tea time

Notre rituel d’amoureux.
Chaque mois, nous faisons notre sortie culturelle. Les expositions à Paris pullulent, nous avons donc le choix. Ce mois-ci : Eugène Boudin au Musée Jacquemart André. Ce précurseur qui joue avec les cieux et les lumières sera parfait pour toi. Il te rappellera peut-être notre Normandie éternelle.

Nous avons toujours le même rituel : nous nous préparons, tu passes la robe que je t’ai choisie. Même si tes gestes peuvent être maladroits, tu possèdes toujours cette grâce que j’ai toujours aimée. Je te passe alors doucement la brosse à cheveux sur tes derniers épis. Cinq fois. Pas une fois de plus, pas une de moins. Tout doit être réglé comme du papier à musique.  Puis je tourne alors ton petit visage fripé à force d’avoir ri et je te redessine les sourcils. Le gauche puis le droit.

Au musée Jacquemart, tu gardes bien ta main dans la mienne. J’aime tant cette douceur mêlée de tendresse. Il s’est enfui ce temps où nous passions nos dimanches enfermés dans notre petite chambre de bonne sous les combles. La tendresse a remplacé la passion. Nous sommes passés par tant d’états. Nous les avons surmontés ensemble aussi.

Aujourd’hui, une certaine sérénité nous élève. Nous ne sommes plus qu’un. Jusqu’au bout. Pour le meilleur et pour le pire aurait dit le curé, si nous avions été mariés.

Notre visite est terminée, nous prenons le goûter dans ce salon de thé attenant au musée. J’y suis bien. J’y serais encore mieux si tu me regardais dans les yeux, si ton oeil me disait encore à quel point tu m’aimes. Mais la mémoire te fait défaut depuis longtemps. Pour toi, je ne suis plus personne. Obligé de te répéter toutes les trois minutes que tu n’as rien à craindre, que je suis ton compagnon depuis des lustres.

Mais nous continuerons notre petite visite mensuelle. Je me plais à croire qu’un jour dans tes yeux brilleront de nouveau cet éclat que j’aime tant.

© Leiloona, le 12 mai 2013

Crédit photo @ Romaric Cazaux 

—————————————————————————————-

 Le texte de Jacou : 

ARSENIC et FAUSSES DENTELLES

 

Sous les palmiers et cocotiers,

Désillusions, paillettes envolées,

Pains et tartines desséchés,

Deux vieilles dames esseulées

Se sont rencontrées.

De la côte d’Azur, toutes deux entichées,

Mais très vite désenchantées,

Sentiments écorchés,

Deux vieilles dames esseulées

Se sont retrouvées.

De ce miroir, ont décidé

De ne pas être dupées,

Et de cette image écornée,

Deux vieilles dames esseulées

Se sont méfiées.

Alouettes, elles avaient été.

A ces promesses falsifiées,

Que, sans remords, elles ont piétinées,

Deux vieilles dames esseulées,

L’amitié, ont préféré.

 

—————————————————————————————-

 

Le texte de Pauline (bienvenue à toi !) :

Je ne pleurerai pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, je veux vivre pleinement.

Hier la Toscane, aujourd’hui la Provence… Les images, les couleurs, les parfums se bousculent dans ma tête.

Notre petite balade sous les pins, tout à l’heure, m’a fait le plus grand bien.
La nature exhalait des parfums de sève et de miel. L’air était si enivrant ! Qu’il était bon de laisser le soleil darder ses rayons sur nos vieux corps !
Paul m’a serré très fort la main. Je crois qu’il ressentait la même émotion.

Paul, mon cher Paul, qui, il y a bientôt soixante-dix ans, s’engagea à partager un petit bout de chemin avec moi sans pour autant me faire de promesse définitive…
Autant de franchise ne pouvait que me séduire…
Les années me donnèrent raison.

Nous n’avons pas eu d’enfant, nos métiers d’enseignants ont aisément pallié ce manque.
Nous avions ce plaisir égoïste à nous retrouver chaque soir tous les deux.

Toutes ses années durant, nous avons partagé les mêmes goûts des livres, de la nature, des voyages. Je ne regrette rien, pas même son ascétisme qui m’a enseigné la sagesse.
Je crois que sans lui, je n’aurais pu approcher de si près ce qui fait le sel de la vie.
Certes, je n’ai pas croulé sous les fleurs, les compliments, les caresses, mais sa présence discrète et son respect permanent ont été les plus belles preuves d’amour.

Aujourd’hui, il est là, bien là, me servant avec la plus grande délicatesse mon thé, il en boira un également, il mangera une part de gâteau tout comme moi …

J’ai envie de pleurer de joie, devant ce vieil homme qui a partagé ma vie, si beau, si élégant en cet instant.
Cependant, je ne pleurerai pas aujourd’hui, peut-être demain, mais je ne le souhaite pas.

Avant, nous partagerons une nuit blottis l’un contre l’autre. Au petit matin, nous franchirons la frontière Suisse. Nous longerons le lac Léman. Nous déjeunerons ensemble, je suis sûre qu’il fera beau. Nous louerons une embarcation, je vois déjà les reflets ondoyants du soleil jouer sur la surface de l’eau, créant ainsi un miracle lumineux que nous garderons en mémoire.

Je ne pleurerai pas aujourd’hui, pas même demain.

Comme une douce mélopée, les dernières paroles d’une chanson de Reggiani me reviennent :
« Quand le temps s’arrêtera…
Je t’aimerai encore
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment…
Mais je t’aimerai encore…
D’accord ? »

Non, je ne pleurerai pas aujourd’hui. Ni demain.
Comment pourrais-je pleurer face à cet homme qui m’accompagne avec la plus belle grâce ? Comment pourrais-je pleurer face à mon amour qui me tiendra la main lorsque je boirai la solution létale ?

Je sourirai jusqu’au bout à la vie.

—————————————————————————————-

 Le texte d’Aline (bienvenue ici aussi !)

Je  te verse ton thé.
Tu reste songeuse… Mais je sais que tu vas relever les yeux et me dire « Merci très cher ».
Ces quelques mots, tu les délivreras avec un sourire.
Nous sommes des gens de peu de mots.
Après une si longue existence, toute notre histoire est écrite sur nos visages.
Chaque ride est un chapitre d’une vie bien remplie.
Alors nous dégusterons le silence tout en partageant ces énormes parts de gâteau à la crème.
Comme tous les mercredis après-midi, nous nous sommes réfugiés au salon de thé.
Puis nous rentrerons.
Je te prendrais la main, tu la serreras un peu fort.
A la porte, nous nous séparerons.
Personne ne sait à la maison de retraite, nos familles ne sont pas au courant.
Nous nous sommes rencontrés. Nous aimons de nouveau.

—————————————————————————————-

 Les liens vers vos textes : 

K Mill : Instantané d’une amitié

Jean-Charles : La théière brisée

Lucie 

Cardamone : L’heure du thé

Mamido : Un thé au jardin d’hiver

Gaëlle : S’imprégner de ton souvenir et retrouver dans la ville 

Yosha : Roger et moi

une photo quelques mots

35 Commentaires

    • Leiloona

      Oh, parfois, une fois, j’essaierai que mon histoire se termine bien … Mais là je ne pouvais pas faire autrement.

      Je mets ton lien à jour.

  1. lucie

    Aline , j’adore le point de vue que tu as pris et cette histoire d’amour hors les murs de la maison de retraite comme s’ils avaient 16 ans à nouveau !

  2. lucie

    Pauline, ton texte me touche et me fait penser au roman « tout s’est bien passé ».

  3. lucie

    Jacou, nous avons en commun une presbytie nous ayant fait voir une femme là où se tenait l’homme (je suis myope pourtant) et l’arsenic. J’aime ton poème.

    • Jacou

      Ah, zut, c’est vrai, c’est un homme! Ce qui m’a frappée surtout, ce sont les palmiers, et tout ce que cela a réveillé en moi, instantanément.

      • Leiloona

        😆

        Les filles, ç’est ça qui est bien, justement ! On voit tous des choses différentes ! La vérité n’est qu’accessoire !

  4. Yosha

    Bonjour, je rajoute mon lien un peu tardivement :
    http://yosha.over-blog.com/article-roger-et-moi-117633626.html
    La nouvelle présentation est très jolie mais mon pauvre ordi n’arrête pas de planter, je sais pas s’il y a un lien…
    Je vois que la photo a inspiré du monde 🙂 je reviens vite vous lire !
    Bonne journée !

    • Leiloona

      Hop, je l’ajoute ! 😀

  5. Yosha

    Leioona, ton texte me touche infiniment, l’amour, la tendresse qui s’en dégagent sont infinis, ah… être aimée ainsi toute une vie !!!
    Jacou, on voit ce qu’on veut dans ces photos, c’est le charme de cet atelier ! J’aime cette amitié en tout cas.
    Pauline, comme Leiloona c’est beau et triste à la fois…
    Aline, j’aime cet amour caché, préservé, ce renouveau inattendu.
    Merci pour tous vos textes et merci Leiloona pour le choix des photos toujours inspirant !

    • Leiloona

      J’aime aussi voir des petits vieux se tenir bras dessus, bras dessous … Ils me touchent énormément.

  6. Yosha

    Ah oui et Leiloona sais-tu où cette photo a été prise ? Tu parles du musée Jacquemart André, d’ailleurs il faut que j’aille voir cette expo ! Ca m’a fait penser au jardin Albert Khan.

    • Leiloona

      Ah oui ? Mais à Albert Khan, il n’y a pas de salon de thé, si ?
      Je demanderai à Romaric où la photo a été prise … Quant à Eugène, j’ai aussi prévu d’y aller. Et j’ai pensé à ce salon de thé attenant au musée …

      • Yosha

        Il y avait un salon de thé dans la serre mais il n’existe plus c’est dommage…

  7. Marie

    Merci beaucoup pour ton texte ! Je rêverais d’être comme ça avec mon amoureux dans 30 ans… 🙂

    • Leiloona

      Pfiuu dans 30 ans, voyons voir … Hum, je ne préfère pas y penser ! 😮 Fichtre, coup de bourdon du coup ! 😮

      • Leiloona

        Ah non, mauvaise addition « fausse brune » … ça ira encore !

        Pfiuu, l’honneur est sauf ! 😀

  8. L'or des chambres, l'or rouge

    Très beau texte Leiloona, très émouvant, extrêmement touchant !! J’aime beaucoup également le texte de Pauline, sensuel, odorant… Et tiens, j’y rencontre le lac léman (que je connais très bien :0)

    • Leiloona

      Je te remercie, L’or ! 😀

  9. Jean-Charles

    @ Leiloona : Oh joli ! Le raison l’emporte souvent sur l’amour.

    @ Jacou : Une autre façon de voir les choses.

    @ Pauline : Une fin inattendue , un amour jusqu’au dernier moment. pas facile pourtant !

    @ Aline : Les vieux amants, j’aime bien l’idée… trop drôle.

    • Leiloona

      A un moment donné, l’amour se transforme, oui … Le tout est de pouvoir accepter aussi cette raison qui l’emporte sur la passion …

  10. Kmill

    Que de belles histoires d’amour !
    J’aime beaucoup la tendresse qui se dégage de celle de Pauline, l’amour n’est pas toujours comme on l’espère. Mais une chose est sûre, à deux nous sommes moins seuls.
    Leiloona, j’aime beaucoup comme toujours !

    • Leiloona

      Merci K Mill : Des textes plus ou moins au vitriol, et d’autres très tendres. Des tons assez opposés cette semaine ! 😀

  11. Cardamone

    Très touchant Leiloona, très beau cette relation, ces tendres rituels, cette douceur malgré la terrible maladie.

    • Leiloona

      Je crois qu’à un moment donné, l’autre est un prolongement de soi …

  12. Cardamone

    @Jacou
    Joli poème. Que les paillettes envolées aient laissé place à une amitié, ça me plaît!

    @Pauline
    Très joli texte, très touchant cet amour qui demeure, profond et tendre.

    @Aline
    Très jolie cette clandestinité des vieux amants

  13. Philisine Cave

    @Leil, tu as écrit un très texte touchant comme peuvent le vivre les compagnons de personnes atteintes d’Alzheimer : merci beaucoup.

    • Leiloona

      Philisine : Je te remercie à ton tour de ton commentaire. Il me touche, pour des raisons bien personnelles.

  14. Leiloona

    @ Jacou : Ah c’est marrant, toi aussi tu as vu deux femmes ! 🙂

    Sinon j’aime beaucoup encore une fois tes vers, ils donnent un élan certain à tes écrits.

  15. Leiloona

    @ Pauline : Parfois, quand je vois certaines très vieilles personnes devenir des ombres de ce qu’elles étaient, je me dis que cette solution n’est pas en soi si terrible que ça.
    Un très joli texte, avec ce leitmotiv des pleurs retenus qui donne un certain rythme à l’ensemble.
    J’espère que tu as aimé participer à l’atelier ! A la semaine prochaine, peut-être ?

    • Pauline

      Ton texte est très touchant.
      Merci pour ton accueil, c’était le premier texte que j’essayais d’écrire mais je me rends compte qu’il faut que je continue à vous lire avant de me « jeter à l’eau » !!!
      De plus, je suis à « l’âge de pierre » n’ayant pas internet à la maison !!! Dès que j’en aurai l’occasion, j’essaierai de me joindre à vous.
      C’est un réel plaisir de lire vos textes d’autant plus que les photos sont choisies avec goût ! Merci à tous pour vos messages et vos encouragements.

      • Leiloona

        Oh tu sais, je me rends compte que plus on écrit, plus « cela » vient vite ou plus naturellement … Alors n’hésite pas à te jeter à l’eau ici …

        Bon, c’est vrai que sans le net, ce n’est guère évident.

        A très vite. 😉

  16. Leiloona

    @ Aline : C’est joliment et tendrement écrit. Je les imagine bien, ces deux tourtereaux, de nouveau comme s’ils avaient 15 ans ! 😀

    J’espère que tu as aimé participer ! On se retrouve lundi prochain ? 😉

  17. Mamido

    @ Leiloona: Un rituel si tendre et si respectueux que l’homme entretient plein d’espoir… Très émouvant!
    @ Jacou: Ah, elles ont bien raison les vieilles dames indignes de ne penser qu’à elle et d’entrtenir leur amitié. On est jamais si bien servi que par soi-même!
    @ Aline: Très émouvant. C’est important de savoir que les belles rencontres ça peut exister à tout âge.
    @ Pauline: Une autre réalité. Le droit à une mort digne et choisie, entourée de ceux qu’on aime. Hélas, très difficile à mener à bien.

  18. Morgane

    Texte très touchant Leiloona : J’ai absolument adoré !!!
    C’est vraiment un style qui me plait énormément ; Merci beaucoup.

Soumettre un commentaire