rue

© Romaric Cazaux

Le vrombissement des voitures au loin, le caquetage des passants, leur silhouette : plus rien n’existait pour Jean.Il était désormais seul dans cette rue et tentait de ne pas céder à la panique.
Il avait dû s’arrêter, dos à l’immeuble, le cou soudain tourné en arrière. Le sac à dos nonchalamment tenu par une épaule avait failli tomber et avait déséquilibré Jean un dixième de secondes. Il s’était alors mis dos contre le mur et avait allumé une cigarette, une sale manie dont il ne pouvait plus se passer.

Depuis, le corps figé, tendu à l’extrême, Jean tentait de maîtriser sa respiration. En se concentrant sur elle, il pourrait oublier cette angoisse sourde qui l’avait paralysé. Vainement, il avait tenté de repartir, d’oublier les tressautements de son coeur. Il avait beau regarder, il ne voyait rien qui puisse corroborer ce qu’il avait entendu.

Revinrent alors des odeurs. Celles qui le hantaient chaque nuit et le réveillaient en sursaut. La cendre de villages entiers encore fumants, les corps calcinés qui ne ressemblaient plus qu’à un amas rocheux. Les cris, lointains, d’abord, s’étaient rapprochés. Jean n’était plus à Londres, mais à Kokaj au Kosovo. Là où tout avait commencé.

L’horreur, la barbarie des hommes, la soif de nuire : il n’avait plus été le même depuis. Des images avaient phagocyté l’espoir qui aurait pu le sauver de la brume guerrière. Mais Kokaj était loin maintenant. Du moins, il le pensait …

Soudain, il comprit.
Au bout de la rue, un homme venait de se faire percuter par une voiture, puis deux hommes en étaient descendus. Il avait donc bien entendu un crissement de pneus doublé de cris, ceux des passants. Certains, peureux la plupart, avaient poursuivi leur route, d’autres s’étaient arrêtés et avaient crié devant l’innommable. Devant eux, un homme se faisait massacrer par deux autres.

En plein coeur de Londres.
La barbarie n’avait pas de frontières. Jean s’effondra de toute sa hauteur.

© Leiloona, le 2 juin 2013

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 Le texte de Morgane : 

ESPOIR

Paul s’est retrouvé dans cette rue après une nuit très courte, après trois heures de train, après 15 longues années …

Son cœur bât, ses mains sont moites, sa foulée s’accélère.

La rue est pleine : pleine de gens, de mouvements, de bruits.

Il se dit que toute cette turpitude ne ressemble pas à SA rue ; celle qu’il a quitté un matin de décembre en courant au bras de sa maman. Pour fuir ! Fuir la peur, les crises, les coups, fuir enfin leur bourreau. Malheureusement, cette fuite sans retour lui a fait perdre sa Lucile : sa voisine de palier si jolie, si petite, si gentille qui était devenue avec le temps sa confidente et sa meilleure amie.

Cette journée il en a tellement rêvé : depuis l’enfance, depuis l’adolescence et maintenant à l’âge adulte. L’espoir un peu fou de la retrouver, d’entendre le son de sa voix, de découvrir celle qu’elle est devenue. Evidemment les chances sont minimes 15 ans après … Mais le souvenir de la danse des longs cils de Lucile lorsqu’elle ferme à demi ses beaux yeux verts pour se pencher vers la lecture de ses romans favoris l’a poussé aujourd’hui dans cette rue qui ne lui est plus familière.

Le N°12 ! Le chiffre 12 est bien noté mais ce n’est pas l’immeuble beige et sale de son enfance qui se dresse devant Paul mais une tour vitrée qui monte si haut qu’il est impossible au premier regard d’en déterminer le nombre d’étages. Son cœur se met à battre encore plus fort. Sa main va droit vers la poche de son pantalon pour y trouver son paquet de cigarettes. La première bouffée lui évite les larmes, la deuxième lui fait monter sa colère. Qu’est ce qu’il attendait, pauvre idiot, 15 ans après, à la sortie d’un train : Toc-Toc, « Bonjour Lucile, c’est moi Paul, tu me reconnais ? » Imbécile !!! Imbécile malheureux …

Il va donc quitter cette rue la tête comme le cœur : Retournés … Le regard vers le trottoir, en marchant d’un pas encore plus rapide qu’à l’allée … Comme tous les gens qui l’entourent finalement : des gens pressés, le regard morne et l’air renfrogné … Il va retrouver sa terre campagnarde où lui et sa mère ont retrouvé la paix, là où les personnes que l’ont croisent sur son chemin ont le regard haut et le sourire aisé.

Et Lucile ? Où est-elle ? Que devient-elle ? Est-elle heureuse ? Est-ce que Paul le saura un jour ?

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 Vos liens : 

Stéphanie : A quand la paix ? 

Yosha : Le dernier instant

K Mill : L’ultime regard

Cardamone : Déconnexion

Lucie

Jean-Charles : Golobix

Miss Alfie : Passer, je ne fais que passer

La carré jaune : Schémas

une photo quelques mots

24 Commentaires

  1. Miss Alfie

    Je n’ai pas eu le temps de l’écrire pour aujourd’hui… Je tente de le faire dans la journée et le publie demain… En espérant que tu excuses mon retard…

    • Leiloona

      Mais bien entendu, il n’y a pas de retard, et puis tu sais, j’y suis habituée avec les élèves ! 😛

  2. Yosha

    @ Leiloona : Une bien triste actualité… Le flashback est très bien rendu, ton texte est oppressant à souhait !
    @ Morgane : c’est horrible ce moment où il découvre que l’immeuble n’existe plus ! J’espère qu’il la retrouvera sa Lucile… Ecris-nous une jolie suite 😉

    • Leiloona

      Merci Yosha : il est difficile de décrire l’angoisse … J’ai eu du mal, et la mention des souvenirs est venue à point nommé ! 🙂

  3. Morgane

    Texte malheureusement d’actualité … L’angoisse est palpable ; Brrrrrrrr …
    Bravo Leiloona !!!

    • Leiloona

      Ce qui est étonnant, c’est que je n’avais pas du tout cette idée-là en commençant le texte, comme quoi, le personnage prend le pouvoir parfois ! 😉

  4. Stéphanie

    @leiloona: dur cette sauvagerie omniprésente, mais il est bon de rappeler qu’helas ce n’est pas qu’en temps de guerre et loin que le pire peut arriver
    @morgane: triste espoir, on imagine bien toutes ses attentes, ses reves de retrouvailles, cette deception est touchante.

    • Leiloona

      Oui, cet homme avait une telle angoisse sur lui que je ne pouvais faire autrement.

  5. Kmill

    Deux textes aux univers profond et grave pour les protagonistes.
    Jai beaucoup aimé l’évocation de la barbarie dans notre quotidien. Et les souvenirs, un grand thème inépuisable…

    • Leiloona

      Oui, les souvenirs, les sens mis en branle, je crois que c’est un procédé d’écriture vers lequel je me tourne souvent.

  6. Jean-Charles

    C’était pas si évident de commenter cette photo et tu l’as fait avec brio.

    • Leiloona

      Merci à toi.

      J’te fais une bise, tiens, pour la peine ! 😀

      • Jean-Charles

        Humm ! Mais je risque d’en réclamer d’autres 😛

  7. awa74

    J’aime beaucoup ton texte. Je n’étais pas inspirée cette fois-ci, peut-être une prochaine fois.

    • Leiloona

      On ne peut l’être tout le temps, Awa ! 😉

    • Leiloona

      Hop, je t’ajoute et file te lire ! 😀

  8. Leiloona

    @ Morgane : J’imagine bien l’angoisse de voir que plus rien n’est là …

  9. lucie

    angoisse bien rendue dans ton texte leiloona…

    • Leiloona

      Merci, Lucie ! 🙂

    • Leiloona

      Mis à jour, c’est dommage qu’elle ne me l’ait pas signalé, j’aurais pu l’ajouter avant. 😉

    • Leiloona

      Yes, je t’ajoute ! 😀

      De rien, miss ! Et merci d’y participer ! 😀

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