Une photo immortalise toujours un moment. Bon ou mauvais. Elle poursuit sa route, indépendamment des sujets pris. Elle passe de main en main, puis une fois la nouveauté passée, elle est rangée dans un album. On la ressort lors de réunions de famille, on s’extasie devant elle, parfois on s’effraie d’avoir eu cette coupe ou ces vêtements un jour. On en rit même. De temps en temps on écrase une larme.
C’était le bon temps.
Une photo immortalise et fige un instant banal. De l’abîme le voici élu à la postérité.

J’avais 7 ans quand cette photo a été prise. J’étais le petit blondinet à droite. De mes épis de blé je n’ai rien gardé. Aujourd’hui mes cheveux flirtent davantage avec le sel et le poivre …

L’autre petit à gauche est Paul. Mon frère de sang. Nous faisions tout ensemble : dès le jardin public nous étions des inséparables, et cette belle entente perdura jusqu’au collège. Là encore une histoire banale : un déménagement, puis on se perd de vue. Les petits subissent toujours la loi des plus grands. Avant de la faire subir à leur tour à leurs enfants.

Ce jour-là, nous étions partis pêcher. Je sens encore sur ma peau la chaleur de cette belle journée d’été. A cette époque-là, il n’y avait pas encore toutes les recommandations dont on assomme les parents. Nous étions là, sans t-shirt et sans crème solaire, le soleil dans les yeux.

Nous étions partis au petit matin avec mon père. Nous étions fiers, nous étions des grands. Avec notre canne, nous allions pêcher tous les poissons dans l’eau ! A cet âge-là, nous sommes encore remplis de rêves.

Je ne peux m’empêcher de penser à cette période bénie de l’enfance. Ni tracas, ni questions existentielles. Nous vivions.

Je ne peux m’empêcher aussi à ce qui a suivi. Le déménagement de Paul, notre éloignement, le divorce de ses parents, la disparition de son père, ses années à l’internat au lycée pro, ses difficultés à trouver du boulot … Je le suivais de loin.

Peut-on dire qu’il y a des familles à problèmes ? D’autres qui s’en sortent toujours quoi qu’il arrive ? Cela existe-t-il des familles sans histoire ? Et inversement d’autres familles attirent-elles toujours la poisse ? Comment ne pas faire ce malheureux constat en regardant la famille de Paul ?

Aujourd’hui, je tiens cette photo entre mes mains. Sur ma table est posé un journal. Rubrique nécrologie. La mère de Paul vient de mourir. Alors bien sûr du temps à passer, nous ne sommes plus les mêmes, mais des frères de sang devraient pouvoir faire l’impasse sur toutes ces années.
Oui, aujourd’hui, j’irai à l’enterrement de sa mère, et j’irai avec cette photo dans ma poche. Je serai là pour Paul.

©Leiloona

©Romaric Cazaux pour la sublime photo

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Et voici vos liens : 
Kmill  : Les sirènes
Jean-Charles : Les enfants de l’eau
Julie Mallauran : Charlie et Vincent
Cardamone : Libre ? 
Valentyne : Josiane et Andrée
Zelda : Deux
L’Insatiable : Le choix