Léna n’avait pas l’habitude de prendre le bus. D’habitude, elle restait dans les méandres souterrains du grand M jaune, et lorsque ce dernier ne fonctionnait pas, elle préférait le grand air et les grandes enjambées. Mais là, il avait fallu s’y résoudre. Le véritable déluge qui s’abattait en ce moment menaçait de la transpercer jusqu’aux entrailles, et elle n’avait pas envie d’arriver trempée au travail.
Elle était alors montée dans le bus, après avoir cherché le trajet le plus court, ou le moins chargé.
Ici, la lumière était bien différente. Malgré la pluie, les gens paraissaient moins courbés par le sceau de la fatalité, leur visage moins gris et moins uniforme avait des reflets changeants. La lumière naturelle, quoique bien amoindrie par la couleur du ciel, leur donnait de l’éclat.
Par chance, le bus n’était pas bondé, et elle avait pu s’asseoir à une place. Comme à son habitude, elle avait pris un livre et avait continué son roman. Mais très rapidement la nausée était venue. La tête lui tournait, un relent âpre était venu dans sa bouche : elle avait dû délaisser son histoire, elle la reprendrait plus tard. Elle avait alors posé les yeux aux alentours. La plupart des gens, avec leur 4 G, naviguaient de page en page, concentrés sur leur petite fenêtre de vie virtuelle, délaissant qui leur enfant à côté, qui leur copine … La vraie vie passait toujours après candy crush.
Léna découvrit alors la ville derrière sa bulle protectrice. Paris, ses monuments, ses allées haussmanniennes, la pureté de ses lignes et de ses formes apaisaient les regards. Léna souffla et sourit à cette nouvelle vie.
La boue et les maisons en bois étaient loin. Ici elle n’était pas réveillée par le chant du coq et le bruit des charrettes était remplacé par le klaxon des voitures.
Tous ces gens, là, phagocytés par leur écran bleu blafard ne savaient pas ce qu’ils perdaient. Tournés vers et sur eux-mêmes, ils préféraient une virtualité papier glacé et virtualité très colorée. Un monde saturé.
La souffrance était-elle le seul sésame pour enfin profiter de la vie ? L’être humain dans toute sa complexité.
© Leiloona, le 20 avril 2015
Le texte de Nady :
Deux mondes se côtoient, abrités dans un même bus qui circule sous une pluie battante.
Le virtuel s’invite dans le réel, le temps d’un parcours, d’un instant, d’une éternité.
Deux âmes se retrouvent très proches et en même temps très éloignées l’une de l’autre, chacune plongée dans son monde virtuel et imaginaire ; elle est tellement absorbée par les nouvelles qui défilent sur son smatphone pour l’une et captivée par l’histoire de son roman pour l’autre, qu’elles ne se voient pas et ratent le spectacle des belles vitrines de chaussures qui cherchent à les séduire.
Mais que peuvent elles donc lire de si captivant pour être ainsi si bien dans leurs bulles sur le chemin qui les amènera prochainement à bon port pour retrouver leur monde réel fait de solitude ou de brouhaha familial ?
Elles seules le savent…
Le texte d’Anariel :
Terminus
Ma voie était toute tracée, une voie réservée.
Une histoire de famille, presque une question d’honneur.
De père en fils, la passion du rail
Mes passions déraillent
Je ne voulais pas de cette vie-là.
Je ne voulais pas de cette prétendue liberté,
Je ne voulais pas briser mon sommeil, ma dignité, mes rêves
Je ne voulais pas me prendre un jeton pour un regard mal posé
Je ne voulais pas de cette vie là
Je ne voulais pas que le ciel
Pleure sur la ville comme sur mon triste sort
Je ne voulais pas, en bout de course, à bout de souffle
Ramasser leurs papiers, leur vomi, leur mépris
Moi j’avais un autre destin,
Poser sous mon bon profil,
Quitter les feux pour les projecteurs
Sortir des circuits balisés au milieu du chaos
Moi aussi je voulais m’évader, prendre mon billet
Me retourner
Leur gueuler « TERMINUS !!!! »
Et faire ce que j’ai à faire
Les liens vers les textes écrits à partir de la même photo :
Albertine : En immersion
Monesille : Avec des écouteurs
Paikanne : Leurre
Patacaisse : L’infâme
Antigone : L’effet papillon
Vu de mes lunettes : Pensées
Nath Choco : Deux minutes encore
Cléo : Poème de métro
Fanny : Voiture 7
Victor Belin : Une fugue remarquable
Elora : Dans le métro
J’aime beaucoup ton texte Leil, notamment parce que j’y reconnais mon plaisir de prendre le bus qui permet de découvrir Paris, de profiter de la vue.
Je ne le prends que peu, mais c’est vrai que c’est nettement plus agréable que les bas fonds de Paris ! 😛 (cf l’expo sur le baroque.)
@Nady : Marrant, nos textes se répondraient presque ! 😀
En effet, quel coïncidence 😉 J’aime beaucoup ta plume Leiloona. Je commence à prendre l’habitude d’attendre chaque lundi pour la suite des aventures de Léna qui me passionnent tellement c’est super bien écrit 😉
On se serait concerté, on n’aurait pas eu cet écho je crois 😉 c’st drôle 😉
@Nady : La fiction comme une protection face au rée, à l’abrutissement des longs trajets, c’est vrai que nous voyageons tous séparément dans nos mondes.
@Anariel : C’est vrai que les conducteurs font toujours les mêmes trajets et voudraient peut-être eux aussi choisir leurs trajets !
@Titine75 : et c’est vrai qu’en prenant du recul et en observant autour de soi, c’est assez amusant de voir tous nos mondes dans la vraie vie 😉
@ Anariel : Un texte fort, renforcé encore par la concision des vers brefs. J’aime beaucoup.
Merci !
C’est rigolo comme vos deux premiers textes ont le même sujet. J’ai beaucoup aimé. Moi, dans le bus, j’aime regarder les gens. Ceux qui sont dans la rue, ceux dans le bus et écouter ce qui se passe.
Oui, marrant de lire des textes qui se font écho. 😉
Mais c’est un bus ou un métro?! Moi j’ai vu un métro…
En tout cas, ton texte est très joli et personnellement, la photo correspond parfaitement à la météo de chez moi!
Hum, non pour moi un bus, vu les chaussures derrière …
Merci ! 😀 Sinon ici grand soleil, et je file droit vers un autre soleil aussi …
J’ai vu un RER …
Je ne cesse de le dire, mais j’aime tes écrits plus longs! Celui ci est encore teinté de justesse! J’aime beaucoup cette Léna, du coup c’en est trop court, je voudrais savoir d’où elle vient, ce qu’elle a souffert!
Bonjour à tous, je réactualise mon lien comme d’habitude :http://albertine22.canalblog.com/archives/2015/04/20/31864910.html
@ Je partage l’opinion de Ludo, embarquée dans ton histoire, on souhaite en savoir plus sur cette jeune femme. J’aime beaucoup ton texte, ce personnage qui prend le temps de regarder, de s’émerveiller, d’être « vivante » au monde.
@ Chacune dans sa bulle, si proches et si lointaines : très bien vu !
@ Sortir des voies toutes tracées, pas si facile ! Des mots simples mais justes.
joli texte Leiloo, un long texte qui semble trop court, oui !
coucou voici mon texte …
http://lagazettedecitronbleu.eklablog.com/accueil-c18260698
bises
Myrtille, ce n’est pas le bon lien que tu me donnes …
COmme d’habitude, superbes textes !!
Ma participation : https://leblogojournaldelora.wordpress.com/2015/04/20/atelier-decriture-dans-le-metro/
Ajouté ton lien ce matin, désolée pour le retard, j’étais en vacances et loin de mon ordi ! 🙂
Oh j’ai aimé la ferveur de vos trois textes… Le tien Leiloona ressemble à celui de Nady, ce piège de virtualité dans lequel nous tombons tous mais duquel il faut savoir s’extraire pour goûter tout simplement la vie, la course des nuages, le temps qui passe…
et pourtant un bus peut être un lieu de rencontre mais , au contraire, chacun reste dans sa bulle. Cette photo a amené des textes bien différents mais chacun insiste sur la foule et l’unique, c’est très intéressant
Bonsoir, voici le lien de mon texte :
http://randonnezvousdansceblog.blogspot.fr/2015/04/une-photo-quelques-mots-172e-atelier.html
Bonne soirée !
Leiloona : c’est une belle variation sur le thème de la souffrance. C’est vrai qu’elle aiguise la sensibilité.
Anariel : c’est un texte fort presque un cri.
Nady : une triste observation d’une réalité. On s’isole de plus en plus avec ces outils virtuels mais entre amis ou en famille.
Les deux premiers textes se font joliment échos.
Bonjour Leiloona, J’aime beaucoup ta phrase « la vie passe toujours après candy crush » c’est hallucinant de voir comme on est capté par ce genre d’écran et c’est vrai qu’on ne finit par ne plus vivre en vrai;
Et c’est vrai que les autres texte relatent bien la même expérience.
Par contre je ne comprends pas ta dernière phrase sur la souffrance ,
Bises
Deux jolis textes qui se rejoignent et qui interpellent quant à l’emprise du virtuel
Tu sais, je n’ai pas l’impression que les gens sont si collés à leur téléphone dans le bus. J’ai la chance de pouvoir le prendre plutôt que le métro dont la station est plus loin, et je trouve que l’atmosphère est différente, les gens regardent plus dehors. Et Paris me fait le même effet. Quand je suis fatiguée, pas heureuse d’aller travailler, la traversée du Louvre puis de la Seine me cueille à chaque fois !
@Leiloona : Ton texte me rappelle la première fois où j’ai « troqué » le métro contre le bus ! Très vite, j’ai préféré prendre le bus d’ailleurs ! Et souvent, je rangeais mon livre pour profiter de la vue de Paris 🙂
@Nady : C’est la réflexion que je me faisais régulièrement quand je prenais le bus à Paris !!
@Anariel : Un joli poème pour évoquer ses propres envies et sa « propre voie », j’aime beaucoup 🙂
bravo à toutes les participantes, et surtout à toi l’instigatrice de l’atelier, qui est toujours formidable
bonne soirée
bises
Domie
Je ne comprendrai jamais comment on peut rester sur son téléphone quand on est dehors ! Il y a tant à voir ! J’aime beaucoup, une fois la nuit tombée, regarder les appartements et maisons et leurs lumières intérieures (euh…je ne suis pas une psychopathe qui reste trois heures devant une fenêtre hein 😉 ).