Le dépaysement était total, j’avais l’impression de vivre une seconde vie. La sensation avait commencé dès l’atterrissage. Dès ma sortie de l’aéroport, la moiteur avait collé mes vêtements, comme une chape de plomb sur mes épaules. L’impression, fausse, de ne plus pouvoir respirer. J’avais alors pris de petites bouffées d’air pour éviter une angoisse grandissante. Étonné aussi par les couleurs et les odeurs environnantes j’avais bien fait de choisir ce pays.
Partir pour me retrouver. La sagesse bouddhiste n’était-elle pas connue dans le monde entier ?
La route avait été longue, la région de Banteay Chhmar était très reculée. Mais cela avait permis de m’accoutumer à ce pays si étonnant. J’étais arrivé la veille, dans cette région de tourisme solidaire. Nous logions chez l’habitant, les villageois eux-mêmes nous guidaient, contre rétribution. Nul besoin de construire des complexes hôteliers. La richesse était là, chez les gens. Découvrir le monde et aider la population locale. Je les aidais et ils m’aidaient aussi en retour.
Partir pour me trouver. Moi, le taiseux, celui qui arrange tout le monde, j’avais besoin, à 30 ans, de savoir enfin qui j’étais.
Ce matin, je visitais les temples. La chaleur m’écrasait toujours, aussi ai-je voulu me reposer un peu. Je commençais à peine à m’adapter à ce pays, je me demandais si j’avais bien fait de partir. La solution à mon déracinement était-elle l’ailleurs ?
Je me posais toutes ces questions, quand cet enfant a surgi. Tache orange, boule d’énergie, il semblait flotter dans les airs. Bonze, il était devenu bonze la veille et il exprimait sa joie, dans cette danse silencieuse. Une osmose avec l’air et la nature. Il n’avait pas 15 ans mais savait déjà où il allait, sûr de lui et de ses choix.
Je regardai alors mes mains. Rentrer et retourner dans ce bureau sombre et sans fenêtres de la Défense ou bien rester ici, le visage baigné de lumière à aider autrui ?
Mon coeur balançait. Moi le sans racines pouvais-je encore m’imposer un déracinement ? Je levai alors les yeux vers le jeune homme, il me tendit les mains, je lui rendis son sourire.
Ma voie était là, mon chemin s’ouvrait devant moi et il avait la couleur du soleil.
© Leiloona, le 17 mai 2015
Adèle :
Je pousserai fermement la porte vitrée d’un salon de coiffure anonyme et, sûre de moi, je tendrai à une jeune femme étonnée ce morceau d’une cotonnade épaisse, grand comme la main d’un enfant, ce tissu rapporté d’un été de toutes les audaces, celui où j’étais partie, seule, dans ce pays de mes ancêtres.
Je présenterai à la coiffeuse ce carré d’étoffe que j’avais eu l’insolence de découper, en échange de quelques billets aux couleurs fanées, dans le bas de la robe de cet adolescent-moine.
Franchissant quelques colonnes de pierre, il avait bondi dans le petit matin, jaillissant de l’obscurité du temple à la lumière éblouissante de la cour pavée, fixé malgré lui, malgré moi, par l’objectif de mon appareil photo.
Surpris, il s’était arrêté là. Son regard était bienveillant ; son franc sourire et la pression de ses doigts sur mon poignet m’avaient donné en quelques instants d’échange muet plus d’assurance que les années d’amour étouffant de ma mère.
– Faîtes-moi les cheveux de cette couleur-là, s’il vous plait. Oui, orange safran, c’est ce que je veux.
Le texte d’Hermione :
LES DANGERS AU NÉPAL
Je ne l’avais pas vu venir, celui-là. J’étais parti chercher de l’eau potable pour mes parents. Vous comprenez, il y a quelques jours, il y a eu un tremblement de terre ici, au Népal, et mes parents sont blessés. Alors je dois m’occuper d’eux.
Et donc, pendant que je faisais la queue pour prendre de l’eau, un homme m’a traîné par le bras et m’a demandé :
— Où est l’argent que t’avais promis à mon ami. Hein ? Réponds !
J’ai crié :
— Je ne lui ai rien promis du tout ! Fichez-moi la paix, vous et vos copains !!!
L’homme m’a giflé et j’ai détalé. Je l’entendais qui me poursuivait, alors j’ai tourné à gauche, et je me suis faufilé dans un temple en ruines. C’est dangereux, mais je n’avais pas envie que cet homme me frappe encore, avec sa bande. J’ai sauté par-dessus un rocher, à la sortie du temple.
Enfin, je me suis retourné. Personne. J’ai écouté si l’inconnu me poursuivait mais tout était silencieux. Une dame est arrivée et m’a dit :
— Que fais-tu ici, petit garçon ! C’est dangereux, les bâtiments en ruines ! Déjà que les gens ont peur qu’il y ait des épidémies…
— J’ai treize ans, j’ai murmuré en rentrant chez moi.
Depuis le tremblement de terre, on court tous de grands dangers.
Voici les liens vers vos textes :
Adrienne : P comme petit bonze
Albertine : Instants orange
Za : Mes petites bêtises
Anne-Véronique Herter : Il s’appelait Saru
Patacaisse : Que fais-je ?
Antigone : Une belle histoire
Sarah : Je voudrais voler
Sabine : Saong
Estelle Calim : La terre mère
Victor : Une sacrée enfance
Leiloona, le titre est une sacré enfance ! Excuse moi j’ai du mal l’orthographié….
Titre modifié …
Bonjour à tous , voici mon lien actualisé : http://albertine22.canalblog.com/archives/2015/05/18/31943688.html
Leiloona et Adèle, vos textes se terminent par la couleur et un changement qu’on imagine positif dans la vie des personnages. De l’optimisme de bon matin, ça fait du bien !
Lien actualisé.
Oui, ce qui domine est cette couleur orange : comment passer à côté ?
Ton texte Leiloona me donne envie de faire comme ton personnage et de quitter mon quotidien pour de nouveaux horizons et tenter une autre vie.
Adèle, ton personnage ne passera pas inaperçu ! C’est une belle affirmation de soi !
Ah oui ? C’est enivrant, en effet, mais est-ce que ce changement nous fait aussi changer nous ?
Bonjour, les deux textes sont super, ça serait bien de tout pouvoir aller y faire un tour pour se découvrir…
http://mynameisor.blogspot.fr/2015/05/une-photo-quelques-mots-176.html
Texte ajouté.
Y aller tous ? Mais à ce moment là serait-ce vraiment dépaysant ?
voici le mien 😉
http://lagazettedecitronbleu.eklablog.com/accueil-c18260698
Ajouté.
J’aimerai m’affirmer comme ton personnage Adèle 😉
Leiloona, nos personnages réfléchissent beaucoup !
Je crois qu’à un moment, cela est salutaire, non, de réfléchir, de lever la tête du guidon ?
A qui le dit tu !!! Si, je ne suis pas en train de lever la tête du guidon en ce moment, je ne sais pas ce que je fais 😉
je me retrouve beaucoup dans ton personnage Leil.. je n’ai qu’une envie, trouver une solution pour y vivre, me déraciner encore une fois….
Adèle, sacré personnage aussi.
Je crois en effet que quelque chose se trouve en nous, non ? Peut-on cesser d’être un déraciné ?
Je ne sais pas si on peut mais je ne pense pas en avoir envie …
Merci pour vos commentaires sympathiques.
Leiloona : j’aime ton texte plein d’espoir. Décidément, beaucoup de renouveau dans nos inspirations… 😉
Adèle : pas facile à porter cette couleur… mais sans doute du bonheur en perspective !! 😉
La photo impulsait le renouveau, non ? 😉
Adèle : hommage, audace, folie, volonté de se faire remarquer ? On ne connaît pas assez le personnage pour en juger.
Leiloona : le besoin d’ailleurs devient de plus en plus nécessaire pour faire face au monde dans lequel on vit. C’est à chacun de trouver son ailleurs.
Oui, en effet, parfois l’ailleurs n’est pas loin, les racines sont accessibles, le tout est de vouloir les planter. 🙂
@Leiloona : ton texte m’a fait voyager cette semaine vers la sagesse bouddhiste, vraiment apaisant en ce moment, merci 😉
@Adèle : curieuse de voir le résultat du travail du coiffeur sur ton héroïne 😉
@Hermione : un texte hélas d’actualité. L’idée avait frôlé mon esprit mais l’inspiration d’aller plus loin me manqua.
Merci Nady. J’espère te retrouver la semaine prochaine ! 🙂
oui j’en serai 😉
@Leiloona : La recherche de soi, une quête perpétuelle … J’aime beaucoup la notion d’espoir de ton texte 🙂
@Adèle : j’aime beaucoup ton interprétation et que ton personnage prenne « enfin » son envol 🙂
@Hermione : un texte fort … Comme toute catastrophe, ce tremblement de terre nous rappelle que le danger est partout, en effet …
Leiloona, merci pour ce beau texte, note d’espoir et de lumière !
j’aime bien les deux textes, si différents (c’est ce qui est bien dans cet atelier :-)) et qui pourtant se touchent, changer de lieu, de tête, de vie…
Vous savez ce qu’en pense Meursault, « on ne change jamais de vie » 😉
Il y a vraiment de beaux textes. Je n’ai pas pu participer cette fois mais j’espère que je me rattraperais avec la prochaine photo !
Je viens de la publier ! 🙂