couloir

Je suis de celles qu’on ne remarque pas
De celles qui parcourent, blafardes, hagardes, fatiguées,
Ces couloirs sans fin, calvaire labyrinthique de nos jours et nos nuits.
Je suis de celles qui astiquent, traquent
La moindre trace, la plus microscopique
Des poussières
Je supprime, éradique,
Et je m’efface
Je suis l’Insignifiante,
La taiseuse.

Je suis de celles qu’on ne regarde pas
Mais je vous observe
Je vous invente des vies
A défaut de magnifier la mienne
Je suis la Taiseuse,
Mais je file, je tisse vos vies
Sur mes cahiers
Tous griffonnés.

© Leiloona, le 19 janvier 2013

 Crédits photo © Romaric Cazaux

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 Le texte de Morgane : 

RETOUR

 

Ils en sont au troisième et dernier jour de leurs vacances : La visite des châteaux de la Loire organisé par le club « Temps d’Or » de leur commune. Ça leur a bien plu ces hauts plafonds, ces innombrables fenêtres, ces dorures, cette traversée vers une ancienne époque.

Ils aiment leurs petits périples de quelques jours en car non loin de leur Morbihan d’origine. Du temps de la ferme en activité, jamais ils n’avaient pu se permettre ce genre d’escapade : « Être fermier, c’est l’être toute l’année ! » aimait répéter fièrement Marcel. Le temps de la retraite étant arrivé, ils s’offraient de temps à autres, quelques séjours comme celui-ci, moments de bien être leur permettant d’aller voir un peu plus loin des frontières de leur Bretagne natale.

Au détour d’un couloir, étant restés à la traîne par rapport au reste du groupe pour prendre des photos, Marcel agrippe Raymonde par la manche et lui chuchote tel un garnement qui prépare une nouvelle bêtise :

« Si on se perdait ? … »

Raymonde plonge son regard dans celui de Marcel et la voici replonger quelques décennies en arrière : Autour des yeux bleus, plus de ride ni de peau burinée par le vent d’ouest. Un beau jeune homme se tient devant elle ; autour d’eux des piles entières de bottes de foins. Ce regard espiègle est le même que celui qu’il affichait la première fois qu’il a ouvert son corsage, la première fois qu’il a osé caresser son corps de ses mains pas encore abimées par le travail de la terre. Alors tout lui revient d’un seul coup, comme un condensé de jeunesse amoureuse : leurs premiers fous rires, leurs balades à vélo, leurs baignades dans l’eau glacée de la rivière, leurs valses enivrantes lors des bals estivaux, sa robe de mariée, les anneaux dorés qui sont toujours autour de leurs doigts …

Raymonde revient en 2013 ; Son Marcel lui sourit et est suspendu à ses lèvres.

« Oui mon Marcou, perdons nous ! »

Marcel lui fait penser maintenant à un petit garçon recevant un bon point. Il lui saisit la main et l’entraîne vers le couloir de droite, l’opposé de celui emprunté par le guide et par leurs compagnons de route. Au bout de quelques enjambés, il se retourne et lui demande :

« Mais, dis moi ? Ça fait longtemps que tu ne m’avais pas appelé comme ça !? »

 

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 Le texte de Ludovic : 

La surprise est au bout du couloir!

Ce soir est un soir tellement important… Ma robe est prête, choisie avec soin, et cet après midi, au salon Clara a rafraîchi ma coupe de cheveux… Bien sûr, les filles se sont un peu moquées de moi, la coiffeuse amoureuse d’un riche héritier, mais dans le fond, je sais qu’elles m’envient.

 J’ai rencontré Rodrigue il y a un an, un peu par hasard, au détour d’une rue… Comme dans un film pour adolescente, il m’a percuté, a fait tombé ses cours, et les feuilles de ses notes se sont envolées… L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais lorsque nous nous sommes recroisés, sans collision cette fois, quelques jours plus tard, il m’a proposé un café… et le reste pourrait presque paraître naturel. Pourtant Rodrigue est né dans un autre monde que le mien. Il est étudiant dans une grande école de commerce, pour, à la sortie prendre les rennes de l’entreprise familiale, quand moi, je coupe des cheveux dans un salon parisien, pour un maigre salaire…

 18h30, on sonne à ma porte. C’est Rodrigue qui passe me prendre, pour que nous nous rendions au diner organisé par sa mère. Ce soir, je rencontre ses parents pour la première fois.

Le trajet dans Paris est l’occasion pour lui de me rappeler une fois de plus les règles à respecter dans cette société si différente de la mienne.  Je sais que c’est important pour lui, et ça l’est pour moi. Je l’aime et je veux être acceptée par cette famille.

 Nous entrons dans l’hôtel particulier de la famille de Rodrigue par un long couloir, les rideaux y sont majestueux, les lustres somptueux. Tout ici brille, et possède ce faste aseptisé des grandes maisons, de celle qui mettent mal à l’aise quand on n’y est pas née. Bien entendu, il n’est pas question de parler de mon emploi, de ma condition, de ma famille. Ce soir, il faudra mentir, jouer à la riche héritière, faire semblant, donner une bonne impression. Il est totalement exclu que le fils héritier épouse une coiffeuse…

 Nous sommes au bout du couloir, l’épais rideau s’ouvre, le majordome nous débarrasse de nos manteaux, et la mère de Rodrigue s’avance vers nous pour embrasser son fils, et que celui ci me présente.

C’est à ce moment précis que la panique me gagne… La mère de Rodrigue, n’est autre que Madame De Montarlier, une cliente très régulière du salon… Si régulière que sa dernière visite remonte à ce matin… Et alors je comprends pourquoi, tandis que je lavais ses cheveux, elle me parlait de cette soirée si importante  pour elle… Elle ne peut pas ne pas me reconnaître, c’est fichu… Mes jambes m’abandonnent, j’ai la gorge sèche, mon cœur s’emballe… C’en est fini de la belle illusion, de la tendre et si romantique histoire d’amour entre le prince et la coiffeuse…

 Madame me regarde, je n’entends même pas Rodrigue me présenter… je suis abasourdie, anticipant déjà les réactions de chacun, le drame familiale qui va se nouer…

 Madame me tend la main, comme me l’avait dit Rodrigue, puis elle me sourit… d’un sourire complice, comme ceux que s’échangent des gens qui partagent un secret… Elle me souhaite la bienvenue dans sa demeure, et me propose de passer au salon… Alors que Rodrigue s’éloigne déjà vers la lourde cheminée du salon, Madame me retient et me glisse à voix basse:

« -Votre robe est ravissante, Lucie! Bienvenue chez nous! »

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Et voici vos liens : 

Céline Viel : le retard

KMill :  Médaille d’honneur

Stéphanie : Ma lumière

Soène

Yosha : Le Secret

Gaëlle : D’un coup d’oeil

Emeralda

Lucie

Insatiable Charlotte : Rideau

 

22 Commentaires

  1. Soène

    Bonjour Leiloona,
    J’oublie toujours de mettre un titre à mon billet…

    Ta Taiseuse est un peu inquiétante. Il y en a, dans la vie, qui épient, se terrent et attendent…
    Bien observé et bien restitué, il faut se méfier des gens « normaux » !
    Bonne semaine & bisous d’O.

    • Leiloona

      Ah oui ? C’est vrai que vers la fin elle devient inquiétante, d’ailleurs, c’est « marrant » car j’avais écrit deux vers que j’ai enlevés par la suite, et là elle devenait presque une des Parques, même ! 😆

    • Leiloona

      Excuse-moi, Lucie, de mon retard. :/

  2. lucie

    @Ludovic : coup de coeur pour ton texte, j’aime la tension que tu as su y faire régner, cette rencontre de deux mondes possible…
    @Morgane : comme je l’aime ton couple qui retrouve sa malice et sa jeunesse !
    @Leil : une femme de l’ombre qui passe grâce à toi côté lumière !
    Bravo à tous les 3, j’ai pris grand plaisir à vous lire.

    • Leiloona

      Hi, hi, les lumières de Bric à Book ? 😛

  3. Morgane

    Très joli texte Leiloona – il y en a tout autour de nous des taiseuses que l’on ne regarde pas, que nous ignorons … Alors la prochaine fois, n’oublions pas de leur accorder notre attention avec un sourire …
    Merci Ludovic de nous tenir en haleine jusqu’au bout avec ta Lucie … Et au final, un happy end ! Chouette ! Les romantiques seront comblés !
    Les autres textes ce sera pour ce soir …
    Bonne semaine à tous !

    • Leiloona

      Merci Morgane ! Oui, des femmes de l’ombre. 😉

  4. Yosha

    @ Leiloona : c’est marrant, tu as eu une idée un peu similaire à celle de KMill, j’aime beaucoup en tout cas !
    @ Morgane : moi aussi j’ai trouvé ces deux-là très attachants, très beau texte !
    @ Ludovic : quel suspens, j’ai été captivée une fois de plus ! Moi aussi je suis contente que ça finisse bien !

    • Leiloona

      Oui, comme si la photo avait justement été prise par une « femme de l’ombre ». 🙂

    • Leiloona

      Emeralda : oui, désolée, j’ai un souci avec ma messagerie reliée à mon portable … Et en ce moment, je n’ai pas de net au boulot, donc il m’est difficile d’ajouter vos textes dans la journée. :/

  5. Céline

    Leiloona : Une taiseuse qui, à défaut de vivre sa vie, tisse celle des autres et vit par procuration en quelque sorte. C’est un triste et beau poème
    Morgane : un histoire pleine de tendresse que celle de ce couple
    Ludovic : Un bon retournement de situation qui heureusement fini bien

    • Leiloona

      Oui, c’est vrai qu’elle ne vit pas forcément sa vie … Bon, mais via l’écriture on peut aussi se créer un autre monde. 🙂

  6. Ben

    Jolie vision métaphorique – un peu inquiétante – de l’écrivain.
    Bravo Leiloona !

    • Leiloona

      Oui, je me suis arrêtée un peu avant, mais au départ, le texte se finissait de façon un peu plus inquiétante encore … Une sorte d’écrivain omnipotent …

      Merci. 😉

  7. Ludovic

    Merci pour vos sympathiques commentaires.
    De mon coté, j’ai aimé vous lire, particulièrement, lucie, avec cette liste des couloirs possibles. Je trouve l’idée charmante, et ton écriture pleine de rimes intérieures est très imagées.

    Leiloona, belle hommage aux travailleuses de l’ombre comme on dit pudiquement.

    KMill, j’ai trouvé la fin de carrière de cette femme plutôt touchante, à coté de ce mari qui s’en fiche, qui ne comprends pas la gravitude (sic) de l’instant!

    • Ludovic

      bel hommage, et non belle hommage…
      et imagée…
      et comprend…

      excusez moi, le temps de m’en rendre compte j’avais deja appuyé sur post comment…

      Je vais aller me coucher je crois…

    • Leiloona

      Merci Ludovic ! 🙂

  8. Leiloona

    @ Morgane : J’aime beaucoup la fraîcheur de ton texte, voilà qui met du baume au coeur ! 😀

  9. Leiloona

    @ Ludovic : j’aime bien le côté théâtral avec ce rideau qui s’ouvre, ce rôle qu’elle doit jouer, et puis la chute est savoureuse. On souffle avec Lucie ! 😉

  10. Jacou

    Bonjour Brikabookeuses et brikabookeurs
    A la lecture et relecture de tous ces textes, beaux, étonnants, vivants, interpellant, j’ai envie d’ajouter ce texte inspiré par la photo 66
    TROUS de MEMOIRE
    « Mais bon sang, c’est où ? Il m’a dit : « Tu prends le couloir de droite, puis la deuxième porte à droite (tu peux pas te tromper, il n’y en a pas à gauche). Tu passes devant mon bureau, tu tournes tout de suite à gauche. Là il y a ma secrétaire. Puis tu prends l’ascenseur en face de toi. Tu appuies sur niveau 0+.Tu arrives dans un couloir et tu tournes à g….et si c’était à droite qu’il fallait que j’aille ?. Je savais que j’allais pas me rappeler jusqu’au bout.
    Des gens là-bas. Je vais leur demander. Non, j’oserai jamais. J’ai pas envie d’être ridicule.
    Il est magnifique ce couloir ! Lumière naturelle. Ces tentures. Ce parquet qui brille. C’est beau, tout ça ! Si on m’avait dit un jour que je viendrais dans un tel endroit….
    Oui, mais, je vais où, moi dans tout ça. Je suis perdue et le temps presse.
    Il y a une porte là-bas. Après tout, je ne me suis peut-être pas trompée.
    Si je vérifie pas, je pourrai pas savoir. Bon c’est pas là.
    Tant pis, je me sers du vase. J’y tiens plus ; je vais me faire pipi dessus.
    Ouf ! ça fait du bien. Le vase ? Oh mince, c’est un Ming ! Oui, mais de quelle époque ? J’arrive pas à me rappeler. Moi et ma mémoire…

    Gazinet, le 25 janvier 2013
    Jacou

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