vais tout lire ce soir !
De nouveau, problèmes avec mon lien!
J’espère que ce sera le bon.
https://jacou33.wordpress.com/2015/06/29/mise-en-scene/
Oui nous avons assez perdu de temps, un beau texte.
et merci à Vincent de permettre d’utiliser ses photos.
Bonne journée
Bises
Apparemment le lien de mon texte ne fonctionne pas ! je le remets ici
https://monesille.wordpress.com/2015/06/29/pierre-feuille-ce-pos/ et je vais lire vos textes, j’ai déjà lu le tien Leiloona, hélas, les pauvres abeilles ne sont que les prémices, mais je crois qu’il est encore temps, et que la terre n’est pas à bout de ressource pour se régénérer.
Bises
Adèle un texte haletant dont je regrette un peu la fin,
Manue rêva Elle n’est pas rancunière la grand mère !
Bises
Je reconnais m’en être sortie par une pirouette 😉
Je ne voulais pas non plus faire trop long. Peut-être une suite un jour, si la photo si prête.
Merci pour ton commentaire, ça me fait avancer
@leiloona : j’attendais ce lundi avec impatience pour lire vos textes et vos sources d’inspiration. La photo que tu avais choisie est très belle et pour moi super énigmatique. Bien qu’habituée à sortir de ma zone de confort parfois, je dois t’avouer que là pour la première fois, tu m’as fait connaitre les émotins d’être devant une page blanche qui se refusait à noircir… Etranges sensations… Les quelques mots gribouillés ça et là n’ont pas réussi à s’emboîter pour un texte… ce n’est que partie remise et il faut dire que je me demandais depuis longtemps ce que l’on pouvait ressentir devant une page qui reste blanche et maintenant je peux dire que je l’ai vécue, merci pour ça 😉
Une belle idée de ta part de résumer l’état de notre Mère Nature et cela sans jugement, et ça c’est juste topissime !
@Adèle : bravo, une belle réussite ton texte qui nous entraîne dans la course de Sacha 😉
@Manue Rêva : quelle douce histoire que la tienne et chapeau bas d’avoir pu nous la relater à partir de cette photo 😉
Je continuerai ma lecture des liens plus tard.
@ Manue Rêva : quel joli texte, aussi bien dans l’histoire que dans les mots ! Merci de nous rappeler que nos grands-mères ont été des jeunes filles, belles, délurées et pleines d’espoirs …
brrr Leiloona, ça fait peur…
Leiloona : texte apocalyptique bien rédigé qui nous plonge totalement dans l’ambiance.
Adèle : conception tout en rimes et en rythme ! J’ai beaucoup aimé !
trois textes complètement différents aujourd’hui. J’ai apprécié ton appel au secours et à la conscience Leiloona. Le texte de Adèle m’a angoissée car j’imaginais le pire. Et puis les secrets de famille, j’adore Manue Rêva. Une photo enigmatique qui a appelé de l’obscur 😉
Ton texte m’impressionne Leiloona. Il est juste et si réaliste. Implacable et fort. Excellent !
Adèle, j’ai couru avec Sacha ! Quel rythme ! J’ai ressenti la panique la course la peur. Et la chute… ouf ! Très réussi également. Un poème riche à clamer haut et fort !!!
Manue Réva merci pour cette histoire si différente. Tu m’as embarquée et j’aime ta façon de nous emmener jusqu’à cette photo avec beaucoup d’émotion. Une belle histoire… 🙂
Ton texte reflète complètement l’atmosphère apocalyptique de cette image. J’aime beaucoup ton texte et sa connotation écolo.