Sa peau, territoire vierge de conquêtes, était grimée de signes tribaux. Son bras à lui seul recelait des légendes toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Là un oiseau de feu en quête de pommes d’or, là quelques plumes arrachées par le fils du Tsar. Plus loin encore une épée tenait éloignés les ennemis avides de gloire et de sang.
J’aimais toucher son bras, le parcourir de mes doigts, il était une carte aux reliefs escarpés. Des trésors jaillissaient de toutes parts, j’imaginais que des lâches se tapissaient dans les moindres recoins et surgissaient dès mon inattention survenue.
Combien de batailles, combien de guerres, combien de légendes sur ce bras !
Le torse, imberbe, lui aussi, était maculé d’histoires. Quelques doux prénoms, trois en tout, s’y glissaient, protégés de signes sacrés et secrets.
De loin, le tatoué faisait peur. Une tête rasée, des bras décorés, des bijoux gothiques, il y avait de quoi.
Les gens s’attardaient sur lui, le dévisageaient mais aussitôt détournaient les yeux de peur d’être la cible de cet homme si particulier.
Pourtant, vous l’auriez vu le soir, au moment de nous raconter une histoire.
Les trois prénoms, en brochette le long du lit, attendaient, la bouche ouverte, les yeux pétillants, que leur papa terrible leur raconte une histoire, piochée au hasard sur le bras aux tatouages légendaires.
© Leiloona, le 27 octobre 2014
Le texte de Ghislain :
J’adore l’art. Je vis avec lui. Je le ressens dans chaque chose de la vie. Dans chaque geste, chaque son se cache un potentiel énorme.Tout peut-être une œuvre d’art, il suffit de savoir comment regarder. J’essaie d’en créer, moi aussi, mais ça ne me comble pas. Il me manque quelque chose. Je ne parviens pas à atteindre la perfection que je poursuis inlassablement mais qui reste hors de portée. Comment créer quelque chose que tout le monde considérera comme « grand » ? C’est bête à dire, mais j’envie les tableaux, les sculptures que tout le monde admire. J’aimerais être une œuvre d’art… Que les autres artistes m’admirent, me critiquent d’un œil professionnel, me mettant ainsi au niveau d’œuvre qui mérite d’être regardée et analysée. Comme j’aimerais devenir une œuvre d’art ! Mais comment ? Presque instinctivement, la réponse m’est venue. Si je tatouais mon corps de manière sublime et unique, cela deviendrait de l’art. Une œuvre. Une perfection. L’éternité. L’apothéose ! La sacralisation ! La magnificence dans toute sa pureté et sa simplicité ! Je crois que je deviens fou… Je perds la tête dans cette recherche constante de l’absolu. Mais c’est aussi cela, l’art. Aristote ne disait-il pas « Il n’y a pas de génie sans un grain de folie » ? Van Gogh, Maupassant ou Camille Claudel n’étaient-ils pas fous eux-aussi ! Oui, je suis en train de devenir fou ! Mais c’est la folie géniale, qui fera de moi un artiste reconnu. Je me suis tatoué le corps. Je pensais atteindre enfin le succès. Les tatouages que j’avais moi-même crée n’étaient-ils pas tout simplement magnifiques ? Ne me propulsaient-ils pas au niveau de la Joconde ou du Penseur ? Je croyais devenir une œuvre. Enfin ! Mais personne ne s’y est intéressé. Je n’étais qu’un tatoué parmi tant d’autres. Rien de nouveau. Rien de surprenant. Rien de beau ni d’intéressant. Maintenant, le désespoir a succédé à la folie. Un chagrin si grand m’habite, que je pense à conclure mon histoire. Et je pense écrire le point final de la même façon que Gérard de Nerval. Un simple endroit, avec une simple corde…
Le texte d’Anne-Véronique Herter :
Mon corps te parle, mais ne te dit plus rien. Mes gestes se forment mais ne t’expriment rien.
Je te suis, je te regarde… tu ne me vois pas ? Mais je suis là… Juste derrière toi… A deux pas…
Et cet homme, là, serré tout contre toi… Je voudrai le serrer, lui aussi…Fort de ma colère, avec mes poings.
Il te tient par le bras pour que tu ne t’envoles pas.
Mais il te manipule ! Ta liberté, il te la vole, tu ne le vois pas ?
Pourtant, moi, ta vie, je ne la tenais pas. Je te laissais voler, ma belle… Tu ne t’en souviens pas ?
Et Je le vois, là, tellement près de toi… En respirant ton odeur, par petite bouffée, c’est mon oxygène qu’il m’arrache…
Je suis derrière toi, et tu ne le sens pas. Je n’ai plus d’odeur. Je ne suis plus rien.
Il doit savoir que je ne suis pas loin : Votre cadence s’accélère. Son pas plus vif, vos enjambées plus grandes… Par l’élan de ses bras, tu voles pour m’échapper.
Mais cet élan ne vient pas de toi. Lui, te porte, mais toi tu ne veux pas. N’est-ce pas ? N’est-ce pas que ce n’est pas toi ?
Tu ne peux pas vouloir me quitter… nous déchirer…nous oublier… nous renoncer…
Tu ne peux pas. C’est lui tout ça, ce n’est pas toi.
Je me souviens de tes yeux dans les miens, de tes sourires et de tes rêves.
Je me souviens de ta peau, de ton odeur, de ton goût, je me souviens de tout.
Un trait dessus, ça ne se peut pas.
Alors, ne te retourne pas ma douce, ne te retourne pas.
Tu verrais dans mon regard que ton amour est derrière toi.
Pourtant JE NE SUIS PAS UN PREDATEUR !
Je voulais que l’instinct te pousse à m’aimer. Mais l’instant te pousse à me craindre.
Sans toi, je ne me comprends plus.
J’oublie pourquoi, j’oublie comment, je marche droit devant. Je marche droit vers toi.
Alors je me défie, je me crie, je me troue, je me marque.
Je grave sur mon corps, pour ne pas l’oublier, tout ce que, pour toi, j’étais.
Regarde-moi, ma douce, regarde la vie que je t’offre, elle est écrite sur mon corps, troué dans mon cœur, soudé à mon âme : la liberté, ses arabesques, un oiseau qui s’envole et les ailes d’un ange.
Ce sont tes ailes, mon ange. Tu ne les reconnais pas ? Regarde-moi…
Puisque tu n’entends plus mon cœur battre et te parler, s’il te plait, lis sur ma peau ce que mon amour peut te donner …
Et aujourd’hui en noir et blanc, si tu rejoins mon paradis bel oiseau, les couleurs de cette image, c’est ensemble que nous les imprimerons.
Le texte d’Emanuella :
Le texte d’Evy :
DOUCE DOULEUR…
A chaque fois c’est pareil : l’impatience de la douleur de l’aiguille ! J’ai hâte une fois de plus, une dernière fois, de ressentir les picotements de la machine… Je presse le pas et mon esprit vagabonde…
Le tout premier de mes tatouages était : « Elisa » ! Mon premier amour, signalé à grand coups d’aiguille à coudre et d’encre de chine piquée au cours de dessin, sur mon épaule gauche. Il était tellement moche que je l’ai fait recouvrir par un tribal ! Moi seul sait ce qu’il y a dessous et je le regarde toujours avec tendresse en pensant à Elisa. D’ailleurs, qu’est-elle devenue ?
Le second : la Polynésie ! Quel voyage ! Quels paysages ! Que j’ai aimé ces gens, ces couleurs, ces odeurs… Le paradis sur terre ! Il a été fait de façon traditionnelle, avec des pics de bambou trempés dans l’encre. Celui qui m’aura fait le plus souffrir mais un des plus beaux aussi !
Ces ailes, je les ai faites quand j’ai rencontré la femme de ma vie. Elle m’a libéré de tant de choses ! Tout est devenu simple, les ennuis aussi légers que les plumes des ailes des anges, justement… C’est elle mon, ange.
Celui-ci, notre mariage. Toutes ces années de bonheur passées à ses côtés, toutes ces épreuves que nous avons traversées la tête haute et main dans la main…
Et puis, le soleil de ma vie : la naissance de notre fils ! Jamais je n’avais été aussi fier d’aller chez mon tatoueur pour lui faire inscrire « JONATHAN » en lettres arabes. Je me souviens que Paco avait sorti d’on ne sait où, une bouteille d’Absinthe « pour fêter ça », bouteille que nous avions bue pendant qu’il oeuvrait sur ma peau ! Bien étonnant d’ailleurs qu’il ne l’ait pas raté, ce tatouage, car nous avions fini fin saouls tous les deux !
Ah, j’y suis presque… Je vois l’enseigne du magasin. Ce tatouage sera le dernier. Plus rien n’a d’importance aujourd’hui, en tous cas plus au point de le tatouer sur ma peau.
Ce dernier tatouage, ça sera une étoile filante, là, sur mon cœur. On dirait que la place lui était réservée… Une étoile filante avec dans son sillage, comme des paillettes minuscules et brillantes, ces toutes petites lettres : J.O.N.A.T.H.A.N. Une étoile filante vers le ciel, comme le passage éclair de notre fils sur cette terre : 5 courtes années…
Cette douce douleur me le rappellera à jamais…
Le texte d’OW :
D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours aimé ce moment fugace de la journée, plus vraiment jour mais pas encore nuit, ce fragile entre-deux où les trottoirs sont éclaboussés des seules lueurs des néons et des vitrines des magasins, quand les perles des premiers phares commencent à se dérouler sur la chaussée en un interminable sautoir de voitures.
En l’espace d’un instant, la ville Mondrian devient Rothko. C’est comme si un voile venait se poser sur le monde pour mater sa fureur : la lumière se fait tamisée, les arêtes des bâtiments s’estompent, les couleurs criardes des affiches publicitaires se fondent en une abstraction vaporeuse. Étouffée, l’incessante cacophonie urbaine devient supportable ; agréable, presque. Jusqu’à l’air lui-même, qui semble plus léger, plus doux à respirer.
À l’heure bleue, le jour rentre ses griffes pour préfigurer la caresse de la nuit. La vie apparaît plus sereine, pleine de promesses. Il flotte dans l’atmosphère une insaisissable volupté. C’est l’instant béni des amoureux, à l’image de ces deux-là, qui passent près de lui, concentrés sur leur bonheur, oublieux du monde qui les entoure.
Comme eux, il aimait déambuler dans la ville avec Sasha, avant de retrouver l’exiguïté rassurante de leur chambre de bonne. Mais Sasha n’est plus là et l’heure bleue a perdu sa magie. Elle ne fait plus que raviver la douleur de l’absence et du manque. Alors il reste planté-là sur le trottoir, les poings serrés, misérable et impuissant, à regarder s’éloigner le couple d’amoureux.
Et voici vos liens :
Adrienne : W comme William
Fred Mili : Le Tatoué
Païkanne : Méandres
Olivia Billington : Signaux contraires
Cécile MdL : Je suis ce que je suis
Sabine : A un passant
Fanny : No way
Pierre : Irezumi
Tribulations d’une lectrice : Vue de l’intérieur
Vue de mes lunettes : Retour de flammes
Sarah : Homme sweet homme
J’aime beaucoup la manière dont tu as exploité les tatouages, excellente idée !
Meri Titine ! 😀
Leil, c’est très très beau! J’ai beaucoup d’émotions à lire ton texte.
J’aime la poésie de cette peau !
J’ai aimé aussi ce que les participants ont fait de cette peau … un homme aux mille histoires, ou presque ! 😉 Une belle mise en abyme pour cette peau qui raconte elle aussi une histoire.
Oh, merci ! <3
Anne-Véronique, le désespoir tatoué de ton personnage me parle beaucoup. J’aime cette petite phrase lancinante qui rythme le tout.
Merci Sabariscon ! La perte de son amour lui fait presque aussi peur que de l’oublier… alors il l’écrit sur son corps comme il est gravé dans son coeur…
et voici mon texte 😉
merci de ton atelier d’écriture 🙂
Myrtille
http://lagazettedecitronbleu.eklablog.com/accueil-c18260698
De rien. Texte ajouté. Théiste pas à commenter. 🙂
Encore de beaux textes !! Beaucoup d’émotions différentes.
Merci encore pour cette photo.
Vivement le prochain atelier 😀
Oui, de nombreux points de vue différents. 🙂
Un papa qui fait fondre 🙂
Oui. <3
très joli, Leiloona, touchant et plein de douceur!
(oui, il m’émeut)
Je te remercie aussi ! 😀
Un papa fondant alors ! 😉
@Ghislain : Je crois que si tu ne l’as pas encore lu, il faut à tout prix que tu lises Somoza … « Clara ou la prénombre ». Il y a de fortes chances que ce roman te plaise !
😉
D’accord, je me renseignerai… merci 🙂
@ Anne-Véronique Herter, c’est assez rigolo car il dit de belles choses, mais ses phrases hacées menues menues, là, brrrrr il me fait peur lui, à froce de dire que ce n’est pas un prédateur. 😉
Ne lui dis pas mais il me fait peur aussi…. la perte de son amour le rapproche de la folie… un désespoir hors de la raison
Ton texte est vraiment beau ! Plein de poesie et de tendresse face aux préjugés… j’adore !
Merci Anne-Véronique !
Oui, hein, il fait peur n’est-ce pas ? Jusque dans son style haché.
Bonjour 🙂
Super texte, comme toujours ! Voici le miens :
http://mynameisor.blogspot.fr/2014/10/une-photo-quelques-mots-139.html
Bonne journée. Bises.
Je l’ajoute. N’hésite pas à commenter plus en détail. 🙂 Je crois que chacun aime savoir ce qu’on pense de son texte. 😉
@Emmanuella : joli allégorie de l’encre sur le bras ! 😀
@ Evy : la chute est juste terrible …
Merci !! Je n’ose pas encore faire mes commentaires sur les textes : je n’en ai aucun sur le mien donc je ne sais pas comment aborder cet « exercice »…
Leiloona : j’adore ta façon de démonter le cliché du tatoué !
Le texte de Ghislain exploite bien le thème de la relation art / folie celui d’Anne-Véronique la folie de l’amour.
et un 😉 à Emanuella et à Evy, vous avez intérêt de revenir sur cet atelier sinon…
Ah ah, tu veux dire que je suis une femme castratrice ? 😛
Merci pour les encouragements ! De beaux textes en tous cas !
@ OW : j’aime beaucoup votre texte emprunt d’une belle sensualité … on ressent bien la ville face à nous.
La fin de ton texte est trop choupi, Leiloona. 🙂
Je suis dans une période choupi, je crois. 😉
@Ghislain : ouh… tendu ce désespoir… très bien écrit. sincère et noir…
@Evy tendre et léger au debut la chute terrible, un frisson m’a parcourue…
Merci beaucoup ! Mon premier essai d’atelier d’écrirure ! Ton texte est magnifique : prenant, limite angoissant dans le bon sens ! Bravo !
Merci à toi ! En tous les cas ta 1ère participation me semble très concluante et il faut revenir la semaine prochaine 🙂
Je compte bien revenir la semaine prochaine ! :))
merci 🙂 c’est vrai que ce texte est très sombre… je me suis bien amusé à décrire la folie qui prend le narrateur et qui le submerge totalement.
@Stephie moi j’ai aimé ton texte son combat et ton dernier paragraphe est très fort. Je ne ressens pas ce que tu lui reproches à ce texte mais je ne te connais sûrement pas assez…. j’ai entendu ton cri et je l’ai reçu très bien reçu même 🙂 bravo….
Le désespoir chez Ghislain, comme chez Anne-Valérie : poignant.
Un point de vue original pour Emanuella.
Oh, Evy, cette chute qui me glace. 🙁
OW la tristesse de l’amour perdu…
Merci ! La poésie de ton texte m’a touchée !
Je suis amoureuse de son bras 🙂
Très belle, touchante, douce ton histoire… j’en suis toute émue, merci 😀
@Leiloona : Une jolie surprise à la fin, sympa le texte.
Oui, pas du tout dans la même veine que toi … peut-être trop gentillet à tes yeux ? 😉
Non pourquoi ? 😉
Je lis des choses bien moins sombres que ce que j’écris heureusement. ;P
Encore de très beaux textes;
Leil : on est dans la même période choupi, alors… Et excuse moi, j’ai totalement zappé de te donner mon lien.
Ghislain : éternel rapport à l’art, la fin me glace.
Anne Véronique : très touchant, j’aime le rythme de tes phrases, ce côté lancinant, qui fait froid dans le dos.
Emmanuelle : j’aime l’originalité de ton texte, et la belle métaphore de l’encre.
Evy : quelle chute… terrible. Mais très belle et bien amenée.
OW : c’est assez bien vu de ne pas s’être centré sur les tatouages. Tu décris très bien la ville, bravo.
Merci Sarah j’ai essayé de traduire une obsession… d’où le rythme, la répétition 🙂
Il ne faut pas r’excuser, miss … ne t’inquiète pas, je suis en vacanes donc je peux fureter un peu partout … je sais surtout que si le lien n’est pas mis assez tôt, alors les gens ne pensent pas à regarder le lendemain, donc tu as moins de lecteurs / commentateurs. C’est dommage, car on veut aussi que notre texte soit lu … 🙂
Je n’ai pas eu le temps hier d’aller lire ton texte, je vais aller le regarder avec mon café.
Merci de ton commentaire ! 🙂
Merci Sarah ! J’aime assez surprendre !! :))
Leil, j’aime beaucoup la manière dont tu nous parles du tatouage:)
Ghislain, chouette rapport à l’art 🙂
Anne Véronique, Emmanuella, Evy et Ow, j’aime beaucoup vos textes également 🙂
Merci à toi ! 😀
Mille mercis !!! 😀
Merci ! 🙂
Ton texte est touchant Leiloona !
Merci, Fanny ! <3
Wah, que de beaux textes oscillant entre émotion, peur, espoir …
Merci encore et toujours de nous laisser écrire notre imagination
bonjour !
depuis que je participe jamais vous n’avez mis mon url d’article sur votre site-
j’ai déposé pour le tatoué ! même silence-
suis-je indésirable- ? autant me le dire franchement-
je ne sais pas ce que je vous ai fait ,
m’ignorer à ce point est vraiment dur à supporter-
Ah non, désolée, je ne comprends pas … entre les différents liens en spam et le reste. Désolée.
Tout le monde est bienvenu au contraire.