Quel goujat ! Me poser un lapin, là, au milieu des tables mal vernies, entre le pot de moutarde mal rebouché et le bouquet cucul monotige d’oeillets à sa mémère ! Il m’avait suppliée pourtant hier soir, le regard amoureux, la bouche butineuse, et les doigts poiscaille poisson frit de m’accorder quelques minutes, une trentaine tout au plus, dans ce bar Fish & Chips de la banlieue londonienne …
A 11 heures, on éviterait la foule, avait-il dit. Mes fesses, oui, il préférait comme toujours éviter de tomber par inadvertance sur une de ses connaissances. Moi, la femme de l’ombre, la grande absente des cérémonies funéraires ou anniversaires, j’avais opiné du chef, comme d’habitude. Les doigts rongés de culpabilité et de remords, mais qu’y pouvais-je réellement ?
Encore une fois, j’y avais cru. Au moins dans mes rêves les plus fous. Y pouvais-je quelque chose, si l’autre était mal embouché : il était inutile d’espérer un quelconque changement. L’évidence n’en est pas une pour tout le monde.
Mais bon, avec mes doigts rongés façon castor je m’étais préparée. Comme d’habitude, du mascara noir et du rimmel pour les yeux de biche, de la poudre bronzante pour camoufler mes insomnies régulières, du rouge, mais pas trop. Du naturel apprêté. Une jolie robe, des froufrous, des talons hauts.
J’étais sortie digne. Quelques passant m’avaient sifflée, me donnant de l’assurance. Peut-être que ?
La tête haute, le regard aguicheur, il ne pourrait pas cette fois-ci ne pas voir la femme que j’étais.
Et puis, puis j’étais arrivée dans ce bar de seconde zone, des piliers matutinaux m’avaient reluquée aussi, mais j’avais fait ma moue boudeuse à la Bardot et m’étais assise.
Une pinte, une deuxième. Une troisième ? Même le serveur faisait une moue désappointée.
La bière me filait une drôle d’amertume, à moins que ce ne fût le contraire. L’amertume s’était transmuée en dégoût au fil des secondes qui tambourinaient mon coeur d’infinies cicatrices.
Et une seconde, et deux secondes, puis trois secondes … à la millième, mon coeur avait rompu les amarres.
Tu n’étais pas venu, tu inventerais un nouveau son de cloche qui ne tinterait plus dans mes oreilles. Ta sérénade et ta bouche papillon ne voletteraient plus autour de la fleur amourachée que j’étais.
Je sortirai la tête haute et laisserai sur ma table, en guise d’épitaphe de notre amour: « Never love anyone who treats you like you’re ordinary ». O.W
© Leiloona, le 20 juillet 2015
Le texte de Nady :
Question pour des champion(ne)s
Je suis un espace de rencontres possibles,
Mais aussi un lieu où on aime se retrouver en solitaire.
De là, je permets de longues discussions de groupes d’amis ou d’inconnus,
Ou je peux être la place privilégiée de scènes d’improvisation théâtrale de la vie aux alentours.
Des couples refont parfois le monde autour de moi avec des yeux pleins d’espoir et d’amour sur l’avenir.
D’autres me choisissent pour arrêter leur histoire, en se remémorant au-dessus de moi le chemin plus ou moins long parcouru avec des hauts et de trop nombreux bas.
C’est souvent la fête autour de moi : on y célèbre des anniversaires, on félicite tantôt des promotions, d’autres fois l’arrivée de bébé.
J’y vois aussi des larmes parfois à travers des récits douloureux de pertes d’êtres chers.
Je vois passer beaucoup de monde chaque jour. Les pics ses situent très tôt le matin ou après la journée active. Les heures de tables connaissent aussi une affluence de « visiteurs », puis pêle-mêle en journée, on y croise quelques mamans ayant déposé leurs chérubins à la crèche et qui ont besoin de souffler entre copines avant la reprise de leurs activités sportives ou ménagères.
On fait aussi des affaires autour de moi : on marchande, on négocie, on se vend, on conclut et on se connecte aussi.
Alors ? vous n’avez toujours pas trouvé ?? Je vous entends murmurer le nom de notre réseau social préféré pour la plupart… Vous êtes encore loin de la réalité…
Je ressemble à un mur Facebook sur lequel la plupart des échanges ci-dessus pourraient se faire, mais ce qui me différencie de ce monde virtuel, est qu’avec moi, on y croise la vie, la vraie, celle où on respire, on tousse, on crie, on murmure, on pleure de joie ou de tristesse, on touche, on voit l’autre en face avec ses émotions, ses mensonges dans le regard ou son bonheur à travers ses yeux qui brillent… et… on finit souvent par lever un verre au-dessus de ma matière de bois ou d’aluminium, à des lendemains toujours meilleurs et emplis de contacts humains.
Je suis la table du bistrot.
Texte de Mark Chapman :
L’EFFET GREENWICH-KETCHUP
Il y a des jours, où l’on en a assez de tout. De soi-même et des autres, on a le gout à rien. Bref ! On déprime, parce qu’on ne se sent pas à sa place, parce que ce qui aurait dû être une belle escapade à New-York, devient le temps d’une dispute; une sorte d’exil solitaire. Malgré l’effervescence environnante, on se sent isolé, comme entouré d’un voile invisible mais si épais. Dans cet état, il devient impossible de communier avec l’énergie dégagé par grosse pomme. En ce beau début d’été, on ne profite plus et les instants de bonheur que l’on croit repérer chez les autres deviennent à la longue insupportables.
Alors faute de mieux, on déambule dans la ville, les poings dans ses poches tantôt tenaillé par ce qui a provoqué tout cela tantôt en train de se retenir de pleurer. Malgré, toutes ces simagrées de l’esprit, le corps finit par se rappeler à notre bon souvenir. Lui n’a pas oublié que c’est l’été (et à sur la Côte Est de l’Amérique du Nord, il peut faire sacrément chaud !), que la soif, tout comme les crampes guettent, en plus le bas du dos commence à être douloureux. Bref, le temps de la pause s’impose !
Ce retour à la réalité est salutaire ! La première chose à faire : repérer le quartier où l’on a échoué. D’après le plan, il s’agit de Greenwich Village, le quartier mi chic mi bohème de la ville. En tant normal ça aurait pu être plaisant, mais là, ce n’est pas l’humeur du moment. Pourtant, il faut se poser, sinon ce sera le crash ! Il ne faut pas se tromper d’endroit ! Les impératifs sont fraîcheur et tranquillité.
Dans ce quartier, le pari est loin d’être gagné. Mais en marchant encore un peu, on aperçoit un petit bar-restaurant qui ne paie pas de mine, le décor paraît plutôt sobre, limite spartiate, l’absence de rembourrage au niveau des siège est habituellement rédhibitoire, cependant nécessité fait lois et puis il fait frais ici.
Une fois assis, la serveuse, toute souriante (là bas c’est une condition impérative pour obtenir un bon pourboire) vient prendre la commande. Une fois servi, l’esprit se remet à vagabonder, mais cette fois les pensées sont moins sombres, au contraire, l’attention se porte sur le décor, comme si ce dernier était d’un coup doué de vertus apaisantes. Qu’est-ce qui provoque cela ? Cela vient-il du rangement faussement linéaire de ces tables toutes simples ? Ou bien de l’alignement harmonieux de ces ilots de couleurs, issus du couple improbable bouquet de fleurs et ketchup ?
Ce modeste établissement serait-il tenu par un puissant géomancien ? La jeune serveuse répond en riant par la négative, en s’empressant d’ajouter qu’une partie de ce parfait ordonnancement est son idée, en particulier l’assemblage de couleur entre les fleurs et le rouge des bouteilles de ketchup, car après tout, il n’y a pas de raison que ce produit demeure uniquement un cosmétique pour frites et hamburgers. Elle ajoute que cela s’inscrit dans un défi que ce sont lancés l’ensemble des employés du bar : chercher à mettre un peu d’art dans la vie quotidienne de l’établissement.
Pari réussi, my dear ! Le voile épais de l’isolement est enfin déchiré, le temps de la réconciliation et de l’apaisement est venu, mais avant de se remettre en selle, ce serait bien de partager ce moment avec l’autre que l’on a laissé dans un accès de colère et de dépit. Après tout si l’effet Greenwich-ketchup a marché pour un, ça peut aussi marcher pour deux, enfin peut-être ?
Les différents liens vers les textes écrits à partir de la même photo :
Quel texte ! Ce fut un grand plaisir de te lire. Et je reconnais la citation que tu avais déjà proposée il y a quelques jours sur facebook. Elle est tellement vraie …
Oui, la citation m’a vraiment interpellée et elle fait son petit bonhomme de chemin dans ma tête …
Merci pour ton commentaire, j’ai pris plaisir à l’écrire, même s’il sort du ton habituel employé, mais cela s’est fait naturellement.
bien dit, Leiloona (et Oscar ;-))
j’avais pensé aussi à un rendez-vous raté, mais j’ai changé d’avis… c’est ce qui est bien dans cet atelier, on fait des choses très différentes, même si parfois il y a des recoupes
Merci à toi et bonne semaine à tous!
Et moi au départ je ne partais pas du tout sur un RDV raté, comme quoi ! 🙂
Merci à vous de faire vivre l’atelier aussi !
Bonjour à tous, voici mon lien actualisé :http://albertine22.canalblog.com/archives/2015/07/20/32378268.html
@Leiloona : Un régal ! Cette femme qui retrouve sa dignité me plaît énormément. Le style, entrelacs de trivialité et de poésie, est une réussite.
@Nady : Ton texte interpelle en moi la fan des cafés en terrasse ! Les « bistrots » sont aussi de merveilleux lieux d’observation , on y engrange de quoi nourrir des textes à venir.
Merci Albertine, pas forcément mon ton habituel, mais ça m’a plu de jouer avec, alors merci ! 🙂
j’adore aussi m’y poser pour regarder le monde vibrer autour 😉
Qui c’est qui avait oublié de programmer son article… ? 😀 Cette image m’a inspirée et m’a aidée à reprendre l’écriture d’un texte qui me tient à cœur, merci !
Voici le lien de ma participation, un peu en retard (j’en suis navrée !) : https://gnossiennes.wordpress.com/2015/07/20/atelier-decriture-une-photo-quelques-mots-derniere-minute/
Ah ah et pour tout te dire, moi je l’avais programmé pour demain …
Merci d’avoir ajouté mon lien malgré le retard !
Quant à ton texte, je l’ai beaucoup aimé. Je n’ai pu m’empêcher de songer à un personnage de Brautigan dans Un privé à Babylone. Une femme très élégante, qui a une descente incroyable, et le narrateur n’arrête pas de la regarder en se demandant comment une si belle femme peut descendre autant de bière 😀
Quant à Nady, j’ai trouvé son texte très inspirant, en fait. Ca donne envie d’écrire pleeein de scènes autour d’une table de bistro. Voire d’aller écrire/manger/boire là-bas, tiens. 🙂
Ah oui, marrant, tiens … comme si une femme élégante ne pouvait pas avoir une descente d’ivrogne. 😉
Merci à toi de ton commentaire, je regarderai pour le bouquin évoqué, je ne le connais pas. 🙂
j’y écris souvent dans ce type de lieu dès que je vois la photo postée de Leiloona, l’inspiration y est plus intense 😉
Ton texte est juste superbe Leiloona et décrit parfaitement bien le moment où l’on dit stop à une histoire qui ne nous convient plus. Un vrai régal de te lire dans cet autre style que tu maîtrise parfaitement et en plus j’ai rajouté d’autres mots à mon vocabulaire ! une semaine d’anniversaire qui démarre super bien ! 😉
Oh merci Nady, oui, c’est exactement ça que je voulais mettre en avant. Merci encore pour ton regard plein de lucidité sur mon texte.
Encore une phrase judicieuse de notre cher Oscar ! Elle a bien raison de s’y référer, il n’y a pas d’amour chez cet homme et elle mérite mieux que ça ! La prochaine bière sera celle qui célébrera sa libération ! Merci Leiloona pour ce joli texte emprunt de féminisme et de détermination.
Merci Titine, oui, j’y crois en cette femme qui se réveille, ne serait-ce que par son vocabulaire qui montre déjà un certain lâcher prise.
Coucou Leiloona, le lien que vous avez inséré pour moi ne fonctionne pas donc je vous le redonne. https://nosamislesmots.wordpress.com/2015/07/20/une-photo-quelques-mots/
Je l’ai changé ce matin.
OK, merci beaucoup! 😉
étonnant ce bistrot nous fait penser à des RDV manqués-
moi idem mais avec une vieille dame !
j’aime beaucoup ta participation !! bonne semaine- amicalement
Oui, c’est vrai, peut-être est-ce ce lieu désert qui nous a fait penser à des RDV manqués ?
Ah j’ai aimé les textes !
Leiloona le tien m’a fait beaucoup rire avec la femme qui nous ressort son « plus beau vocabulaire » pour accentuer son énervement 😉 !
Ah oui, c’est vrai que là le ton était différent de ce que je peux écrire normalement … 🙂
Bonsoir,
Avec un peu de retard, voici le lien de mon texte
http://un-souffle-sous-la-plume.over-blog.com/2015/07/atelier-d-ecriture-4.html
Lien ajouté !
@Leiloona: Parfois, certains, certaines, déploient beaucoup d’efforts pour s’assurer de ne pas être aimés et c’est parfois en choisissant délibérément ceux qui vont les rejeter.
@Nady: Qui sait, peut-être un jour découvrira-t-on que les souvenirs incrustés dans les objets inanimés peuvent être relus, revus et qu’au fond, ce sont eux les vrais historiens.
Je suis entièrement d’accord avec toi, mais bon, cela nous ne le contrôlons malheureusement pas … 🙂
@Leiloona : je suis malheureusement persuadée que dès le lendemain, elle y retournera. Il y a des femmes qui aiment être maltraitées, pour des raisons multiples qui touchent peut-être à l’enfance ou à l’éducation. Voir déjà comme celle-ci aime être sifflée dans la rue.
Politiquement incorrect …
@Nady : quand la table « se met à table » ! Que d’indiscrétions elle pourrait nous faire ! 🙂
Adèle : Fort possible, mais qui sait ? A un moment donné on est aussi capable d’entendre raison et d’éviter de souffrir …
Sinon elle n’aime pas être sifflée, du moins ce n’est pas ainsi que je l’ai écrit. Être sifflée ici lui donne la confiance qu’elle n’obtient pas chez l’homme qu’elle aime.
Je pense à certaines proches qui ont réussi à se libérer, mais aussi à d’autres qui n’ont pas pu.
Et bien sur à « L’amour et les forêts » d’Eric Reinhardt.
Pas encore lu ce roman dont tout le monde me parle … j’y songerai. 🙂
Plonge ! 🙂
@Leiloona : Quel texte ! L’espoir, la colère, et la « prise de décision » sont décrits d’une façon tellement réaliste, j’aime beaucoup ! Et je suis bien contente qu’elle prenne enfin conscience qu’elle mérite mieux 🙂
@Nady : Un texte qui reflète l’ambiance des bistro … et le bien qu’ils peuvent nous apporter par les rencontres et les échanges qui n’ont rien de virtuels 🙂
Vudemeslunettes : je suis contente d’avoir réussi à trouver (du moins à mes yeux) un ton que je n’aurais pas employé voici quelques mois … un détachement (sur l’écriture) s’opère peut-être aussi chez moi. 🙂
J’aime beaucoup la citation de fin cela clôture dignement ton texte.
Trouvée dans un roman que je chroniquerai quand j’aurai du temps, la citation m’interpellée oui.
Beaucoup de textes intéressants ! Le tiens, Leiloona, m’a parlé. Par contre j’ai l’impression que celui que je t’avais envoyé n’a pas été mis en ligne. Si il y a un problème avec n’hésites pas à me le signaler.
Je viens de t’envoyer un mail Mark …je suis désolée, le mail s’était perdu dans les tréfonds de ma boîte … Erreur réparée.
@ Nady : J’adore, car c’est une multitude d’histoires pour une même table ! ♥
oui, la table pourrait en écrire des choses 😉
@ Mark : joli récit foisonnant qui décrit à merveille ce que je ressens parfois … ce besoin de retourner vers moi-même que j’oublie souvent.
Merci, ça me fait plaisir pour mon premier atelier d’écriture. Je me suis aussi retrouvé dans ton texte. Bon j’espère trouver l’inspi pour la nouvelle photo que tu as mis en ligne. Bonne vacance.
C’est drôle de lire tous ces différents textes nés d’une même photo ; ) Si une image me parle, je me laisserai tenter !
C’est drôle de lire tous ces différents textes nés d’une même photo ; ) Si une image me parle, je me laisserai tenter.
@ux autres participants : Je sais que mes commentaires ne s’affichent pas forcément. La notification se met souvent en « spam »
Oui, c’est le principe. 🙂
@Mark Chapman : ton texte m’interpelle et je reconnais en effet le bienfait que certains endroits peuvent avoir sur nous parfois. Il suffit d’un rien, d’une déco, d’un détail, d’un sourire et ça redémarre 😉 tu l’as en tout cas très bien décrit à travers ton texte. Un vrai régal de te lire 😉
Merci beaucoup! j’ai apprécié l’originalité de ton texte, le coup de la devinette, c’était bien vu et ça m’a fait sourire. Il est toujours bon de rappeler quelques vérités essentielles, comme par exemple, celle-ci : avant face book, il y avait la table de taverne ou de bistrot et je suis certain que comme lieux d’échange, elle ne disparaîtra pas de sitôt ! au plaisir de te lire bientôt.